Sep 29, 2002 17:48
Je ne me souviens plus si j’étais plongée dans cet état d’esprit avant d’allumer la radio. On dit souvent que la musique a des vertus apaisantes. Anesthésiantes semble être plus exact si je me fis à ma propre expérience. Ne jamais se fier aux apparences. Avant même que je détecte la tristesse infiltrée dans la mélodie, je me trouvais prise au piège, condamnée à trouver un écho au plus profond de moi même à chaque lamentation déversée dans mes tympans. Quand j’étais petite, j’ai passé des heures à plancher sur l’éternel dilemme de l’œuf et de la poule. Lequel des deux est apparu le premier. A croire que mon enfance viendra éternellement me hanter mais le cas de figure présent fait ressurgir des années entières de considérations mathématiques et d’élaboration de théories variées. La morosité était elle antérieure à ce titre ringard, et la prose de cet illustre poète aura eu pour fonction de pointer du doigt ce que par autisme je n’arrivais pas à formuler si bien, ou me suis-je laissée bercer jusqu’à ce qu’une sorte d’alchimie malsaine opère et que je dérive vers un étrange mimétisme. L’œuf ou la poule. Je n’ai jamais su me positionner sur la question, de même je suis incapable de choisir un camp entre la catégorie de gens qui optent pour un disque en fonction de leur humeur et ceux qui inversement calquent cette dernière sur l’atmosphère délivrée par le fond sonore qu’ils subissent, puis docilement s’approprient. Les meneurs et les suiveurs. Toujours est il que maintenant je suis triste. La morosité s’est infiltrée, propagée, est venue infecter mon âme entière. Je pourrais avoir écrit ce titre, d’ailleurs il semble bien avoir été composé sur mesure pour moi. Ou bien ne suis-je qu’un esprit faible, un de ces êtres obéissants qui pleure lorsqu’on leur demande et se réjouit en unisson avec les éclats de rire pré-enregistrés pour séries télés débilitantes. Je ne saurai jamais, mais d’une façon un d’une autre je trouve la situation pour le moins troublante. De quel droit, et surtout par quel procédé, quelqu’un a pu s’emparer de mon inconscient et trouver les mots justes pour dépeindre ce que je croyais être ma seule propriété intellectuelle. C’est peut être pour à mon tour posséder cette magie que je gribouille en vain des histoires nombrilistes, faussement intellectuelles, empruntées au panthéon de mes auteurs préférés. J’ai quelques thèmes récurrents pourtant, comme un véritable artiste. Sauf que c’est pour de faux. Souvent sous la douche je m’amuse à donner des interviews dans lesquelles je livre les secrets de mon âme torturée. La sincérité se travaille. C’est une des révélations les plus choquantes qu’il m’ai jamais fallu encaisser. Un truc d’acteur sur lequel j’ai échoué une après midi d’ennui mortel, livrée aux caprices du CSA. Un magnifique paradoxe d’adulte, pervers à souhaits, venu entacher mes rêves de petite fille. Alors comme toujours, j’ai fait le deuil de mes fantasmes d’innocente ascension, et j’ai travaillé le spontané. Dans l’intimité de ma salle de bain en kit, je répète. Je décrypte mon œuvre entière, peaufine mes confessions hachées pour être fin prête lorsque mon heure viendra. Mais plus le temps passe, plus le doute s’instaure. Peut être ne viendra-t-elle pas. Est-il possible que je sois condamnée à ce genre d’existence paisible qui peuple mes cauchemars. Un mari, une maison identique à celle de mes voisins, l’apéro sur le coup de sept heures, la télévision au pied du lit et le chien qui me saute dessus au réveil. Le genre de foyer typique exalté par les séries télés de mon enfance, une carte postale pour nostalgiques des seventies ou tout le monde agite des dents blanches à en faire pâlir un dentier, s’embrasse et se prend dans les bras sans jamais se douter de la médiocrité qu’ils exultent.. J’en parle avec mépris, et d’ailleurs je les méprise. Les miens. Ce charmant portrait de famille pourrait orner les murs de ma maison si il nous restait assez d’amour pour nous permettre à tous de faire semblant, d’être contents. L’échec de mes parents, j’ai trop peur de le reproduire. C’est peut être un trait commun à toute cette génération sacrifiée dans laquelle une poignée de sociologues ont eu la gentillesse de m’inclure, pensant peut être me donner un repère, une explication, une excuse. C’est vrai qu’il n’était pas facile de s’épanouir avec pour seul horizon la promesse d’un avenir stable vanté par trop de films, dessins animés et autres produits de propagande pour ne pas crier à l’endoctrinement. Le pire c’est que ça a marché un temps. Je souris au souvenir de cette idiote de sept ans qui écrivait des lettres enflammées à ma présentatrice préférée. Je la croyais comme moi. Je voulais lui dire tout ce que j’avais sur le cœur, combien elle me donnait de l’espoir en échappant aux travers de sa génération. J’étais trop idiote, comme hypnotisée par son numéro parfaitement maîtrisé, pour voir qu’elle n’était qu’un outil dans les mains des méchants. Son vocabulaire ultra simple répondait à une attente, celle du marché, et par un hasard calculé j’étais avide d’offres. Il se trouve qu’elle en incarnait le fleuron, et j’ai répondu au delà de toute attente aux espérances de la machine média. J’ignore quelle trouvaille savante les grands de ce monde avait réservée à sa couvée, la génération… . Ils étaient peut être tous trop gonflés d’une fierté injustifiée pour se coller une étiquette commune. Malheureusement ils n’ont pas eu la descente d’épargner ma lignée. A quoi bon cultiver la différence si nous sommes