[one-shot] harry potter - Comment j'ai sauvé Théodore Nott, par George Weasley

Apr 24, 2009 14:03

Titre : Comment j'ai sauvé Théodore Nott, par George Weasley
Auteur : shono_hime
Fandom : Harry Potter
Personnages/Couple : George Weasley, Théodore Nott, George/Théo
Rating : G
Disclaimer : Tout est à JK Rowling.
Note : Ecrit pour taraxacumoff pour ecrirepouraider. Bonne lecture :)

Depuis la fin de la guerre, mon jour préféré avait toujours été le jeudi. Il y avait plusieurs raisons à ça. D'abord, et pas des moindres, Voldemort avait eu le bon goût de mourir un jeudi. Je vous vois venir, mon frère étant mort le même jour, j'aurais dû détester tous les jeudis de la création et choisir ce jour là pour m'abrutir d'alcool ou sacrifier des rats au démon de la Fraternité Brisée. Sauf que non. Nous autres, les Weasleys, et surtout Fred et moi, avions pour nom de baptême Contradiction. Il y avait juste eu une petite erreur de transcription au Ministère, voilà tout.

Le jeudi, donc. Sacré jour, le jeudi. C'était le jour de la bande-dessinée satyrique de la Gazette, et je me fendais régulièrement la poire face aux dessins plutôt pas mal de mon ex futur beau-frère, Dean Thomas. C'était aussi le jour de réapprovisionnement de stock à Honeydukes. Difficile de résister, surtout pour un éternel adolescent comme moi. Et puis enfin, et surtout, c'était le jour du passage de Théodore Nott.

Il était réglé comme une horloge, celui là. Tous les jeudis, invariablement, à 10 heures du matin, il traversait la place, passait devant ma boutique et venait poser trois fleurs devant le Mémorial. Avec le temps, et à l'aide d'un de mes derniers gadgets, une variante visuelle des Oreilles à Rallonge toujours en attente d'un nom accrocheur, j'avais réussi à distinguer où il plaçait les fleurs. Tout d'abord devant le nom de Snape, rien d'étonnant à ça. Si moi je glorifiais le démon de la Fraternité Brisée, lui devait ramper devant celui du Serpentard Bafoué. Ensuite, une devant le nom de Remus, ce qui était plus étonnant et me laissait perplexe. Et enfin, la dernière devant celui de Draco Malfoy, un peu plus loin.

« Je te dis qu'ils couchaient ensemble ! » argumentait Fred pendant mes petites séances d'observation.

Je devrais sans doute mentionner que malgré son décès, mon adorable jumeau continuait de me hanter à tel point qu'il était là, un fantôme visible de moi seul, donc certainement pas un vrai fantôme, malheureusement, mais bien présent, à me faire part de ses commentaires sur ce qui m'entourait. Il avait toujours trop parlé, pourquoi est-ce que la mort changerait ça ?

Tandis que Fred se perdait en élucubrations graveleuses, j'observais Nott payer son hommage hebdomadaire à aux disparus puis lever invariablement la tête vers la haute maison abandonnée, un peu plus haut. Après la guerre, quand Pré-au-Lard avait commencé à se reconstruire, cette maison là était restée à l'abandon. La vieille dame qui y habitait était morte d'une crise cardiaque en apercevant la Marque dans le ciel, à ce qu'on racontait, et son seul héritier, un moldu, n'avait évidemment jamais trouvé le chemin qui menait à son héritage.

Tous les jeudis, après avoir fleuri le Mémorial, Nott allait dans cette maison et montait au deuxième étage. Là, appuyé contre le rebord branlant d'une fenêtre, il regardait en bas.

« Allez, une noise qu'il saute, cette fois ! » pariait invariablement mon frère.

Ne me demandez pas ce qu'il ferait d'une noise, vu qu'il est mort. Il avait toujours été vénal, je ne vois que ça.

Mais Nott ne sautait pas. Il restait là, toute la matinée, et quand deux heures sonnaient, il redescendait et quittait le village, aussi discrètement qu'il était venu.

J'étais prêt à parier, en me levant, ce jeudi de juin, que ce jour-ci ne ferait pas exception.

« Debout, debout, Georgie ! gazouilla Fred en flottant juste au dessus de ma tête. Dépêche-toi, il est jeudi et le jeudi, c'est le jour où l'amour de ta vie passe par ici ! »

Sans répondre aux pitoyables talents de poète de mon fantôme personnel, je me levai en baillant. Je n'étais pas vraiment amoureux de Nott. Fred avait juste tendance à exagérer le fait que je m'intéressais à lui et rêvais de l'inviter à dîner...uniquement pour le remplumer parce qu'il faisait peine à voir. Sans doute un gène transmis par ma mère.

