Dans le train qui m'amenait hier à Paris
pour parler de libéralisme au libre journal
de
Jean-Gilles Malliarakis
sur
Radio Courtoisie,
mon vis-à-vis lisait le numéro 6 "Histoire du peuple juif"
de la série "Histoire et patrimoine".
Pourquoi parle-t-on si souvent des juifs, et plus rarement
des norvégiens, picards, pygmées, égyptiens, chiliens, ou coréens?
Comment ce peuple a-t-il gardé
une identité forte et continue depuis l'antiquité?
Voilà quelques réflexions qui me sont venues
sur la rémanence de l'identité juive.
Tout d'abord, notons que le peuple juif n'a pas été assimilé de force
par les théocraties chrétiennes et musulmanes:
cependant que tous les "païens" furent détruits ou convertis,
par la force, par la ruse (lire "le voile arraché" d'Al-Jawbari),
par la pression fiscale (Égypte), par le chantage (Islande),
par la propagande, etc.,
on a toléré l'identité propre des juifs,
qui partageaient le même "Dieu" que chrétiens et musulmans.
Citoyens de deuxième catégorie, dhimmi, mais survivants!
En leur interdisant de nombreux corps de métiers
cependant que d'autres corps étaient interdits aux gentils,
on a même crée pour eux, par la contrainte,
des places réservées dans la société, notamment celle d'usurier.
Les juifs ont ainsi occupé certaines niches économiques (anglicisme)
telles que se priver d'eux impliquait amputer la société
de mécanismes économiques essentiels
(il serait intéressant de lier la débâcle économique espagnole
malgré au siècle d'or par la conversion forcée des juifs).
Et c'est ainsi que le succès financier de certaines grandes familles juives
est le résultat d'un complot anti-juif international,
ce qui est une illustration frappante s'il en est
de
la loi d'escalade éristique!
Bref, une partie de l'explication de la rémanence de l'identité juive
est que paradoxalement, malgré toutes les persécutions
dont les juifs ont pu être victime,
leur identité a été privilégiée
par les cultures d'Europe et d'Asie
(jusqu'au sens originel du mot privilégié:
régi par un droit particulier).
Mais cela n'est bien sûr qu'une partie de l'explication,
qui suscite à son tour des questions:
pourquoi les juifs se sont-ils accrochés à une telle culture
malgré les persécutions?
Et surtout, pourquoi leur identité a-t-elle été privilégiée
par les religions dominantes?
Ces deux questions sont liées, en ce qu'elles en appellent toutes deux
au caractère dominant du mème monothéiste.
Certes, dans le "pourquoi s'accrocher", il y a le "parce que je peux",
complété par le "parce que ce n'est pas mieux ailleurs":
tant qu'il existe une niche écologico-culturelle
permettant la survie,
qui n'est pas détruite ni envahie par un rival expansionniste,
alors cette niche sera occupée de manière continue par la "même" culture.
Quand de plus, le coût de sortie (ou d'entrée) de la niche
surpasse les bénéfices attendus de sortie (ou d'entrée)
-- ce qui a longtemps été le cas, les convertis étant
largement coupés des circuits sociaux aussi bien juifs que gentils, --
alors cette culture fonctionnera d'une façon isolée
qui renforcera son identité et sa singularité.
Aujourd'hui où le coût de sortie est quasi nul
pour certaines activités professionnelles,
nombreux sont ceux qui quittent la judaïté
et se fondent dans la culture globale en deux générations,
détachant leur identité individuelle de cette identité collective;
dans les milieux où les relations d'affaire comptent plus,
notamment les milieux commerciaux, ou certaines corporations privilégiées
de l'État où règne le népotisme (comme la médecine en France),
alors cette identité reste plus forte.
Du reste, il faut être conscient du caractère limité de la "mêmitude"
de la culture juive, et de son identité. La famille juive très orthodoxe
qui habite en face de chez moi adopte les technologies modernes et vit
parfaitement intégrée dans la société française (même si sa religion
semble induire chez le père une névrose dont les manifestations hystériques
combinées au bruits de sa nombreuse progéniture ont dégoûté, fait fuir,
et rendu raciste son voisin du dessous initial).
