Châteaux en Espagne

Dec 16, 2008 21:13

Inquiétante sensation d'étrangeté à soi... Se lever le matin, comme un automate, faire le trajet habituel, saluer les mêmes personnes qui disent faire partie de votre vie mais dont vous ignorez tout, rire, travailler, rentrer, dormir, se lever, se distraire... On est comme pris dans un tourbillon dont on ne maîtrise rien. Les jours se suivent, et vous continuez à vivre, à faire semblant de vivre, comme une marionnette actionnée par les fils du Destin. J'ai toujours cru au Destin. Pas tant à l'idée que tout est déjà écrit mais que d'une manière ou d'une autre ce qui doit être écrit au fur et à mesure de votre vie le sera, quoi que vous fassiez. Ce Destin je l'ai béni parfois, remercié, adulé. Mais combien de fois l'ai-je détesté, interpelé, supplié ?

Quelles solutions nous reste-t-il ? On fait tous semblant. Semblant de vivre, semblant d'être heureux, semblant de préparer notre avenir pour qu'il soit meilleur, semblant d'être, tout simplement. Pedro Caldéron de la Barca, célèbre dramaturge espagnol du 17e, disait du monde qu'il est un vaste Théâtre où Dieu se plaît à diriger les Hommes, ses acteurs, pour leur faire jouer une sinistre comédie qui ne peut avoir qu'une seule issue : la Mort. Seule échappatoire : bien jouer son rôle pour accomplir son devoir chrétien. Je ne crois pas en Dieu, pas de chance ! Je ne peux même pas me raccrocher à ça.

Le Destin a deux alliés de poids... Les Regrets et la Solitude. Composantes de ma vie. Regrets d'être ce que je suis... Regrets de cette vie qui m'échappe. Regrets de mes illusions d'enfance. Regrets de mon romantisme excessif qui me donne des ailes et me lâche dans le vide quand il est sûr de me faire très mal. Regrets d'être si vivante et donc si vulnérable. Regrets de ne pas maîtriser mes sentiments. Et cette Solitude, ma meilleure ennemie, vaincue quelques mois... Revenue triomphante, toute fière de sa victoire et de mon échec cuisant. Accueillie avec soulagement dans les premiers temps, avec le sentiment de retrouver une partie de soi laissée de côté pendant près de deux ans... Mais il n'y a pas d'issue : elle vous accompagnera jusqu'au bout, oppressante et toute-puissante. Sentiment de vertige. Sensation de noyade au fond de l'Océan de la Vie avec deux lourdes pierres aux pieds, ces deux alliés du Destin qui vous retiennent prisonnier.

Et dans cette lutte acharnée perdue d'avance on a tous un allié qui se retourne toujours contre vous : l'Espoir. Quelle sinistre ironie ! L'Homme est le seul être vivant au monde à avoir conscience de son existence, de son passé, de son futur... Il s'accroche sans cesse à la bienheureuse illusion que demain est un autre jour, que la roue tourne. Encore une certitude biaisée... La Vie n'est pas une roue mais un pendule qui oscille sans cesse de la Désillusion à l'Espoir. Les plus chanceux mourront en le voyant pencher vers l'Espoir.

L'instinct de survie reprend parfois le dessus. Chacun ses issues de secours. Chacun ses drogues. Famille. Amitié. Amour. Je fais partie de ces gens dont on dit qu'ils n'ont pas à se plaindre. Ma Famille et mes Amis sont là. Mais ils ne peuvent pas m'aimer à ma place. Nul ne peut libérer les autres de leur prison de Regrets et de Solitude. On ne s'échappe pas de soi. A moins de construire sa propre forteresse. Dans mon cas c'est mon monde imaginaire, né il y a des années de cela comme chez tout enfant unique. On s'invente des rôles et surtout des interlocuteurs. On laisse libre cours à ses rêves, son romantisme, ces images de bonheur parfait. Aucune limite. Sentiment d'être toute-puissante, enfin ! Sentiment d'écrire un autre Destin, de mettre en scène sa propre vie, d'avoir le choix. Je deviens Autre. Nul n'est jamais pénétré dans ce Jardin Secret qui est le seul à me donner le sentiment d'exister en étant véritablement moi-même. Et nul ne peut me connaître complètement sans savoir de quoi il est fait. Bienheureuse Imagination qui comble les lacunes de ma vie, le vide affectif, les imperfections... Je ne vis pas : je passe ma vie à la rêver meilleure. C'est le seul moyen de trouver la force de continuer. Le seul moyen d'être heureuse. Un peu.

Mais le Destin ne vous abandonne pas si facilement. Il vous force à sortir de cet Eden. Il vous force à continuer. Et vous le faites. Vous le ferez jusqu'à la dernière seconde parce que vous n'avez pas le choix. Et je le ferai. J'assumerai tous ces Choix, je porterai le poids de mes Regrets, je donnerai la main à ma Solitude. Parce que je suis Adulte. Parce que je sais au fond de moi que mon Jardin reste ouvert à chaque instant, que je suis la seule à en avoir la Clef. Que je m'y sentirai bien. Quelques instants. Que j'y reprendrai des forces. Assez pour reprendre le combat. Assez pour jouer cette maudite pièce de théâtre. Avec une certitude, fondée cette fois : tout a une Fin. A vous de jouer le rôle comme vous l'entendez en attendant. Certains restent sur scène sans cesse car ils ont besoin du Public. Ils ont besoin des Acteurs, du Metteur en Scène. Pas moi. Quand ma présence n'est pas requise je m'échappe dans les Coulisses. A l'abri. Protégée par ce monde où mes illusions sont reines, où mon romantisme n'est jamais déçu. Elle est là, la Liberté.
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