[Fic] Les valeurs de Matches Malone : Prudence

Feb 16, 2009 09:12


Titre : Les valeurs de Matches Malone
Auteur : Mokoshna
Fandom : Batman
Crédits : Batman est la création de Bob Kane et la propriété de DC Comics (sans parler des dizaines d'auteurs qui ont participé au mythe).
Avertissements : UA, Gen
Blabla de l'auteur : Matches Malone existe dans les comics de Batman, même si vous n'avez pas besoin de le connaître pour cette histoire. Je n'ai jamais lu les comics en question, je ne fais que réinterpréter le personnage.


Chapitre 1 :
Prudence

Matches était dans de sales draps. Pire que ça, il était carrément dans la merde, oui ! Mais quelle idée il avait eue de venir seul chercher ce taré de Joker ! On pouvait pas se fier à un méta, avait dit Long. Trop dangereux. Ils avaient rien que des trucs tordus dans la tête et assez de pouvoirs bizarres pour vous expédier en enfer si ça leur plaisait.

Enfin, c'était un peu tard pour faire marche arrière, pas quand le criminel le plus dangereux de Gotham sautillait vers vous en souriant de toutes ses dents. Gambadait, même. C'était dégoûtant. Sa bouche déformée fascinait Matches, mais il n'osait pas attarder trop ses yeux dessus de peur de foutre le Joker en rogne. On savait jamais : il était peut-être susceptible. Bon sang, pourquoi est-ce qu'il n'avait pas demandé plus de détails sur la personnalité de ce type ? Il savait par les ragots de bars que c'était un clown fou à lier qui prenait son pied à tout casser et à laisser une traînée de cadavres derrière lui, mais enfin, c'était le cas de pleins de criminels en général et de méta en particulier, hein, il y avait pas de quoi se chier dessus. Ce que Matches n'était pas loin de faire après avoir plongé ses yeux dans ceux du Joker.

Garder son calme. Il fallait pas montrer à ces tarés qu'on avait peur d'eux, ou alors ils s'en servaient contre vous. C'étaient comme des animaux sauvages : si on leur laissait la moindre emprise sur soi, c'était fini. Matches se força à rester immobile au lieu de s'enfuir en courant comme le lui dictait son instinct de survie. De toute manière, il sentait bien qu'il n'aurait pas pu aller bien loin. Et maintenant ? Attendre que le Joker soit sur lui, qu'il l'égorge avec une carte à jouer ? Super. Autant se tirer une balle, c'était déjà plus propre.

- T'as d'beaux yeux, tu sais, haha, caqueta le Joker qui s'arrêta à moins d'un mètre de lui. Et une moustache, comme une rivière de poils, plus petits. Ça donne envie... de plonger les mains dedans !

Il battit des mains, ravi. Drôle d'entrée en matière, pensa Matches. Il ne put réprimer un frisson. Ce type était fou ! Ça, il le savait, mais ça ne servait à rien de se le répéter comme ça. Il chercha une issue des yeux. Il n'y avait que la porte par laquelle il était entré, et éventuellement ce gros trou dans le toit, mais il n'était pas le Batman, il ne savait pas voler... Ok, il devrait faire avec le Joker.

- Je suis Matches Malone, réussit-il à articuler, la voix toute tremblante. Je... euh... je suis là pour du boulot. Y... paraît qu'vous recrutez ?

Le Joker éclata d'un rire hystérique. Puis, tout en tournoyant autour de Matches, il récita :

- Je suis la Reine d'Angleterre ! Agenouille-toi devant ma suprême royauté ! La couronne ne me va pas, j'ai l'air d'avoir du bide.

Matches ne savait pas trop quoi penser. C'était peut-être un critère de sélection ? S'il arrivait à rester dix minutes dans la même pièce que ce type sans s'enfuir en courant dans la nuit, il passait l'exam et devenait l'un des hommes de main du Joker ? Autant rester un peu, on ne savait jamais, mais quand même, il lui foutait les jetons, ce type et ses vêtements de cirque et ses manières incompréhensibles... sans parler de sa face toute blanche...

