Et dernière partie de ce chapitre. Excusez-moi encore pour tout ce découpage. A une prochaine update, les gens!
- C’est bon, les gars ! Je crois qu’on tient quelque chose là !
- C’est la troisième fois que tu dis ça, Keri, répliqua Yamato en secouant la tête, plus amusé qu’agacé.
Le guitariste eut une moue dépitée mais ne put s’empêcher de rire. Il passa ses doigts sur les cordes, puis recommença à jouer l’air principal de la chanson que Yamato avait écrite plus tôt dans la journée. Ce dernier, assis, vérifiait ses accords de basse. Wakaba, le batteur, fit tourner un instant ses baguettes entre ses doigts. Yuu, au synthé, tentait de nouvelles mélodies.
Ils étaient tous différents l’un de l’autre, et leur propre style apportait une touche fraîche et dynamique au groupe vieux de deux ans. Les Teenage Wolves étaient assez connus à Tokyo comme petit groupe de musiciens lycéens qui se produisaient autant qu’ils le pouvaient sur certaines scènes. Bien entendu, les membres ne cherchaient pas encore à percer et savaient tous que le groupe ne serait qu’un tremplin à leur carrière, si carrière il y avait.
Ils réunissaient au minimum une fois par semaine, voire jusqu’à quatre fois, notamment avant les concerts, dans une salle qu’ils avaient pu demander à un professeur de musique de leur lycée, lui-même guitariste. C’était un petit studio non loin de leur bâtiment scolaire, ce qui leur permettait d’y aller sans problème après les cours. En ce moment, pendant les vacances d’hiver, les membres avaient plus de temps libre et tentaient de trouver de nouvelles chansons pour le concert qui se déroulerait dans peu de temps.
- Si je le dis, c’est que c’est vrai, rétorqua Keri en passant une main dans ses cheveux châtain en bataille.
- Allez, au lieu de parler, fais-nous ton solo, Keri, répliqua Yuu en souriant.
C’était un jeune garçon aimable qui avait un petit quelque chose qui ressemblait à la fois à Koushiro et Jyou, bien que Yamato ne savait pas trop pourquoi. Sûrement ses lunettes et aussi son petit air concentré, mais très gentil.
- Je t’accompagne, vas-y commence, dit Wakaba en se préparant.
Il avait un visage aux traits bien taillés et était assez large d’épaules ; plus âgé que les autres membres du groupe, il s’occupait également des scènes et des détails d’ordre financier, ce dont Yamato était bien incapable.
Pendant que Keri et Wakaba peaufinaient leur partie, Yamato continua de gribouiller quelques paroles pour une chanson qui serait à préparer pour le prochain concert. Ce n’était qu’une ébauche, n’ayant même pas de refrain mais il savait qu’il tenait quelque chose.
Yuu alla le voir et lui prit sa feuille. Il était une des rares personnes capables de lire le travail inachevé de Yamato ; il avait un bon esprit critique et savait lui-même composer.
- Pas mal, dit-il après un moment de réflexion. C’est même… différent de ce que tu fais d’habitude, je dirais.
- Ah oui ? fit Yamato, étonné.
Keri et Wakaba avaient fini et écoutaient à présent leur ami qui relisait certains passages. Keri passait de temps à autre ses doigts sur les cordes, produisant un son vibrant dans la pièce.
- Soleil écarlate, tes yeux me fixent, et déjà je n’ai plus besoin de moi-même, je suis aveuglé…
Il se tut, relut le reste à voix basse.
- Oui, c’est différent d’habitude, dit-il sur un ton ferme. Tu n’écris pas comme ça normalement.
- C’est mauvais, tu trouves ? demanda Yamato.
- Non, non, pas mauvais du tout, c’est pas mal même mais disons… comment expliquer ça…
Keri prit la feuille, la lut à son tour, et à cet instant Yamato ne lui en voulut pas. Il avait besoin d’un avis et avait suffisamment confiance en ses partenaires pour les laisser regarder ses compositions. Keri passa ensuite la feuille à Wakaba qui la parcourut rapidement.
- Il y a plus de sentiments dedans, finit par dire Wakaba en rendant la feuille à Yamato. C’est différent ce que tu fais d’habitude car tu sembles vraiment ressentir ce que tu écris.
Yamato resta muet puis relut ce qu’il avait écrit. Il n’avait pas fait attention, c’était devenu tellement naturel pour lui de composer quand il se sentait inspiré qu’il n’avait même jugé bon d’examiner de plus près ce qu’il avait fait.
Soleil écarlate. Taichi. Ses baisers. Sa main sur la sienne, ce matin.
