"Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses."

Jun 19, 2007 16:02

Il fait excessivement chaud dehors, même si les nuages ont fini par crever d'humidité. Je suis enfermée dans ma chambre avec Hugo, l'air climatisé à un niveau raisonnable (histoire de ne pas mourir d'une infection de gorge comme l'été dernier), et nous ne faisons rien, c'est-à-dire que nous avons essayé de brancher une vieille télé et un vieux lecteur DVD pour écouter deux films de Jean Cocteau, mais que si tous les branchements fonctionnent, le lecteur DVD lui, refuse de s'ouvrir. J'ai demandé à Hugo de me débloquer des trucs à Super Mario Kart DS; je l'ai regardé faire un temps mais la fatigue me gagne. Nous avons eu une épuisante nuit à nous quereller sur l'essence de nos êtres sexués et il me semble que je ne suis plus à même de dormir trois heures dans une nuit sans m'en ressentir. Voilà, j'essayais de lire Simone de Beauvoir, mais je me suis dit qu'il faudrait bien faire mon entrée de la journée.

Finalement, la session achève pour vrai. Je veux dire qu'il ne me reste plus qu'à finir ce travail sur les écrivains et le cinéma, et que ce sera bon pour vrai, que l'année scolaire sera bouclée et en plus, je serai en vacances durant les deux premières semaines de juillet, comme une délicate cerise sur le sundea de mon année. La fin de cette année, c'est nécessairement aussi la fin du bac qui s'amène. J'ai coulé des jours plus ou moins heureux à l'université (je veux dire, je m'y suis ennuyée, l'existence m'a étouffée, j'ai pensé me déchirer pluôt d'arriver à la fin, mais voilà) et il y en aura sûremenr d'autres. Je n'ai fichtrement aucune idée de ce qui arrivera ensuite. La maîtrise, pour moi, c'est un truc abstrait et abscon qui ne se matérialise aucunement, sous aucune forme. Je sais que je dois finir par y passer. mais je n'en ai plus aucunement envie. Il m'arrive après les fins de session surchargées, surinutiles, surindéfinies, de ne plus avoir envie du tout. Alors je me dit que je ferai un certificat en journalisme, ou en révision et rédaction, et je me trouverai un emploi à contrat plus ou moins bien payé qui me permettra de m'acheter un petit chihuahua, un studio de 800 pieds carrés et une vie rangée.

Or, ce n'est pas à ça que j'aspire, mon existence idéale est bâtie sur des livres et des livres, et des années de désir de savoir qui ne peuvent pas aboutir à une simple écoeurantite aiguë. Je sais que je souhaite percer le secret des choses, comme le peintre suicidaire de Prévert, dans Quai des brumes, qui voit dans un nageur, un noyé, dans une rose, un crime. Je sais qu'il y a quelque chose de pertinent à extraire de ma substance, je sais que cet amour dévoué pour la mécanique littéraire ne s'est pas dévoyé sans fin et sans but; je ne veux pas faire un David Riendeau de mon existence, je veux vivre pour ce que j'ai aimé et je veux partager ce savoir.

Alors voilà: j'ai compris depuis longtemps que je m'intéresse à la littérarité dans ce qui n'est pas littéraire, à la transformation métaphysique de la parole de l'écrivain pour en faire de la littérature, même dans une forme dépouillée d'une structure diégétique travaillée et construite. J'ai compris aussi que pour moi, le personnage, le mythe de l'écrivain a plus d'importance que son oeuvre accomplie, que l'acte de lecture, que la transformation de mots en littérature me fascine plus que la structure. Je sais que je veux écrire des essai comme Manguel et Eco. mais les essais de Eco et Manguel sont déjà écrits, je sais que je veux connaître l'écriture de l'intérieur et m'y adonner moi aussi, mais je me sens aussi faillible à ce désir. Simone de Beauvoir disait: "le seul fait même d'écrire impliquait une faille; seul le silence exprimait dignement l'absolu désespoir humain". Je pense sans cesse à mon sujet de maîtrise; je change sans cesse d'idée. Après avoir envisagé considérablement de faire une maîtrise sur la littérature franco-ontariennne, il me semble ne pas avoir touché encore le sujet qui ferait vraiment lever les passions.

Je sais ce que je veux: je sais que je veux étudier les journaux des grands écrivains, et leurs autobiographies, je sais que je veux voir où se trace la ligne entre l'écrit intime et l'écrit public, et qu'est-ce qui fait d'un journal intime un journal extime, et qu'est-ce que l'autocensure module dans l'autobiographie des gens de lettres. Je veux être là pour comprendre l'auteur qui se livre, qui se confesse, qui se tracasse au quotidien ou qui peine à retracer ses mémoires de jeunesse. Je veux découvrir le fondement de la littérature qui ne réside pas dans l'objet-livre mais dans la voix de tout un chacun. Je veux comprendre ce qui pousse une voix à s'élever parmi les autres pour devenir de la littérature. C'est vraiment ce que je veux. Mais chaque fois que j'y pense, et que les sessions passent, je me demande de plus en plus si j'aurai vraiment la force d'aller au fond des choses.

Vraiment descendre au fond des choses. Parce qu'un jour, Cuba aura fini de couler comme un bordel en flammes au milieu du Lac Léman.

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