Matches s'inclina légèrement, comme pour saluer un roi, tout en gardant les yeux rivés sur le Joker qui pouffa sans discontinuer. Qu'est-ce qu'il y avait de si drôle ? Il faisait pas ce qu'il fallait ?

- C'est comme ce conte avec un cheval qui parle, siffla le Joker, et cette cruche qui perd son mouchoir... tu sais, celle qui ressemble à Harley ?

- Harley Quinn ? s'étonna Matches. Vot' femme ?

- Ou celle de la plante en pot.

- Quelle plante en pot ?

Cette fois, Matches ne comprenait plus rien. Le Joker s'arrêta net devant lui, sourire gainé de rouge, le poing serré contre sa poitrine. Il frappa Matches, le faisant rouler dans la poussière.

- Je déteste la vérité, dit-il solennellement. C'est tellement plus amusant de mentir, tu ne trouves pas ?

Et il aida Matches à se relever, le tira par la manche, comme un poids mort. Matches n'osait plus bouger. Il laissa le Joker le traîner jusqu'à une pièce emplie de poussière, apparemment une ancienne loge. Le miroir était opaque, opaque. Matches essaya de ne pas trembler quand le Joker l'assit dans l'unique fauteuil branlant de la loge, pile en face de la coiffeuse.

- Je n'aime pas cette moustache. Tu l'aimes, toi ?

- Ben, j'lai toujours eue...

- Tût, tût, tût. Tu as besoin d'un bon relooking. Regarde-moi ça ! Tu ne t'es pas arrangé avec l'âge, mon garçon ! Que dirais ta mère si elle te voyait ?

Matches n'osa pas répondre qu'elle s'en fichait bien, puisqu'elle était six pieds sous terre depuis belle lurette. Le Joker lui parlait comme à un gamin qu'il n'aurait pas revu depuis des années. Il était complètement dingue ! Il fallait absolument que Matches s'échappe !

Le Joker lui tapota la joue, alla même jusqu'à lisser le haut de son crâne avec un peu de salive sur ses doigts. Matches se raidit, agrippa les bras de son fauteuil. Le Joker posa un béret scintillant sur ses cheveux verts, rajusta la fleur rouge sur sa veste et entreprit de nouer un linge autour du cou de Matches. Un barbier. Avant que Matches n'ait pu réagir, il agita devant lui une paire de ciseaux et un peigne fin qu'il avait sortis d'un tiroir. Un barbier, pas de doute. Un brin taré et un criminel par-dessus le marché. Matches se surprit à renouer avec la religion en cet instant. Jésus-Marie-Joseph, faites qu'il veuille seulement me couper la moustache ou me rafraîchir la frange. Notre père qui êtes aux cieux, je ne veux pas me faire égorger par un clown dément avant d'atteindre mes quarante ans. Amen.

Plusieurs coups de peigne et de ciseaux plus tard, le Joker jeta ses instruments au sol, apparemment satisfait. Matches ouvrit prudemment les yeux. Il n'avait mal nulle part. C'était bon signe, non ?

- Tadaaa ! s'écria le Joker en lui enlevant le linge qu'il avait autour du cou. Propre et neuf !

Matches se regarda dans la glace... et ne vit rien. Il était bien trop piqué, ce miroir. Le Joker soupira, exaspéré, et sortit de sa poche un miroir de poche qu'il brandit d'un air victorieux devant Matches.

- Tadaaa ! insista-t-il avec une grimace.

Par réflexe, Matches se mit à applaudir. Le Joker parut tout à fait content. Il retira son miroir avant que Matches ne pense seulement à regarder dedans, mais c'était très bien comme ça parce qu'il n'était pas pressé de savoir ce que ce dingue lui avait fait, en fait.

- On fera quelque chose de toi, mon petit.

Et sans prévenir, le Joker disparut dans la nuit. Matches attendit un bon quart d'heure qu'il revienne, mais rien à faire, il était seul dans la loge, seul dans le théâtre. Il appela dix fois, vingt fois, en vain. Le Joker était parti.