Une tasse de thé, un toast et un œuf au plat, et j'étais d'attaque pour la journée. Fred et moi nous esclaffâmes un moment sur la bande-dessinée du jour sur la Gazette, et partageâmes la conviction profonde que Dean aurait fait un meilleur beau-frère.

«Il a un bien meilleur sens de l'humour !
- Et il dessine mieux. Tu te souviens la dernière fois qu'Harry a eu une idée de gadget et qu'il a essayé de le schématiser ?
- Tu lui as demandé s'il voulait qu'on ouvre une section sex-shop ! »

Fred se mit à hurler de rire et je le rejoignis volontiers. Je n'avais aucun scrupule à lui répondre. Même s'il n'était qu'une création de mon cerveau un peu secoué par la guerre et ses conséquences, je n'allais pas cracher sur un peu de compagnie et de bonne humeur. C'était dur, parfois, de se sentir si seul. Je ne crois pas que mes parents ou ma famille comprenaient vraiment ce que l'absence tangible de Fred me faisait. Comment auraient-ils pu ? À moins d'avoir un jumeau soi-même, il n'était pas possible de comprendre le trou béant laissé par sa disparition. Évidemment, je ne leur parlais pas de mon colocataire imaginaire. Je ne voulais pas finir à Sainte-Mangouste, à tenir la main à ce bon vieux Lockhart !

«Je parie que tes livres auraient du succès comme les siens, n'empêche, intervint Fred qui, en plus de flotter et d'être invisible, avait la capacité parfois irritante de lire dans mes pensées. Tu imagines ? "Mon frère fantôme et moi"!
- Je suis sûr que Maman adorerait autant que ceux de Locktarte ! répliquai-je, ironique.
- Tout best-seller a ses détracteurs, mon grand. »

Sans lui répondre, je passai sous la douche. Bien sûr, il était là, derrière le rideau, certes, mais quand même dans la pièce. Je ne m'en souciais pas plus que ça. S'il était effectivement qu'une illusion, quelle importance ? Et si, par une magie dont j'ignorais tout, il ne l'était pas, il s'agissait de mon frère jumeau. On avait partagé un utérus pendant 9 mois, difficile de faire plus intime !

« Je ne suis pas sûr d'apprécier l'endroit où vont tes pensées, Georgie...
- Alors ne les suis pas, rétorquai-je en ouvrant le rideau. Et arrête de m'appeler Georgie. Tu ne faisais pas ça tout le temps, de ton vivant.
- Hey, je suis mort, je te rappelle ! J'ai perdu une bonne partie de mes possibilités de t'irriter, alors je fais avec ce que j'ai. »

Logique imparable. Avec un soupir fatigué, je me séchai et entrepris de me raser.

« Tu sais ce que je pense ?
- Non, malheureusement, le privilège est à sens unique.
- Que tu devrais aller parler à Nott. Un de ces jours, il va vraiment finir par repeindre le perron de la baraque, et il n'y aura personne pour nettoyer. »

Je le foudroyai du regard dans le miroir. Je ne savais pas pourquoi il avait décidé de jouer les marieuses, mais il avait encore moins de subtilité que Lavande Brown quand elle gloussait sur son Won-Won adoré.

« Attention où tu regardes avec un rasoir à la main, Georgie, me sermonna innocemment Fred. Ce serait idiot de perdre ta deuxième oreille. »

Malheureusement, Fred était complètement imperméable aux insultes. Les rares fois où j'avais essayé, il m'avait conseillé la vie de couple. Ou de retrouver mon sens de l'humour. C'était très insultant.

Une fois ma toilette terminée, je terminai de me préparer pour pouvoir ouvrir le magasin à l'heure. Tandis que je descendais pour ouvrir le rideau de la devanture, Fred eut un grognement pensif.

« Dis donc, j'y pense... Ca fait un an.
- Un an que quoi ?
- Que je suis mort héroïquement et le sourire aux lèvres, mon grand. Révise ton calendrier ! »

Je ne répondis rien, la main posée sur la poignée de la porte. Un an, déjà. Ou bien devrais-je dire un an à peine ? Dire qu'un an plus tôt, je me voyais mourir de la douleur déclenchée par l'absence de Fred. Aujourd'hui, la douleur était toujours là, mais elle n'était plus étouffante. Elle était lancinante et laissait un goût amer dans la bouche.