- Dans tes autres chansons, il est vrai que tu inventes parfois des trucs, mais c’est toujours bien. Là, je sais pas c’est…plus profond… plus sincère, aussi.
- Sans vouloir te vexer, je trouve que c’est même plus beau que ta chanson sur Sora, reprit Yuu avec un petit sourire gêné.
Yamato ne répondit pas au sourire. A présent, il savait que c’était le cas et ne trouvait pas cela drôle. Il avait écrit une chanson pour sa petite amie le lendemain de la victoire et lui avait chanté a capella. Elle en avait rougi, pleuré et déclaré en l’embrassant que jamais on ne lui avait fait plaisir comme ça. Et Yamato l’avait cru, et cru par conséquent que sa chanson avait été magnifique.
Mais, comme à l’image de Sora, la chanson était douce et avenante, mais elle ne dégageait pas de sentiment d’amour : c’était une affection chaude et rassurante qui était chantée, et non la passion capable d’emprisonner la raison. C’était différent, nouveau, c’était Taichi qui l’inspirait.
Taichi qui voulait être avec lui, avait été le seul qui avait eu suffisamment de courage pour franchir la limite. Et Yamato, désemparé, ne sachant que faire, avait compris à son tour : la limite devait être dépassée, et seulement par eux deux. Pour que tout ce qui avait été auparavant, leurs disputes et leurs joies, leur amitié et leur respect valent ce qui allait venir. C’était un terrain inconnu mais Yamato savait quelque part que c’était le bon chemin pour lui.
- A ce propos, comment ça va avec ta copine ? Toujours ensemble ? demanda Keri sur un ton mutin.
- Ca va, répondit Yamato d’une voix détachée. Ca va très bien.
« Si tu veux être avec moi, tu dois rompre avec Sora », fit la voix de Taichi, décidée et fière, aux oreilles de Yamato.
Non, ça n’allait pas, pas du tout. Il se sentait attiré par son meilleur ami, savait les sentiments de ce dernier pour lui, et la seule façon de pouvoir être ensemble, était donc qu’il rompe avec sa petite amie. Une sorte de bouffée de panique, aussi violente que courte, parcourut son corps et il se sentit presque vaciller.
- Allez, on va dire qu’on en a fini pour aujourd’hui, déclara vivement Yuu en regardant l’heure. On se revoit la semaine prochaine à 17h, comme aujourd’hui, okay les gars !
Les autres membres approuvèrent puis rangèrent leurs instruments et leurs affaires. Wakaba raconta une blague à Keri qui s’esclaffa et dans une bonne humeur, ils quittèrent tous le studio. Frappé par le froid du soir, Yamato frissonna. Il se sentait fatigué, éprouvé par l’enchaînement d’évènements qui s’étaient déroulés en l’espace de deux jours. Jamais il n’avait cru possible de ressentir un tel changement d’émotions en si peu de temps. Taichi. Sora. Le désir de l’un, l’affection de l’autre. Et la peur de se retrouver seul au bout du compte.
- Grand frère !
Surpris, il releva la tête et vit Takeru sur le trottoir, lui souriant avec énergie. Patamon, souriant comme son ami, battait l’air glacé de ses grandes oreilles, confortablement installé sur le bonnet de Takeru. Yamato répondit au sourire. Il quitta ses amis du groupe qui le saluèrent de la main, puis alla voir son petit frère.
- Ca fait longtemps que tu m’attends ? demanda-t-il, content de le voir.
- Non, non, je viens d’arriver, répondit Takeru en secouant la tête. J’ai fini mon entraînement de basket il y a dix minutes. Comme c’est sur le chemin de la maison, je me suis dit que ce serait sympa de te voir.
- Oui, c’est sympa.
Le ciel était déjà d’un noir d’encre, et les lumières des réverbères, ça et là, éclairaient les alentours d’une lueur jaune et brillante. Les magasins et les boutiques aux alentours faisaient passer des couleurs électriques dans les yeux de Takeru.
- J’ai faim, se plaignit Patamon en ronchonnant.
- Ah, oui, désolé, Patamon. Yamato, ça te dit de prendre un truc chaud à la maison ?
- Pourquoi pas ?
Sa basse sur son épaule, il sourit à son petit frère tandis qu’ils prenaient tous deux le chemin de l’appartement de Takeru. Yamato se sentait un peu gêné ; cela faisait longtemps qu’il n’y était pas allé et salué sa mère. Leurs relations s’étaient légèrement dégradées au cours des dernières semaines, pour la simple raison que sa mère n’aimait pas trop qu’il sorte avec Sora, ce qui était d’ailleurs surprenant, car elle l’avait toujours appréciée. Yamato laissait tout ça courir. Avec tout ce qui s’annonçait, il ne savait pas si son couple durerait. Au fond, quelle importance ?