Matches soupira. D'accord, il n'avait pas réussi dans son plan, mais au moins il était entier. Cela signifiait-il qu'il avait passé le test du Joker ? Si c'était le cas, il lui fallait peut-être revenir le lendemain... Cette idée le fit frissonner des pieds à la tête.

Il n'était plus très sûr de vouloir travailler pour le Joker.

Un coup de vent particulièrement violent l'arracha à ses pensées. Il n'allait pas pas passer la nuit dans cette bicoque lugubre, surtout avec le temps qu'il faisait ! Il devait trouver un abri ! Soudain revigoré, il sortit du théâtre.

Le motel qu'il trouva puait le chien mouillé. Matches dut marcher une heure sous la pluie avant de le repérer (et encore, il avait failli le rater tellement il était miteux), mais au moins, il y avait un lit avec des draps secs à défaut d'être propres. Et l'évier, bien que recouvert de crasse, fonctionnait ; c'est-à-dire que le robinet crachait une eau à peu près claire. C'était tout ce que Matches demandait. Il paya les trente dollars que lui réclamait le type tout sec à l'entrée, jeta sa veste trempée sur le porte-manteau pourri et entreprit de se débarbouiller la face.

C'est alors qu'il remarqua enfin le changement.

Il était rasé de près. Disparue, sa belle moustache dont il était si fier. Par contre, son visage à présent lisse arborait un magnifique sourire dessiné au rouge à lèvres, le tout sur un fond de teint blanc du plus mauvais effet. Deux cercles noirs lui entouraient les yeux. Il n'avait rien remarqué ! Pas étonnant que le patron du motel lui ait jeté un drôle de regard. Par contre, il n'avait pas eu l'air très paniqué... Ce n'était donc pas la première fois qu'il avait affaire à un gars au visage de clown dans le coin ? Bercham lui avait bien dit que l'île était tombée sous la coupe du Joker...

- T'as l'air ridicule, dit-il à son image. Bouffon.

Génial. Voilà qu'il s'insultait tout seul devant le miroir, maintenant. Pas de doute, il était fait pour faire partie de la bande à Joker. Si seulement il arrivait à convaincre ce fichu clown...

Cinq minutes de raclage à l'eau plus tard, et il était presque débarrassé de ce fichu maquillage. Presque. Il fallait qu'il pense à investir dans du démaquillant, ou n'importe quoi que les gens de spectacle utilisaient pour enlever ce truc. S'il demandait à un clown comment il faisait, la prochaine fois qu'il irait dans une fête foraine ? Un vrai hein, pas un taré qui était tombé dans une marmite de produits chimiques étant petit. Il se frotta les yeux et fut irrité de voir qu'un peu de noir était resté sur son poing. Fichu méta. Matches avait l'impression qu'il l'avait marqué, comme un chien marque son territoire. C'était peut-être ce qu'ils faisaient ? Ils décrétaient qu'un tel faisait partie de sa bande, et comme un uniforme, ils vous collaient un truc bien à eux, une marque de fabrique, pour faire savoir au monde à qui ils étaient. Comme les gars de l'Homme-Mystère qui s'habillaient en vert avec des points d'interrogation partout, y compris sur leurs armes. Ou ceux du Chapelier Fou qui portaient cette satanée carte sur la tête.

L'air de rien, il en savait un paquet sur les méta, se dit-il, abasourdi. Finalement, ça servait, de traîner dans les bars mal famés à la recherche d'un boulot auprès du taré local. Matches ne se souvenait plus très bien de la tête du gars qui lui avait révélé tout ça mais au bout d'un moment, tout le monde se ressemblait dans le milieu, surtout les sous-fifres de bas étage comme lui, alors il y avait pas à s'en faire. Et il pourrait toujours voir avec Bercham, s'il arrivait à retrouver sa trace.

Maintenant, dormir. Matches contempla le lit avec mépris. Bon, d'accord, c'était pas le Ritz, mais il devrait s'y faire. Si seulement il avait pu garder « La Belle Aventure »... Le lit, la réserve d'alcool, tout. C'était le genre de yacht qu'il espérait se payer un jour, avec un peu de chance et pas mal de magouilles. Ouais, pour sûr, un jour il serait riche, lui Matches Malone. Et ils verraient tous à qui ils avaient affaire, tous ces Jokers, ces Bruce Wayne et autres !