« Ca m'étonnerait que Nott aie vécu aussi bien que toi la chose, observa Fred, me ramenant à la réalité.
- Tu sais que ça vire à l'obsession, là ?
- Peut-être que je ne suis que le reflet de ta propre obsession pour ce pauvre Théodore aux yeux tristes ! Hey, George, tu m'écoutes ? »

J'étais entré dans le magasin sans rien répondre à cet ennuyeux fantôme.

Un an... Je me mis à la place de Nott. Le visage douloureux de ce dernier quand il fleurissait le nom de Malfoy parlait d'un coeur brisé. Et je me demandais comment il vivait, lui qui n'avait plus de famille. Je trouvais du réconfort chez mes parents et mes frères et sœur, quand la douleur était trop forte. Je pouvais parler avec eux. Les serrer contre moi pour pallier à l'absence de mon jumeau. Mais Nott, qui avait-il ? Que lui restait-il pour continuer à s'accrocher ? Et si George avait raison ? Et si c'était trop pour Nott ?

« Sauve-le, Georgie ! »

Plus facile à dire qu'à faire... Il ne me connaissait pas, et à dire vrai, je ne le connaissais pas non plus. Tout ce que je savais de lui, je l'avais découvert en l'observant. Quels arguments pouvais-je trouver pour le convaincre de vivre dans le cas où il chercherait effectivement à en finir ? Au mieux, il m'ignorerait. Au pire, il m'enverrait sur les roses.

« Pleutre ! m'accusa mon frère d'un ton exagérément pincé, m'arrachant un sourire.
- Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu insistes à ce point ? Je ne fais pas de déni, je ne suis pas obsédé par Théodore Nott ! »

Chose très rare, Fred ne me répondit pas tout de suite. Je tournai la tête vers lui après avoir ouvert le magasin. Il ne flottait plus, ce qui tenait également du miracle. Debout face à moi, les mains dans les poches d'un pull orné de son initiale, il paraissait tellement vivant qu'un instant, des larmes me montèrent à la gorge. Je réprimai ce trouble avec difficulté, tandis qu'il ouvrait la bouche pour parler.

« Peut-être que je n'ai pas envie que tu sois tout seul ?
- Arrête les hypothèses, Fred.
- Mais je suis une hypothèse. Tu ignores si je suis réel ou pas, et je ne peux pas t'éclairer là-dessus. Suis-je une simple illusion, une façon pour toi de fuir la réalité ? Si c'est le cas, alors je ne suis que ton esprit profond qui te pousse à faire ce que tu désires. Ou bien suis-je réellement un esprit, visible de toi seul pour une raison obscure ? Dans ce cas, je suis ton frère. Et ton frère ferait ce qu'il estime être le mieux pour toi. »

Il écarta les bras en signe d'impuissance.

« Je suis transparent et je flotte, George. Je ne peux rien faire de concret pour toi à part te faire rire et me moquer de toi. Tu aimerais pouvoir me toucher... T'es-tu déjà dit que ça pourrait être mon cas aussi ? »

Je secouai négativement la tête, l'air presque piteux. Il sourit.

« Je suis déjà mort. Tu ne peux plus rien pour moi. Mais toi, tu es toujours vivant, alors arrête de te raccrocher à un fantôme pour seule compagnie. Idiot. »

Tandis que je le dévisageais, il eut un sourire malicieux et tendit théâtralement le bras vers la porte.

« Alors va ! s'exclama-t-il, en imitant très certainement Dumbledore ou un autre vieillard grandiloquent. Sauve l'amour de ta vie, George Weasley ! En souvenir de ton frère, le Magnifique, le Courageux, le Superbe Fred ! »

Le premier client de la journée me trouva en train de m'esclaffer devant le rayon consacré aux aides à la triche.

Pendant une heure, je m’affairai et je rangeai le magasin tout en réfléchissant. Fred donnait comme à son habitude son avis sur l'apparence, les vêtements ou les propos de toute personne entrant dans la boutique et je l'écoutais d'une oreille absente, généralement plutôt d'accord avec lui. Je ne savais pas ce que j'allais dire à Nott, mais j'allais effectivement devoir aller lui parler. Les minutes s'écoulaient sans que je trouve des arguments. De temps en temps, Fred me donnait une suggestion. Il était beaucoup moins verbeux et sensible que lors de son grand discours un peu plus tôt.