Ils arrivèrent finalement dans l’immeuble, tous deux ne parlant pas. C’était néanmoins un silence agréable, calme, qui disait bien plus que des mots. Patamon gémit de nouveau en disant qu’il n’allait plus être capable de voler et Takeru, en riant, le prit dans ses bras et le porta jusqu’à ce qu’ils entrent dans l’appartement.
C’était un appartement différent de celui de Yamato, notamment pour l’atmosphère qui s’en dégageait. On sentait qu’il y avait une femme qui y vivait et s’en occupait, ce qui n’était pas la même chose que Yamato qui vivait avec son père et Gabumon.
Patamon alla se blottir sur le canapé, laissant Takeru préparer un petit encas.
- Maman n’est pas là ? demanda Yamato, surpris.
- Non, elle est à une conférence sur l’histoire de la biographie. Pour son travail.
- Ca doit être passionnant, soupira Yamato sur un ton ironique.
- Comme tu le dis. Enfin bon, ça la passionne quand même.
Takeru ouvrit le frigo, prit une bouteille de lait et resta un instant immobile, les yeux levés, comme à chaque fois qu’il tentait de se rappeler quelque chose.
- Dis, tu savais qu’elle compte publier un de ses recueils ? dit-il soudain, se souvenant enfin ce qu’il voulait dire.
- Non, non je ne savais pas, répondit Yamato, à la fois étonné et fier.
Sa mère avait toujours écrit, et malgré son travail de journaliste, ses petites nouvelles, ses fictions s’empilaient dans un tiroir de son bureau. Elle avait un style agréable, et ses histoires avaient toujours plu à ses enfants qui étaient ses premiers lecteurs. La nouvelle préférée de Yamato était « Golden Secret », et celle de Takeru « The one who knows ». Il était évident que ces deux nouvelles seraient publiées, et comme à chaque fois, leur seraient dédiées.
- Ca marche bien pour elle, son éditeur pense bientôt publier un autre de ses recueils, reprit Takeru, versant le lait dans un bol, avant d’y ajouter des céréales au chocolat.
- Je suis content pour elle, fit Yamato, souriant. Je suis impatient de pouvoir lire tout ce qu’elle a écrit.
- Et moi donc. Patamon, c’est prêt !
Le Digimon voleta jusqu’à la table et, affamé, se mit à dévorer les céréales que Takeru avait préparé pour lui. Quant aux deux frères, ils mangeaient une part de la tarte aux fruits que leur mère avait préparé la veille, avec un peu de thé.
- Ca change de chez papa, déclara Yamato après une bouchée. Faut dire aussi que c’est toujours moi qui fais la cuisine.
- Ca ne m’étonne pas, la seule chose que papa sait faire c’est les pâtes.
- Et encore, la dernière fois, les pâtes étaient bleues et dures. Il les avait fait cuire dans un récipient en plastique, ça a coulé partout.
Takeru éclata de rire.
- Tu risques ta vie tous les jours on dirait.
- C’est pour ça que c’est moi qui fais la cuisine. Je tiens à vivre encore un bout de temps.
Patamon rit à son tour, la bouche pleine de céréales. Takeru le gronda pour la forme avant de lui essuyer le museau avec une serviette en papier.
Yamato sourit, puis porta à ses lèvres sa tasse de thé. Il allait en boire une gorgée quand l’expression du visage de Takeru le stoppa.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
Takeru tressaillit. Il détourna les yeux, gêné. Patamon, devinant ses pensées, le remercia pour l’encas avant de voleter jusqu’à la chambre de son ami, laissant les deux frères seuls. Surpris, Yamato reposa la tasse qu’il tenait et fixa Takeru.
- Takeru ?
- Ex… Excuse-moi, Yamato. En fait…
Il se tut puis reprit d’une voix qui se voulait plus ferme.
- Tu es au courant pour Daisuke et Hikari ?
- Evidemment, tout le monde en parle, répondit Yamato, ne comprenant pas trop.
- Justement, reprit Takeru. Et ça ne plaît à personne, qu’Hikari n’ait rien dit plus tôt à propos de… nous deux, finit-il dans un souffle.
Yamato fronça les sourcils.
- Où est-ce que tu veux en venir ?
- Miyako, Iori et Ken nous évitent depuis qu’ils ont appris. Moi et Hikari. Je comprends pourquoi et je ne leur en veux pas, mais disons que c’est assez pénible.
- Tu veux que j’aille leur en parler ?