Pas la peine de se lamenter sur son sort ou de se bâtir des ranchs au Texas d'avance, ça n'allait pas le faire avancer. Matches bailla un bon coup pour se donner sommeil (non pas qu'il en ait besoin, en fait, après tout ce qui s'était passé dans la journée) puis il alla se coucher.

Ses rêves furent peuplés de chauves-souris grinçantes et de clowns grimaçants.

*

Matches quitta le motel à neuf heures, pas entièrement satisfait de sa nuit. Il avait mal dormi, pour sûr ; et des cauchemars, il en avait eus, même s'il n'arrivait pas bien à s'en souvenir. Les rues sales le déprimèrent. Pas pour la première fois depuis le début de sa vie adulte, il se demanda s'il ne devait pas se ranger et se trouver un boulot tranquille et honnête.

- Comme si une boîte normale voudrait de toi, raclure, murmura-t-il entre les dents.

Ouais, Matches était un criminel, c'était pas nouveau. Un déchet de la société. Ça avait commencé quand déjà ? Il se souvenait plus très bien. Ça faisait trop longtemps.

Il sortit sa sempiternelle boîte d'allumettes et en mâchonna une, comme ça. C'était un tic dont il avait jamais réussi à se défaire ; ce qui lui avait valu son surnom, Matches. Il ne se souvenait même plus de son vrai prénom, et de toute manière, ça n'avait pas d'importance. Il n'avait pas de papiers d'identité, rien qui puisse prouver qui il était. Si jamais il crevait aujourd'hui dans le caniveau, tout le monde s'en ficherait bien. Cette pensée le déprima encore plus.

- Allez, c'est pas comme ça que tu deviendras un Big Boss, siffla-t-il.

Quelquefois, il s'inquiétait de s'entendre parler tout seul. Pas comme si quelqu'un pouvait lui répondre, hein... Il était tout seul, Matches, sans aucune voix pour lui dire quoi faire comme ce pauvre bougre de Wesker. Ou les trucs que les autres méta devaient sans doute entendre dans leur tête. L'était pas taré, lui, ça non. L'avait pas d'autres personnalité ou il ne savait quelle connerie à débiter à un psychiatre d'Arkham. Matches était tout seul, entier, rien que lui contre le monde.

Cette pensée était sans doute la plus déprimante de toutes.

« Le nid de Polichinelle » était toujours aussi miteux quand il arriva. En soi, c'était une consolation : il n'avait donc pas rêvé ce qui s'était passé la veille. C'était aussi une raison de plus de s'inquiéter. Ça et le reste de maquillage qui lui collait encore à la face, malgré tous ses efforts pour essayer de l'effacer. Il se demanda quelles mauvaises surprises lui réservait encore le Joker.

- Salut ! fit-il aussi fort que possible sans crier, une fois à l'intérieur. Je suis de retour pour savoir si le job est encore dispo.

Bien entendu, il ne savait absolument pas s'il y avait réellement un travail à la clé vu que le Joker ne lui avait rien confirmé du tout la veille. Si ce n'était pas le cas, sa démarche pourrait-elle constituer une candidature spontanée ? Ça jouait en sa faveur, non ?

- M. Joker ?

Évidemment, c'était quand même bien mieux quand votre hypothétique patron était là. Matches attendit gentiment que quelque chose se passe, mais au bout d'une heure sans rien voir à part la poussière qui s'accumulait sur les planches, il en eut assez. Il commença à se demander s'il ne valait pas mieux pour lui de chercher un patron plus régulier, comme le lui avait conseillé Bercham. Du genre de ceux qui ne vous laissaient pas en plan sur un caprice.

Soudain, il entendit un bruit, un crissement de pneus violents sur l'asphalte. Ça se rapprochait. Inquiet, Matches tendit l'oreille. Ouais, ça arrivait vers lui, pour sûr.