Ainsi, le peuple juif a adopté la plupart des traits
de la civilisation libérale mondiale,
au même titre que tous les peuples relapses
qui sont passés à la chrétienté ou à l'islam.
Les égyptiens ont une identité antérieure aux juifs,
pourtant leur identité n'est pas si forte;
c'est qu'ils sont des dizaines de fois relapses,
et ont donc adopté les paradigmes de pensée dominants.
Bref, ce qui dans l'identité juive est remarquablement ancien,
ce n'est pas tant l'identité elle-même que l'identité religieuse,
que la spécificité culturelle.
On pourrait arguer que les chinois ont une identité antérieure
tout en n'étant pas relapses;
mais cela ne constitue pas un contre-exemple aux arguments avancés,
car ils ont effectivement une identité très forte;
d'aucuns, notamment les vietnamiens qui vivent en occident,
pousseront plus loin l'analogie entre chinois et juifs,
pour ce qui est de leur civilisation
de durs travailleurs s'exportant mondialement,
de commerçants tissant des réseaux capitalistes internationaux
dans leur milieu culturel et héréditaire plus ou moins fermé,
envahissant pacifiquement le monde entier
en occupant avec succès des niches économiques spécialisées.
Les similitudes s'arrêtent toutefois en ce que la culture chinoise
a été géographiquement dominante en extrême-orient;
quoique, les derniers empereurs chinois étaient mandchous,
et leurs prédécesseurs ont succédé à une dynastie mongole;
sans parler du fait que dans l'antiquité, les envahisseurs du nord
ont de façon répétée soumis les civilisations méridionales;
il se pourrait donc que les éléments de similitude
entre la sinitude et la judéité,
qui ont fait leur succès réputé dans le commerce capitaliste,
soient aussi issus du développement
dans une atmosphère d'oppression et de développement malgré l'État.
Pour en revenir au fait essentiel dans la judéité,
à savoir son caractère religieux,
il faut voir que si le judaïsme a été toléré
par la chrétienté et l'islam
c'est en raison de sa parenté entre ces religions respectives.
Et si le judaïsme a eu le rôle du dominé,
c'est parce que dans cette famille,
il était le plus archaïque et restait pour cela tribal,
là où les deux autres avaient vocation universelle,
apte à l'assimilation des cultures conquises.
Par contraste, l'empire romain,
qui assimilait juridiquement les peuples conquis,
ne leur imposait pas une religion totalitaire
qui contrôlerait leur esprit -- du moins pas avant d'être complété
par ce christianisme qu'il combattait initialement.
Comme toutes les religions, celles-ci envahissent la vie,
édictant des règles pour tous les comportements,
proposant des explications à tous les phénomènes, etc.
Mais le lien commun fort entre ces religions-ci et à l'exclusion des autres,
lien revendiqué du reste,
est qu'elles sont des religions monothéistes de tradition écrite.
La question a été largement étudiée par ailleurs,
aussi n'insisterai-je que sur certains points qui me paraissent
les plus pertinents du point de vue mémétique.
Le double caractère monothéiste et révélé de ces religions
leur permet de s'adapter au niveau intellectuel du croyant:
l'homme simple pourra trouver un ensemble de règles et de dogmes tous faits,
L'érudit pourra se perdre dans un océan d'élucubrations théologiques;
plus de one-size-fits-all qui ne contente jamais
toutes les classes de la population.
La tradition écrite ancre les croyances dans un cadre rigide
qui permet à l'identité de se conserver
largement intacte à travers les siècles.
Pour conclure, la formule gagnante est
un paradigme ouvert stabilisé par une tradition écrite,
et des règles de comportement évoluant dans la liberté,
en-dehors et à l'encontre de la contrainte étatique.
Voilà qui devrait être encourageant pour les libéraux.