- Ah, non, non, reprit vivement Takeru, faisant un geste de la main comme pour dissiper le malaise. Je voulais juste te le dire, ça me tracassait, c’est tout. Je me sens désolé pour Daisuke, j’aurai dû lui avouer moi-même, mais je n’ai pas pu.
Yamato soupira longuement, s’appuyant contre le dos de sa chaise, allongeant ses jambes sous la table. Son thé avait refroidi et toute manière il n’avait plus soif. Les yeux bleus de Takeru s’assombrirent légèrement.
- De toute façon, ça ne change rien. On n’a pas été sympa avec lui.
- Ca passera, ne t’en fais pas, Takeru. Ah, tu es trop sensible, ça te perdra.
- Tu peux parler tiens, toi ! répliqua Takeru sur le ton de la moquerie.
- Idiot, soupira Yamato, un sourire narquois aux lèvres.
Il y eut un silence, ce silence apaisant et agréable qui semblait si bien faire passer tout ce qu’ils ressentaient. Et cette impression, ce sentiment de sécurité donna l’impulsion à Yamato d’avouer à son frère ce qui s’apprêtait peut-être à venir. Cela ne dépendait que de lui, seulement de lui.
- Takeru ?
- Oui ?
- Je pense que je vais rompre avec Sora.
Le dire à voix haute raffermit quelque chose d’instable en lui et, presque rassuré, il s’amusa à tourner la cuiller dans sa tasse froide. Takeru, abasourdi, avait les yeux écarquillés et dans un mouvement presque inconscient, il se pencha comme pour mieux entendre son frère alors qu’ils n’étaient pourtant séparés que par soixante centimètres.
- Qu… Quoi ? bégaya Takeru. Mais comment ça ?
Et dans son regard, Yamato comprit qu’il s’imaginait quelque chose de catastrophique.
- Non, nous ne sommes pas disputés, ni rien. Tout se passe bien.
- Mais alors, pourquoi ? Ca fait tout juste un mois, et vous allez l’air d’être bien ensemble !
Takeru était choqué et son frère comprenait bien. Sora et lui faisaient le couple idéal, aux habitudes toutes tracées, aux sourires et aux baisers tendres qui étaient jalousés par tant. Jalousés par Taichi.
- Ce n’est pas la faute de Sora, c’est moi, continua-t-il d’une voix calme, et cela le surprit lui-même. Je… Je suis attiré par quelqu’un d’autre. Et je ne veux pas tromper Sora.
- Attiré ? Qui est-ce ? Une amie de Sora ?
Silence.
- C’est Taichi.
Yamato s’en voulut pour le son de sa voix, qui parut à cet instant basse et nerveuse. Takeru demeura silencieux, incapable de dire quelque chose de convenable. Ni l’un ni l’autre ne parlèrent pendant un temps. Yamato s’attendait à tout à présent, mais l’avouer avait été comme un immense soulagement et ses pensées, d’un seul coup, semblaient plus claires et logiques. Peu importait maintenant.
« Si tu veux être avec moi… »
Et il avait envie de l’être, d’être avec Taichi. Cela sonnait tellement étrange, tellement décalé mais en même temps parfaitement normal, comme si les choses devaient se passer comme ça. Et il comprit, à l’instant même où Takeru le dévisageait, ses yeux bleus pleins de douceur troublés par la révélation, sa propre réaction lorsque Taichi l’avait embrassé pour la première fois. Il y avait répondu, malgré son choc, car c’était ce qu’il fallait faire. Car c’était Taichi, et seulement parce que c’était Taichi.
- Je ne comprends pas, Yamato, déclara finalement Takeru d’une voix douce. Toi et Taichi, vous êtes…
Il laissa sa phrase en suspens mais contrairement à ce quelqu’un d’autre aurait pu penser, Yamato sut qu’il tentait de trouver le mot juste et non à le blesser. Jamais Takeru ne cherchait à faire souffrir quelqu’un. Même sans le vouloir.
- On n’est pas ensemble, rectifia Yamato. Pas encore, ne put-il s’empêcher d’ajouter.
- Tu veux rompre avec Sora pour être avec Taichi, c’est bien ça ?
- Oui. Je ne peux pas laisser Sora comme ça. J’ai encore besoin de temps mais… je refuse de la tromper. Taichi est de mon avis.
- Dans tous les cas, elle sera blessée. Surtout si c’est à cause de Taichi.
- Je sais. Mais…
Il se tut, pensif. Les yeux de Taichi, sa voix, lui revinrent en mémoire.