Le monde explosa sous ses yeux. Matches était bien content d'être dans le milieu depuis un moment : grâce à cela, il avait acquis les réflexes suffisants pour rester en vie. Sitôt qu'il vit le mur du fond tomber sous l'assaut du camion, il plongea sur le côté et se planqua derrière un placard branlant qui avait vu de meilleurs jours, mais qui était assez grand pour le dissimuler des regards.

Le véhicule cala à quelques centimètres du placard. Une camionnette de crèmes glacées, remarqua Matches avec émerveillement. L'un des hauts-parleurs crachait encore faiblement la mélodie abominable qui annonçait aux enfants l'arrivée du marchand de glaces.

- C'est moi !

La portière côté conducteur sauta au loin, laissant passer une silhouette féminine, visage fardé et sourire immense. Matches frissonna. Cette bonne femme en rouge et noir qui portait un sac au moins aussi grand qu'elle, il la connaissait. L'avait déjà vue à la une de la Gazette de Gotham, aux côtés de son illustre patron.

Harley Quinn, la femme du boss.

- Puddin' ? fit-elle, hésitante.

En écho à son appel, deux cris hystériques, trop saccadés pour être humains. Deux créatures difformes sortirent du camion à la suite de Harley Quinn ; deux hyènes aux crocs un peu trop luisants au goût de Matches. Soudain, elles levèrent la tête à l'unisson, humèrent l'air et grognèrent. Matches retint son souffle.

- Oh-oh, on dirait que mamour n'est pas là, gémit Harley. Moi qui voulait lui faire une surprise !

Elle jeta son sac par terre sans faire attention aux grognements insistants de ses hyènes. Celui-ci s'ouvrit en partie ; quelque chose comme un collier de perles glissa sur le sol, pile devant Matches.

Les hyènes s'avancèrent vers lui. Harley parut enfin remarquer leurs grimaces.

- Oh, vous avez trouvé quelque chose à manger, mes chéries ?

Elle gloussa, ravie, et tapota la tête de ses animaux de compagnie.

- Un poulet ? Un lièvre ? Oh, faites que ce soit une oie, je meurs de faim !

Matches ne savait plus quoi faire. S'enfuir en courant, et risquer de se faire dévorer tout cru par ces bêtes sauvages ? Ou rester et tenter de s'expliquer, et sans doute se faire dévorer vivant par ces bêtes sauvages. Vaste choix. Il pouvait aussi très bien se faire flinguer par cette nénette...

- Euh... pas d'offense, ma'am, croassa-t-il en sortant de sa cachette. J'suis juste un gars du Joker, j'veux pas d'ennuis...

Les hyènes grognèrent plus fort, prêtes à bondir sur lui. Harley pencha la tête sur le côté, curieuse, et sourit.

- Oh, vous êtes un des nôtres ? C'est drôle, je vous avais jamais vu...

- Je viens d'être embauché... je crois. En tout cas, le Joker m'a pas encore buté. C'est bien, non ?

Cette fois, Matches en était certain : il était complètement taré lui-même. Bon sang, y'avait qu'à l'entendre parler ! Quel type sensé irait se jeter dans la gueule du loup (ou dans ce cas précis, des hyènes) comme ça ? Aller rechercher la compagnie de fous furieux pour qu'ils vous embauchent dans leurs sales coups et vous fassent faire la sale besogne, c'était bien la preuve qu'il était bon pour Arkham, non ?

Harley parut absolument ravie.

- Oh, il vous aime bien ! C'est rare, n'est-ce pas mes chéries ?

Les hyènes jetèrent un regard mauvais en direction de Matches. Il tenta de se faire tout petit. En vain.

- Allons allons, c'est un nouvel ami, faut pas être grognons comme ça !

Et à part, comme si elle voulait faire une confidence à Matches :

- Elles sont toujours nerveuses à l'arrivée des nouveaux. Les pauvres chéries sont jalouses. Elles veulent pas que Mistah J et moi les oubliions à cause d'autres ! C'est-y pas mignon ?