tous appelés à suivre le parcours propre à notre âge. A quoi bon enseigner la philosophie si c’est pour nous priver de toute conscience individuelle et nous noyer dans la masse. J’aurais pu être un rat de laboratoire sacrifié à la science, fière porte parole de toute une catégorie, et pourtant prédisposée à répondre de façon identique à mes pairs aux mêmes stimulus. Dans l’esprit cynique de tous ces cons, nous aurions foncé comme un seul homme dans la même direction. Et pourtant, pour emprunter leur vocabulaire, la conjoncture ne garantissait pas notre unité. Je ne me suis jamais sentit enrôlée dans la même quête que la plupart de mes camarades de classe. Et quelle frustration de penser que quelque part, malgré mes protestations et mes coups de pieds, je me retrouve sûrement dans un putain de statistique. La logique a raison de tout. Nous, la génération x, allions porter les fruits de la révolution sexuelle, montrer les effets pervers de l’explosion des médias, de l’affaissement des valeurs. Nous allions être perdus, mais au moins nous jouirions de la faible consolation de ne pas seuls dans notre malheur. Nous confirmerions les attentes de ces quelques géants qui, penchés au dessus de la masse grouillante, analyse et recense, décline et prélève. Je ne peux objectivement pas contester ce raisonnement. Quand à l’âge de 10 ans j’ai voulu égoïstement faire l’acquisition d’un poisson rouge, je lui ai gracieusement attribué un compagnon afin qu’ensemble, ils puissent être seuls. Penchée au dessus du bocal, je n’avais qu’une conscience très vague du schéma que je reproduisait. Souvent j’ai peur de ne jamais me résigner et de traîner le fardeau de ma propre insatisfaction à jamais, pour finir comme une de mes chères caricatures. Et la chanson défile. Cette voix lancinante et douce m’entraîne dans des sphères nouvelles. Des chemins poussiéreux que je connaissais jadis, mais que le passage du temps a archivé, classés dans un recoin de ma mémoire. J’ai grandi. J’ai appris que quelque soit la détermination, on ne sort jamais vainqueur de la lutte contre la raison. L’ennui. Le temps. C’est drôle comme tout est relatif. Pour certains, la sagesse est la récompense de l’expérience. J’aimerais troquer la béate ignorance de mes tendres années contre cette malédiction qui accrut ma conscience et pointe du doigt un peu plus chaque jour l’échec dans lequel je baigne et me noie, sans parvenir à me complaire. A chaque fois que j’essaye d’écrire, mes pensées se bousculent. J’ai du mal à ordonner quoi que ce soit. Ma mère dit souvent que le désordre ambiant n’est que le reflet du chaos qui règne dans une âme. Si sa théorie se vérifie, je pourrais prôner la folie au premier procès qui me tombe dessus. Je suis émotionnellement fragile. Diagnostique auto-infligé un jour de lucidité mais que corps médical n’oserait contredire devant l’ampleur de mes crises. Je sens l’angoisse me gagner et je demeure interdite devant la suprématie totale du mal qui progressivement me gagne, glace mes membres et me relègue au rang de simple figurante dans l’histoire de ma vie. La crise culmine et je reste figée. Je deviens comme spectatrice de moi même, la conscience un peu trop aiguë pour coexister en paix avec un quotidien si lamentable. La dernière fois à Mc Donald je me suis levée pour attraper une paille et c’est à cet instant précis que la panique s’est manifestée, non sans faire preuve d’un humour grinçant que j’aurais apprécié en d’autres circonstances. J’ai attendu que le sentiment s’estompe, que mon esprit regagne mon corps et que je puisse poursuivre ce moment d’intense bonheur au royaume de la consommation. Il s’agit de ne pas trop réfléchir. Dès que je pense un peu trop longuement à tous mes rêves volatilisés, Mr Jeckil frappe et tous mes sens soudain accrus m’expriment leur mécontentement. C’est comme dans cette chanson. I’m not here, this is not happening. J’ai beau fixer mes mains je ne ressens aucune appartenance avec ce corps mal taillé, et je ne semble pas m’inscrire harmonieusement dans le monde environnant. C’est dur à décrire, le mal être, surtout lorsqu’il prend une apparence si concrète et tangible. J’ai bien tenté de cohabiter avec ma faiblesse. J’ai épuisé les manuels psychologiques, me suis évertuée à transformer le malus en bonus et de faire de mon handicap un atout. Thom York l’a bien fait et le monde entier lui envie sa dépression. La bêtise humaine m’étonnera toujours. J’aimerais me persuader de mon potentiel. L’issue pour les gens vers moi se trouve dans l’écriture, magnifique exutoire, ses vertus cathartiques. Cathartique figure en haut de ma liste de mots préférés. La première fois que je l’ai entendu j’ai eu comme un déclic. Je n’ai même pas ressentit le besoin de chercher confirmation dans un dictionnaire. Un monde de possibilités s’ouvrait enfin à moi, je savais que ce mot détenait la réponse à mes demandes incessantes, celles formulées tard sous la couette comme une prière implorante puis un gémissement sourd. Je savais que dans ce mot, complexe, bien comme je les aime, se cachait mon avenir, peut être plus si incertain. Alors j’écris, ça a une fonction cathartique. Je plonge au plus profond de moi même et me guérit en martelant mon mal infiniment. La chanson est finie comme l’indique le grésillement de l’auto radio. 4 minutes et j’ai l’impression d’avoir voyagé dans le passé pendant des années, comme si le temps s’écoulait à une autre vitesse une fois mis en musique. Je suis arrivée, mais je ne suis plus si sure de vouloir sauter du pond.