Et puis dix heures sonnèrent et il fit son apparition sur la place. Pâle et vêtu de son gris habituel, Théodore Nott, une poignée de fleurs à la main, entreprit de payer ses hommages à ses défunts. Je l'observai de l'entrée du magasin. Il avait l'air absent mais étrangement serein. De loin, je le vis poser une main à plat à côté du nom de Draco Malfoy et sentis sur moi le regard entendu de Fred.

Quand Nott s'engagea sur le chemin qui menait à la maison à l'abandon, je fermai la boutique pour le suivre. L'air était chaud et j'étais seul. Fred était resté dans le magasin, arborant la mine satisfaite d'un marionnettiste suite à un bon numéro.

Nott était déjà là-haut, mais il regardait vers le ciel au lieu d'observer le sol, comme un candidat au suicide aurait pu le faire. Je ne savais pas si je devais en être rassuré. Sans doute me vit-il pénétrer dans la maison, mais il ne m'empêcha pas de l’y suivre. Les marches grinçaient comme je m'y étais attendu, ce qui rendait de toute façon toute approche discrète impossible.

« Tu es perdu, Weasley ? »

Il ne se tourna pas vers moi pour autant. Je le rejoignis et m'accoudai à la balustrade, imitant sa position.

« Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-il, mais son ton était indifférent tandis qu'il regardait vers le ciel, comme s'il était déjà là-haut.
- Bonne question ! » répondis-je avec un sourire, même s'il ne me regardait pas.

Il n'insista pas, apparemment insensible à ma présence même. Je ruminai un instant un vague ressentiment avant de me reprendre. Après une brève hésitation, je finis par renoncer à la subtilité.

« Ne saute pas, lui dis-je.
- En quoi ce que je fais te regarde, Weasley ? répliqua-t-il sans chercher à nier.
- En rien, c'est vrai. Ca ne m'empêche pas de ne pas être d'accord.
- Je note ton opinion. Maintenant laisse-moi. »

Je secouai négativement la tête.

« Je ne peux pas. Ca ferait une mauvaise publicité au village. J'ai des clients, moi ! »

Son regard peu sympathique m'apprit qu'il n'avait pas apprécié la plaisanterie. Mais au moins me regardait-il, à présent. Il allait ouvrir la bouche, sans doute pour m'envoyer à nouveau sur les roses, mais je le devançai.

« Non, sérieusement, pourquoi est-ce que tu ferais ça ?
- Quoi, si je me justifie suffisamment bien, tu me laisseras tranquille ?
- Non, mais au moins j'aurai de la matière pour trouver des arguments contre. »

J'arborais un sourire loin d'être sincère, mais je priais pour qu'il ne s'en rende pas compte, trop pris dans ses pensées suicidaires de Serpentard dépressif. Je continuai.

« Tu crois qu'il voudrait que tu te fiche en l'air comme ça ? »

Il ne me demanda pas de qui je parlais. Je pris ceci pour une première victoire, mais ses mots me firent vite déchanter.

« Je ne fais pas ça pour Draco, expliqua-t-il à voix basse. Je ne suis pas suffisamment ahuri pour croire honnêtement qu'il m'attend dans un monde meilleur. Draco est parti, pour toujours, et même la mort ne nous réunira pas.
- Alors... pourquoi ? »

Je n'aimais pas cette conversation, la facilité apparente qu'il avait à me parler et qui me donnait l'impression de recueillir les dernières paroles d'un mourant, mais s'il fallait en passer par là pour le convaincre de ne pas aller jusqu'au bout, j'étais même prêt à prendre l'air compatissant face à ses traits douloureux à l'évocation de Malfoy. Quelque part, je ne faisais même pas semblant.

« Il était tout ce que j'avais, murmura-t-il, la gorge serrée. La seule personne à me connaître vraiment et surtout la seule personne à tenir encore à moi malgré cela. Et maintenant qu'il est parti... Je n'y arrive plus. À chaque instant, je voudrais me tourner vers lui, le sentir contre moi... La douleur ne me quitte pas. Dès que je me lève le matin, jusqu'à ce que je m'endorme. Et il n'y a personne pour comprendre, personne pour l'apaiser. Mais tu sais probablement ce que c'est. »

Je le savais. Je l'avais ressentie également, cette douleur étouffante. J'avais éprouvé la solitude terrible qu'il évoquait. Mais juste un temps, jusqu'à ce que mon esprit crée un fantôme prêt à prendre la place de mon frère. Nott, apparemment, était trop pragmatique pour recourir à ce genre d'échappatoires mentales.