Matches aurait bien voulu objecter que non, c'était pas mignon du tout, en fait c'était même plutôt ignoble, mais étrangement, sa langue était collée au palais. Harley prit son silence pour une affirmation et lui fit un sourire rayonnant.

- C'est marrant, fit-elle en s'approchant de lui, j'ai comme l'impression d'vous avoir déjà vu que'que part, mister...

- Matches Malone, réussit à articuler Matches.

- MM ? C'est facile à retenir, ça ! Mais c'est drôle, vot' tête...

Pensive, elle plaqua une main gantée devant les yeux de Matches, observant ses lèvres, la courbure ferme de sa mâchoire. Elle plissa les yeux, pencha encore la tête sur le côté, la langue pendante, les sourcils froncés en signe de concentration.

Cette fille était qu'une grimace ambulante, pensa Matches.

- Je sais ! s'écria-t-elle soudain. J't'ai vu l'autre soir pendant le casse de la marionnette ! Tu faisais partie de sa bande, non ?

Plusieurs questions agitèrent l'esprit de Matches en cet instant. Comment cette fille était-elle au courant pour le casse, pourquoi avait-elle brusquement décidé de le tutoyer, qu'est-ce qu'elle mettait comme fond de teint pour que ça sente aussi fort. Au lieu de les poser à voix haute, il fit un sourire plutôt pathétique et dit :

- Ouais.

- Un homme d'expérience ! gloussa-t-elle.

Harley tourna autour de lui, l'observa des pieds à la tête. Matches avait l'habitude de mater les jolies filles de cette manière quand il se baladait dans des rues bien fréquentées ; cette fois, les rôles étaient inversés, il avait l'impression d'être le quartier de viande sur l'étal du boucher. Harley lui jeta un regard clairement concupiscent.

Matches fit la grimace. Le pire, dans cette situation, était qu'il s'inquiétait plus de savoir comment il avait fait pour apprendre un mot aussi ridiculement compliqué que « concupiscent » que de s'inquiéter pour ses chances de survie.

- Je crois que je suis maboul, s'entendit-il dire.

- Ne le sommes-nous pas tous ? fit Harley, toute contente.

Les hyènes ricanèrent en signe d'approbation.

*

En fin de compte, et contre toute attente, Matches se fit une alliée de la Harley, à défaut d'une amie (il n'en avait pas particulièrement envie, d'ailleurs. Elle était pas mal mignonne dans son genre mais Matches préférait les filles un peu plus équilibrées mentalement). Après leur drôle de rencontre, ils décidèrent d'attendre ensemble le retour de « Mistah J », comme l'appelait Harley. Même les hyènes qui menaçaient de dévorer Matches un peu plus tôt se calmèrent peu à peu. Matches ne comprit pas très bien ce qui se passa : elles le reniflèrent de près, l'une d'elles le lécha même sur la main (Harley l'avait tendue bien en vue des animaux, malgré les cris d'horreur de Matches) puis, sans prévenir, elles se couchèrent et se désintéressèrent de lui. Comme s'il n'était plus qu'une mouche sur le mur, ou bien moins. Matches ne savait pas trop s'il devait être vexé ou rassuré. En fait, il ne savait plus trop à quel saint se vouer. Chez les fous, il fallait faire comme les fous, non ? Le problème, c'est qu'il se sentait pas vraiment fou. Sûr, il avait l'impression qu'il le deviendrait bientôt, mais comment savoir ? Est-ce qu'il y avait un signal, un point précis dans ses pensées pour savoir qu'on était fou, ou est-ce que ça venait comme ça, sans prévenir ?

Rien que d'y penser, Matches avait horriblement mal au crâne. Pour des raisons évidentes, il ne demanda pas son avis à Harley Quinn, même si elle devait sans doute être bien placée pour savoir...

Ou peut-être pas, après tout. On savait jamais avec ceux qui sortaient d'Arkham. Y'avait même des docteurs de là-bas qu'étaient passés de l'autre côté des barreaux, d'après la rumeur. Si même les gars qu'étaient censés soigner ces pauvres bougres sombraient, alors quelles chances il avait d'y échapper, lui Matches ? Il avait pas l'éducation pour.

