Y a-t-il une vérité absolue?
Un énoncé doit-il être ou vrai ou faux (ou dénué de sens)?
Quel est le lien entre connaissance et réalité?
Voilà des questions que je discutai récemment
dans un débat avec
Marc Grunert,
un ami passionné comme moi d'épistémologie;
et voilà une occasion d'évoquer cet exemple cher à mon cœur,
celui de la couleur de mes chaussettes.
Au cours d'une discussion avec Marc,
je défendais la
psychologie évolutionniste
comme ayant (ou pouvant avoir) la même épistémologie que le libéralisme:
la cybernétique.
Marc, qui est fan de Popper,
disait que l'épistémologie consistait à apprendre
à discerner le vrai du faux.
Je répondais que ce qui comptait n'était pas tant un vrai et un faux absolu,
que la discrimination entre plusieurs choix pertinents pour l'action:
non pas une catégorisation binaire absolue entre propositions au sens précis,
mais une catégorisation souvent grossière
entre plusieurs alternatives floues décidant d'une action à entreprendre.
J'illustrai la chose en parlant de mes chaussettes.
Mes chaussettes sont jaunes. Enfin, oui mais non.
Elles ont aussi quelques carreaux verts et rouges qui les bariolent.
En oubliant ces carreaux, puis-je prouver scientifiquement
qu'elles sont jaunes? Ma foi, on pourrait comparer à un catalogue de couleurs,
ou faire une analyse spectrométrique,
et comparer à la réceptivité des cellules nerveuses optiques typiques.
Ainsi, il serait possible de donner une sanction scientifique
à un tel jugement. On pourrait alors attribuer à mes chaussettes
une couleur entre le jaune pur et le blanc cassé.
Comme quoi le fait qu'elles soient jaunes est une vérité qui n'est pas absolue.
Mais cette vérité, toute approximative,
est amplement suffisante pour mon propos:
choisir des chaussettes dont la couleur s'accorde
avec le reste de mes vêtements (car, dans les rapports sociaux,
l'habit fait le moine, et qu'il serait mauvais de ne pas en tenir compte,
si jamais je devais rencontrer quiconque).
En effet, comparées aux autres chaussettes dans mon armoire,
toutes blanches, vertes ou noires, ces chaussettes jaunes
(d'un jaune tout relatif, donc)
sont les seules à
s'accorder un tant soit peu avec un costume marron.
L'affirmation est vraie dans le contexte qui m'intéresse,
même si, dans un autre contexte,
on pourrait considérer comme fausse la même affirmation:
si mes chaussettes entraient dans un jeu
où il faudrait ranger de nombreuses paires par couleur,
elles n'entreraient pas forcément dans le bac pour chaussettes jaunes.
C'est donc bien le contexte d'action potentielle
qui donne une valeur au jugement ces chaussettes sont jaunes.
En fait, depuis que j'ai initialement conçu ce message,
j'ai changé de paire de chaussette (et de costume),
alors le jugement, qui était vrai, est devenu faux.
Et bien sûr, ce jugement n'a aucune valeur, ni vrai ni faux ni rien d'utile
pour vous qui vous contrefichez complètement de mon accoutrement
(à moins que vous ne vouliez m'offrir des vêtements pour mon anniversaire).
Bref, le vrai et le faux absolus, on s'en tape.
Ce qui compte, ce sont les distinctions pertinentes qui permettent le choix.
Pas besoin d'une véracité absolue.
D'ailleurs une telle véracité
nécessiterait une précision absolue dans les propositions,
précision qui est inaccessible sauf pour des énoncés mathématiques
(et encore! vous dirait un métamathématicien).
Même Popper critique la nécessité de la précision;
mais il lui échappe le caractère praxéologique du critère
qui détermine ce qui compte ou pas dans la précision d'un énoncé:
sa pertinence, son pouvoir de discrimination décisionnel,
les bénéfices attendus d'un tel complément d'information
mis en rapport avec son coût d'acquisition.