« Je n'y arrive plus. Je n'arrive plus à me dépêtrer de cette souffrance et du vide qu'il a laissé en moi. Je pensais... j'espérais que peut-être, les choses s'arrangeraient avec le temps, mais ça n'a pas été le cas.
- Ca fait juste un an, fis-je remarquer.
- Mais je ne supporterai pas ça un an de plus.
- C'est un peu facile, non ? Si tout le monde devait abandonner après avoir perdu un être cher, on ne se bousculerait pas sur la planète, non ? »

Il se tourna complètement vers moi, le regard furieux et plus vivant que je ne l'avais vu jusqu'alors. Peut-être que Fred avait raison et peut-être que j'avais un vague béguin pour Nott, parce qu'il me parut magnifique. Un instant, je fus bien embêté, puis ma détermination grandit.

« Je suis vide ! Je suis seul ! Tu as peut-être une famille avec qui partager tout ça, mais ce n'est pas mon cas.
- Tu n'es pas le seul Serpentard survivant, quand même !
- Oh, bien sûr, laisse-moi réfléchir : je n'ai aucune famille encore en vie, Blaise et Daphné sont mariés pour le plaisir de pouvoir s'entre-détruire, Pansy est internée à Sainte-Mangouste et Crabbe et Goyle mangent les pissenlits par la racine. Tu as raison, ça me fait énormément de monde auprès de qui épancher mon pauvre cœur blessé ! railla-t-il avec un talent indéniable pour l'ironie. Alors dis-moi, Weasley, pourquoi je vivrais ? »

Il y avait quelque chose de désespéré dans sa question. Moi, j'étais désespérément en train d'essayer d'y trouver une bonne réponse.

« Et surtout, parce que je suis franchement curieux, dis moi pourquoi essaies-tu de m'en empêcher. Tu ne me connais pas, à part pour m'avoir observé tous les jeudis matins depuis plus de six mois.
- Justement, m'entendis-je répondre avant d'avoir réfléchi. Je veux te connaître.
- Je te demande pardon ?
- Je veux... je veux savoir ce que tu fais pour te distraire, si tu as un parfum de glace préféré. Je veux savoir comment tu manges tes œufs le matin au petit-déjeuner et quelle est ta saison favorite. Je veux savoir si tu aimes les farces et attrapes... Et je veux savoir à quoi ressemble ton sourire. »

Nott avait l'air tellement surpris que ma gêne diminua un peu. Je devais au moins avoir l'air aussi stupide que lui, mais je n'étais pas seul. Et surtout, surtout, je me rendais compte à quel point je pensais tout ce que je venais de lui dire. Je ne voulais pas qu'il meure. Je voulais lui rendre le sourire, je voulais qu'il s'en sorte comme je m'en étais sorti.

« Weasley, soupira-t-il, et je me jurai que si j'arrivais à le convaincre, j'allais lui apprendre à soupirer mon prénom. Beaucoup plus gratifiant. Aussi flatteur que ça puisse être, ça ne me donne toujours pas de raison de vivre.
- Déjà, soyons précis sur les termes, répliquai-je, encouragé. Tu ne veux pas mourir, n'est-ce pas ? Tu ne sais juste plus comment vivre. »

Il hocha la tête de mauvaise grâce et mon envie de le voir sourire augmenta. C'était du travail, ce gars-là, tout de même !

« Tu sais, quand Fred est mort, j'ai ressenti ça, moi aussi. Mais tu sais ce que j'ai fini par réaliser ? demandai-je, et il secoua la tête. Qu'il n'était plus là, mais que moi j'étais toujours là. Qu'il ne vieillirait pas, qu'il ne visiterait pas ces endroits dont on parlait, qu'il ne testerait pas les inventions dont on rêvait, qu'il... ne goûterait pas aux plats qui nous rendaient curieux. Et qu'il allait falloir que je le fasse pour nous deux. Je me suis dit qu'il serait là, quand je visiterais les États-Unis, quand j'inventerais la meilleure boule puante du siècle et quand je goûterais aux cuisses de grenouille
- Il ne perd rien, me coupa Nott d'un ton très sérieux. Ca a un goût de poulet mal cuit. Si tu veux découvrir la cuisine française, essaie plutôt les escargots, c'est beaucoup plus goûteux. »

Je me mis à rire.

