La session recommence

Jan 22, 2008 22:14

J'ai envie de partager avec vous le résultat d'un atelier d'écriture pour notre premier cours de production théâtrale, qui servira, au prochain cours, à inspirer les élèves assignés à un autre rôle que celui de l'écriture. Le résultat n'est pas particulièrement théâtral (ce dont, après tout, il ne faut pas s'étonner, puisque c'est de moi dont on parle :P), mais il s'agissait avant tout d'une activité littéraire, selon moi...



Au flanc de la ville, la plante des pieds au pan d’une rue dont les intersections et les détours relevaient autrefois du domaine du par cœur, je fige. J’ai un mal à la tête, une boule dans la gorge et une douleur, ayant fait son nid dans ma cage thoracique, fait enfler mes poumons comme si, dans l’air de cette ville, il y avait quelque chose d’étrange, d’étranger, quelque chose auquel même mes vieilles bronches de fumeur ne pouvaient s’habituer. Mon cœur bat en 6/8 à 120 à la noire au métronome, mes mains tremblent et mes oreilles bourdonnent. Tout en moi palpite, tressaille, pareil à un nid de fourmis, et tout autour de moi également : mais, moi, je fige.

Interloqué, le chauffeur du taxi se retourne. Son regard cherche le mien mais je ne remarque rien, incapable, comme je le suis, d’orienter mon corps dans une autre direction que celle de la rue bruyante et mes pensées en direction d’autre chose que de cette phrase obsédante, harcelante, cette phrase qui, comme une chasseresse, me poursuit depuis mon départ de l’aéroport :

Ils ont démoli mon saxophone.

Je ne sais pas comment ils ont fait mais, au moment de la remise des bagages, la réalité s’est heurtée à ce que j’avais toujours cru impossible : dans l’étui rigide, doublé, bourré de velours, le corps long de l’instrument était défait, mutilé.

Le taxi me hèle, mais l’immobilité qui me gagne est telle que sa voix me dépasse et se perd parmi toutes celles qui se bousculent, là, à deux pas, en dehors du taxi. La ville est à un saut - il suffirait d’un saut, d’un simple déplacement à bâbord, vers la porte ouverte - et la main du chauffeur est tendue d’impatience, mais mes mains à moi ne réagissent pas et mon pied reste en suspens dans le vide, au-delà de l’asphalte chaude. Je suis figé, un pied enraciné dans le tapis du véhicule jaune, au point de départ, et l’autre aspirant au point d’arrivée, celui de la rue bondée et familière. Je suis figé entre le désir de repartir et celui de revenir d’exil. Je suis figé, inapte à franchir le pas qui me ramènera au seuil de ma ville natale, un saxophone brisé à la main.

Previous post Next post
Up