- Eh, demanda-t-il soudain, vous connaissez un conte avec un cheval qui parle, vous ?

Harley écarquilla les yeux. Elle était occupée à polir une grosse mitraillette peinte en rouge. Les hyènes levèrent la tête.

- Ben, c'est l'Joker qu'en a parlé, fit Matches, gêné. Quand j'suis venu pour essayer de décrocher la place. Y m'a dit que ça lui rappelait un conte ou je sais plus quoi avec un cheval qui parle. Il a aussi parlé d'un mouchoir et d'une plante en pot.

- Une plante en pot ?

- Ouais.

Matches eut presque l'impression de voir une ampoule invisible s'éclairer au-dessus de la tête de Harley.

- Oh, il parlait sans doute d'Ivy ! Mais pourquoi son mouchoir ? Et puis, elle n'aime pas tellement les chevaux, surtout ceux qui parlent.

Les chevaux parlent pas, voulut-il dire. Au lieu de ça :

- Non, il a dit qu'elle vous ressemblait.

- Qui ça ?

- La fille avec le mouchoir.

- Donc, c'est sûrement Ivy ! Mais pourquoi j'aurais un mouchoir ?

- J'en sais rien moi, c'est pour ça que je demande !

Les yeux d'Harley scintillèrent de bonheur.

- Mon Puddin' voulait peut-être me faire une surprise ? Il est si romantique !

Matches haussa les épaules. Il en doutait fortement, mais autant laisser la pauvre fille à ses rêves, hein ?

- Oh, Puddin'...

Harley se mit à virevolter autour de la pièce, les yeux perdus dans le vague. C'était grotesque, comme image, pensa Matches. Une fille complètement fêlée, habillée comme un clown, avec une mitraillette rouge serrée contre elle, qui dansait dans un ancien théâtre en ruines. Sur fond de mur défoncé à coup de camionnette de crèmes glacées, avec des hyènes qui rigolaient juste comme ça, parce qu'elles ne savaient rien faire d'autres à part saloper le décor. Surréaliste. Il commençait à comprendre pourquoi tous ces méta étaient dingues. C'était plus facile, d'une certaine manière.

Clac-clac. Même les mouvements désordonnés de Harley ne réussirent pas à cacher le bruit de ses pas. Tout cessa d'un coup : la danse du arlequin, les rires des hyènes, la complainte intérieure de Matches.

Et, enjambant les gravats causés par la camionnette, le Joker entra, sourire en place et costume bien net. D'un regard, il embrassa la scène, ouvrit grand les bras et annonça :

- Je suis rentré !

- Mistah J ! s'écria Harley en se jetant sur lui.

Le Joker la garda dans ses bras, et ils tournoyèrent, tournoyèrent, et les hyènes dansaient autour d'eux, Matches en avait le tournis... Quand ils s'arrêtèrent enfin, Harley avait les yeux qui louchaient, mais le Joker se portait comme un charme. Il marcha droit sur Matches, laissant une Harley pantelante à terre, et le saisit à bout de bras.

Matches aurait dû le voir venir. Ou sans doute pas. C'était difficile de savoir, avec ce type.

Le Joker lui planta un baiser sonore sur les lèvres.

- Fabuleux, fabuleux ! entonna-t-il, tandis que Matches tentait de reprendre ses esprits. Toute la petite famille au complet !

Matches ouvrit des yeux ronds.

- Hein ?

Désarçonné par tant de non-sens, il en oublia toute prudence (non pas qu'il en ait eu beaucoup jusqu'à présent) et se laissa porter par une envie inconsidérée, un caprice, vraiment, rien qu'il puisse expliquer plus tard : il se baissa à son tour et embrassa le Joker. Comme ça. Parce qu'il le pouvait.

En récompense, le Joker lui fit un de ses immenses sourires.

À suivre...

Notes : Même si ça en a l'air, ce n'est pas du slash, vraiment.
Le conte cité par le Joker s'intitule « La gardeuse d'oies ». Sa présence peut être gratuite ou pas. À vous d'en juger.

fanwork : fan fiction

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