« Tu vois ? Je vais avoir besoin de toi pour ça !
- Tu plaisantes, j'espère ? Tu veux que je reste en vie simplement pour t'accompagner dans tes découvertes culinaires ? Tu rêves, Weasley !
- Et pourquoi pas ? Ton seul argument, c'est que tu n'as personne avec qui partager ta peine. Je suis là, moi. Et je sais ce que tu ressens. Tu aimais peut-être Malfoy, mais Fred était mon frère jumeau. Ca se vaut, non ?
- La douleur ne se mesure pas, Weasley, rétorqua-t-il à voix basse, et j'eus l'impression qu'il plaçait la mienne au dessus de la sienne, ce qui me laissa une impression bizarre.
- D'accord. N'empêche que si tu en veux, des raisons de vivre, je t'en donne, moi ! Tiens, je t'ai dit que je voulais te voir sourire, pas vrai ? Et je parie que toi, tu t'ennuies à mourir, seul chez toi le soir ? Et bien on peut s'arranger pour régler tout ça ! Il faut que tu viennes travailler à la boutique avec moi ! »

Je retins un nouveau rire. Nott avait les yeux qui lui sortaient de la tête tellement il me regardait d'un air ahuri.

« Répète ça pour voir ? réussit-il à articuler au bout de quelques secondes.
- Ca me paraît logique, il faut que je teste mes gadgets sur toi. Si j'en trouve un qui te fait rire, ce sera la vente du siècle !
- Weasley, tu délires complètement si tu crois que j'envisagerais même une seconde de venir jouer les victimes désignées dans ton magasin.
- Appelle-moi George ! répliquai-je avec mon plus beau sourire. Et pourquoi tu ne viendrais pas ? Sérieusement, tu as mieux à faire ? Je veux dire, à part te morfondre dans ta solitude et les souvenirs de Malfoy ? »

Pendant une seconde, il ne répondit rien. J'avais touché juste et je le savais. C'était évident, à voir son air à la fois renfrogné et triste. Théodore Nott était infiniment seul et sa solitude était ma meilleure alliée.

« Allez, le cajolai-je. Qu'est-ce que tu risques ?
- Une couleur de cheveux non prévue ou un nez qui s'allonge ? hasarda-t-il, pince-sans-rire.
- Détails, balayai-je avec un geste de la main. Tu n'as pas vraiment envie de faire ça, de toute façon. Sinon, tu l'aurais déjà fait.
- Tu te trompes. J'attends juste que le soleil se couche. »

Il leva à nouveau les yeux vers le soleil qui approchait lentement de son zénith. Je me fis intérieurement la remarque qu'il avait encore le temps mais je réussis à rassembler assez de diplomatie pour garder mes opinions pour moi.

« Pourquoi ? demandai-je maladroitement. Il... est mort au coucher du soleil ?
- Je n'en sais rien. Il était déjà mort quand on l'a trouvé, murmura Nott.
- Alors ?
- C'est un symbole, d'accord ? »

Je devais avoir l'air aussi paumé qu'un Leprechaun dans un concours de top model, parce qu'il détourna le regard et éclaircit ses propos à mi-voix.

« J'ai l'impression que ma vie n'a aucun sens. Même à mes yeux, elle ne représente rien. Alors je voulais... » tenta-t-il d'expliquer, avant de s'interrompre et de se passer une main dans les cheveux, me donnant envie de faire de même.

J'émis un léger bruit de gorge pour l'encourager à continuer, incapable d'en dire plus par l'envie subite qui me venait de le serrer dans mes bras. Bon sang, la guerre m'avait aussi sacrément abîmé.

« Mourir au crépuscule... je trouvais que c'était une jolie image pour quelque chose d'aussi vide et futile que ma vie.
- Laisse-moi t'aider. Ce serait dommage de mourir comme ça, non ? »

À défaut de le serrer dans mes bras, ce qui l'aurait certainement poussé à sauter pour de bon, je tendis la main et la posai sur son épaule. Il y avait un petit bout de peau découvert par le col mal mis de sa chemise qui semblait quémander de l'attention. De mon pouce, je saluai cette parcelle de chair et je le sentis frissonner.

Il ne répondit rien à ma question.

Tout l'après-midi, je lui parlai de mes dernières inventions.
Ensemble, nous regardâmes le soleil se coucher.

FIN.

genre: slash/yaoi, type: fic, fandom: harry potter, statut: one-shot, commu: creerpouraider

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