- J’ai envie d’être avec Taichi, répondit-il après un instant de réflexion. Tu connais cette sensation, celle que tu ressens quand tout ce que tu ne voyais pas apparaît devant tes yeux, d’un coup, et devient réel ?
Takeru hocha la tête, sans pour autant comprendre tout à fait où son frère voulait en venir. Il avait cette expression particulière que Yamato aimait voir, un mélange de surprise et douceur qui semblait inciter les autres à se confier à lui.
- C’est ça, ce que je ressens maintenant pour Taichi, continua Yamato, pensif, et l’image de Taichi faisant un geste vers le ciel lui revint, éblouissante de clarté. C’est comme si depuis tout ce temps, je n’avais pas vu ce qui comptait pour moi, que je n’avais pas fait attention, ou alors que j’avais tenté d’oublier du mieux que je pouvais. Je ne sais pas trop comment expliquer ça mais… oui, j’ai bien des sentiments pour lui.
- Que tu aies des sentiments pour lui ne veut pas dire que ça va durer. Et qu’est-ce qui se passera si ça ne marche pas entre vous ? Que votre amitié en sorte brisée ?
Yamato sourit face aux questions de son frère, brutales mais justes. Qu’est-ce qui se passerait après, si jamais il y avait un « après » ? Si jamais et si… et si… Mais alors pourquoi s’inquiéter, se demander si le choix était bon ? Pas d’importance.
« Ose dire que tu ne veux pas de moi… »
Le regard de Yamato était si franc que Takeru sentit que ses remarques ne serviraient à rien. Et il comprit que ce Yamato, assis face à lui, semblait, d’un seul coup, bien plus heureux dans sa future démarche qu’il ne l’avait jamais été avec Sora. Car Takeru savait que Taichi avait quelque chose que la jeune fille n’avait pas, cette particularité qui faisait que le lien unissant les deux garçons était si spécial. Il l’avait bien senti, depuis le Digimonde. Ils partageaient tous deux une émotion indicible mais parfaitement visible par tous. Leurs disputes mais également leurs moments de camaraderie, cette relation impossible, mêlant rire et coup, insulte et compliment, ce respect toujours renouvelé et leur complicité inépuisable, tout cela formait une entité unique, qui vivait leur propre vie.
Et étrangement, le choc passé, il assimila les paroles de Yamato, tout à fait compréhensibles. Ce que les autres avaient peut-être inconsciemment vu s’était enfin réalisé. Et Takeru se sentit heureux, sans trop comprendre pourquoi. Heureux et soulagé.
- Quand est-ce que tu comptes dire à Sora que c’est fini entre vous ? demanda-t-il finalement, laissant tomber ses remarques précédentes.
- Je ne sais pas. Pas aujourd’hui en tout cas. J’ai encore peu de mal à réaliser moi-même tout ce qui s’est passé.
- Ce qui s’est passé ? fit Takeru sur un ton mutin.
- Tu ne veux pas savoir, répliqua Yamato sentant son visage s’empourprer contre sa volonté.
- Oh, alors vous en êtes déjà là…
- Mais pas du tout, idiot ! s’écria Yamato en frappant du poing sur la table, ses joues lui brûlant de plus en plus. A quoi tu penses, enfin ?!
Takeru détourna le regard en sifflotant, ce qui ne fit qu’agacer encore plus son frère. Puis, après un temps de suspens, il se mit à rire, cachant son visage de sa main droite. Surpris, Yamato le laissa faire. Quand Takeru retira sa main, il dévoila une expression rieuse et apaisée.
- Je suis content, avoua-t-il en riant encore.
Yamato ne répondit pas, étonné. Takeru le dévisagea encore un instant, son rire s’atténuant peu à peu.
- Même si je ne réalise pas encore tout à fait, je suis content pour toi, continua-t-il, soutenant son menton de la paume, une lueur pétillante dans ses yeux bleus. Tu as l’air heureux, et je sais que Taichi doit l’être également. Je te souhaite juste que ça marche, grand frère.
Yamato contempla le visage paisible de son frère et une bouffée de chaleur parcourut son corps, dissipant les dernières onces de nervosité et d’inquiétude qu’il pouvait encore ressentir. Takeru avait raison, il se sentait heureux, étrangement heureux après tout ce qu’il s’était passé. Le premier baiser de Taichi auquel il avait répondu sous l’impulsion féroce qui avait dormi en lui pendant trois ans, la main de Taichi sur la sienne et son sourire victorieux, intense de bonheur. Et d’autres images plus floues, anciennes, mais toujours là, de Taichi, encore, mais qui progressivement reprenaient place en lui, se rassemblaient et devenaient parfaitement logiques et naturelles.
Peu importait.
Il était heureux.
A suivre...