Sep 12, 2008 16:15
Petite bibliographie : Né en 1895, mort en 1981, Albert Cohen était diplomate suisse. Il est né en Grèce, a fait ses études à Marseille où il a sympathisé avec Marcel Pagnol avant de retourner à Genève. Là, après une licence de droit, il adopte la nationalité suisse et commence à écrire, d’abord un recueil de poèmes, Paroles juives (1921). Il commence parallèlement une carrière de diplomate dans les grandes organisations internationales, comme délégué du mouvement sioniste auprès de la Société des Nations à partir de 1925, puis au Bureau international du travail.
Ces détails paraissent relever de l'anecdotique mais en fait pas du tout : le judaïsme et la Société des Nations sont deux thèmes que l'on retrouvera tel un fil rouge dans ses oeuvres. Il le dit d'ailleurs lui-même : "La nécessité première de mes livres a été de dire mon amour pour le peuple juif." De fait, son œuvre romanesque est une juxtaposition d’épopées comiques et poignantes qui mettent en scène des personnages infiniment bavards, exubérants et pathétiques, que l’on suit de la lumière et du succès au sein de la société jusqu'à la déchéance la plus complète. Il écrit d'abord Solal, personnage que l'on retrouvera dans Belle du Seigneur, puis Ezechiel. En 1954 il se lance dans l'écriture du Livre de ma mère, ode et hommage poignant à la femme la plus importante de sa vie qui est morte de peur et de chagrin à Marseille durant l'Occupation. Trente ans après son premier roman, Albert Cohen achève la fresque juive des Solal avec Les Valeureux (1969) et surtout avec Belle du Seigneur (1968). Ce monument de plus de 800 pages est une satire féroce des fonctionnaires de la Société des Nations, tout occupés à leur carrière, mais aussi l’une des plus belles passions que j’aie eu l’occasion de lire.
C’est une certitude : il fait partie des auteurs qu'on aime ou qu'on déteste, la demi-mesure est quasiment impossible avec lui. Je m'en suis rendue compte en posant mes valises dans cette charmante auberge : certains l'ont rangé dans la catégorie des auteurs qu'ils détestent, tandis que Belle du Seigneur a été l'une de mes plus belles expériences de lecture et je pèse mes mots.
Certes il faut tenir... Il y a de quoi décourager parmi les plus courageux ! Des pages entières de monologue sans ponctuation aucune (après tout certains arrivent bien à lire Ulysse de Joyce), quelques personnages secondaires dont on ne comprend pas très bien ce qu’ils font dans l’histoire (ils appartiennent tout simplement à la fresque des Solal). Mais quand on persévère (quand on saute quelques pages aussi, je l’ai fait, je n’ai pas honte de le dire), on est récompensé au centuple. Cohen nous peint un couple prisonnier de lui-même qui voudra tout de même vivre sa passion jusqu’au bout, quelque soit le prix. Leur histoire commence pourtant de façon banale, presque vaudevillesque, mais tout de suite Cohen se démarque : Solal séduit Ariane complètement à contre-pied en démontant un à un tous les mécanismes de la séduction, en les ridiculisant, en les bestialisant (que sommes-nous après tout sinon des mammifères ? en gros voilà l’idée ! et je me souviens de la métaphore du singe qui m’avait beaucoup marquée). Et Ariane, femme de la bonne société, raffinée, apprêtée, mais dévorée par ses démons intérieurs (je crois me souvenir d’une expérience homosexuelle durant son adolescence ??? ou je confonds ? enfin bref elle se cherche !), rongée par l’ennui auprès d’un petit fonctionnaire pitoyable et envieux et de sa belle-famille hypocrite et mesquine (mes adjectifs ne sont peut-être pas idéaux mais c’est comme ça que je l’ai ressenti), la belle Ariane va pourtant craquer et tout sacrifier pour Solal.
Je garde des souvenirs éblouis des premiers temps de leur passion, leur attente durant les journées quand Solal travaille, la séparation quand il part en voyage (l’histoire de l’étoile qu’ils regardent à la même heure chaque soir pour se rapprocher l’un de l’autre en pensée), et puis la descente aux enfers, lente et inexorable, à partir du moment où ils envoient promener les convenances et partent ensemble. Leur lutte perdue d’avance contre la routine et l’extinction des premiers feux de la passion. Car ils sont tous deux des êtres extrêmes qui refusent la demi-mesure, les compromis, la tranquillité, ils ne veulent que l’absolu. Et ils finiront par l’obtenir de façon tragique, je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher la surprise de ceux qui seraient tentés de se plonger dans l’œuvre.
Bref vous l’aurez compris c’est une histoire qu’on n’oublie pas une fois qu’on l’a lue. Il me reste à terminer Le Livre de ma mère que j'ai arrêté en cours de route car assez déprimant même si très émouvant. Je ne suis pas trop tentée par les autres (l’histoire d’Ariane est Solal est belle mais il faut tout de même passer outre le style de Cohen qui est au moins aussi difficile d’accès que celui de Proust). En revanche je suis impatiente de voir l’adaptation. J’espère qu’elle va bien cerner les psychologies des deux amants car elles sont tellement complexes…
reading - 20th century