Not as we. ( aka again and again )

Nov 22, 2009 22:44


Dylan était fatigué par son long voyage. Ces derniers mois il avait beaucoup bossé dans des petits jobs à droite et à gauche ; serveur dans plusieurs pubs, notamment. Mais récemment il avait trouvé un poste plus stable, plus fixe, plus sérieux dans une entreprise immobilière anglaise, à Londres. Il travaillait à la centrale et avait brûlé les étapes : il n'avait jamais fait des études dans cette optique et ne possédait pas de diplôme, c'était juste un bon copain qui l'avait fait rentrer dans la boîte et à présent il se retrouvait à la tête de tout un service. Il avait été performant et séduisant : ses yeux gris, son allure avaient charmé la directrice du service des ressources humaines et elle lui avait finalement cédé un poste de directeur. Parce qu'il avait besoin de s'oublier dans la chair et dans un plaisir fugace, il avait fini par coucher avec elle sans lendemain. Ainsi Dylan travaillait depuis un mois environ en tant que directeur du service de gestion et de location chez un grand promoteur immobilier : un poste à responsabilités qui lui allait comme un gant. Il n'avait jamais su se gérer lui-même et encore moins ses sentiments et ses relations mais étrangement il avait un certain talent professionnel parce qu'il possédait du charisme, de la droiture et mettait du cœur dans ce qu'il faisait. Dylan était une personne qui apprenait vite au contact des autres. Il avait donc un travail stable pour la première fois de sa vie et il était temps, quelque part, à presque 28 ans. Les années le rattrapaient sans qu'il ne puisse rien y faire et chaque fois qu'il se regardait dans la glace tous les matins, il riait. C'était une chose typique chez lui : il ne se connaissait pas et ne prêtait pas attention à lui mais il vieillissait, il le savait et s'en amusait. Dans sa salle de bain, il avait disposé tout un tas de photos prises au fil des ans : une de lui lorsqu'il avait 16 ans, avec Morganne dessus, une autre qui datait de ses 18 ans lorsqu'il était arrivé en Angleterre et toutes les autres retraçaient ses années dans la vingtaine. Il avait 22, 24, 25, 26, 27 ans et avait toujours un verre à la main et les mêmes yeux gris. Son visage n'avait pas vraiment changé quant à lui : il avait toujours ces traits d'une certaine noblesse et régularité. Son visage s'était simplement plus allongé au fil des ans et ses traits lui paraissaient plus durs : il avait maintenant un visage d'homme complètement achevé et il ne changerait plus qu'avec des rides. Ses cheveux, en revanche, avaient radicalement changés. Enfin pas vraiment les cheveux mais les coiffures : il les portait longs, les attachait en petite queue et laissait tomber sa frange sur son regard désabusé mais à présent il les avait court et s'était laissé pousser la barbe et les pattes sur le côté. Il ressemblait pas mal à un rockeur avec un côté Justin Timberlake comme s'amusait à lui faire remarquer April, l'une de ses amies d'Angleterre. Ce qui le faisait rire dans le fond c'était qu'il ressemblait de plus en plus à son père avec le temps. Pendant des années, depuis leur rencontre, il avait souhaité ne jamais se rapprocher de son physique : mais plus il voulait échapper à cela et plus il luttait pour rien. Il avait donc cessé de se battre contre le courant et c'était l'une des premières fois de sa vie que Dylan acceptait simplement les choses. De la même manière qu'il avait docilement accepté ce poste de directeur alors que cela le forçait à enfiler un costume cravate... Et il avait horreur de ça ! Il trouvait sa chemise noire trop collante, sa cravate noire étouffante et son costume gris ( tout de même signé par Calvin Klein ) lui donnait une allure de pingouin à ses yeux. Il ne se reconnaissait plus.

A 22 ans, il s'était dit : " qu'est-ce-que je serai plus tard ? Si je m'imagine dans 6 ans, je ne sais pas si je me reconnaîtrai moi-même. " Et au final, il avait eu raison de penser ainsi. C'était pourtant ce que tout le monde savait : celui qu'on était dans le passé n'existera plus dans le futur mais on garde toujours des espoirs idiots et l'on se raccroche là où on le peut. Son point d'ancrage à Dylan, c'était Morganne. Il ne l'avait toujours pas oubliée et bien qu'il eut d'autres relations, sans lendemains pour la plupart et d'autres peu sérieuses malgré une plus longue durée, il s'accrochait à cette partie de son passé. C'était la seule manière qu'il avait trouvée pour se reconnaître dans ses photos accrochées dans sa salle de bain et dans sa chambre. Un morceau de sa vie qui avait encore du sens pour lui bien qu'il l'avait laissé derrière lui, en France. Il avait vécu, existé, changé et après avoir gardé pendant des années les photos de lui étant jeune avec elle, ses échanges de mails et autres fragments, après les avoir cachés pendant si longtemps, un jour, tout lui retomba dessus. Il avait changé d'appartement pour se rapprocher du centre de Londres au printemps dernier et en montant les cartons dans sa nouvelle habitation, il avait fait tomber une boîte avec un cadenas. Il ne s'en souvenait plus et ayant perdu la clé, il défonça le verrou avec un marteau et un morceau de son âme lui sauta à la figure. Dylan, 27 années derrière lui, retrouvait ses 16 ans plus que brutalement. Il avait dû les cacher, ces souvenirs jamais oubliés, juste enfouis, attendant le départ de ses amis. En s'y replongeant dedans il eut envie de reconstruire une partie de sa vie comme l'on reconstitue un puzzle avec envie d'aller jusqu'au bout. Sauf que le jeune homme constata ce soir-là, le 22 Novembre 2006, il n'avait jamais terminé son bout de vie passé et que le puzzle resterait inachevé jusqu'à ce qu'il fasse un choix. Mais Dylan fuyait autant les choix que les gens et les responsabilités dans les relations ; exactement ce qu'il avait fait avec Morganne.Il avait reconstitué ce morceau comme il avait pu, avec les photos par exemple. Mais il y avait comme un goût d'inachevé.
Comme le hamburger qu'il mangeait à présent dans le train et auquel il manquait cruellement de sauce. L'Eurostar l'emmenait à Paris, où il devait signer un gros contrat de partenariat avec un promoteur immobilier français. Il n'avait plus mis les pieds en France depuis 5 ans et il travaillait son français comme il le pouvait en écoutant des chansons françaises et en lisant des romans dans la même langue. Il n'avait pas perdu son bilinguisme, mais son accent, sûrement. C'est fou ce que le temps peut vous ôter des choses naturelles : il avait perdu ses cheveux, ses envies, ses sentiments, son accent mais il avait aussi gagné d'autres choses. Il ne fallait pas être pessimiste mais c'était dans la nature même de Dylan. Il était en route pour Paris et il ne pensait pas à charmer son client ni à le faire signer pour avoir une promotion, il pensait juste à elle. La dernière fois qu'il était venu, il l'avait cherchée. Pourquoi ne disparais-tu pas Morganne ? Ce n'était pourtant pas faute d'essayer. La vie avait continué son chemin mais c'était comme si Dylan avait prit ses photos avec lui : ses souvenirs ne le quittaient jamais vraiment. Il s'en souvenait d'autant plus quand il se droguait ou qu'il jouait de la guitare. Il n'avait cependant pas sa gratte sur lui et il n'avait pas non plus ses fix : juste son sac avec ses documents, son accent perdu et une partie de sa mémoire et de sa vie inachevée. Et le temps continuait de filer à une vitesse incroyable : il était à présent en France, à Lille, il avait 27 ans et s'approchait de son anniversaire à grands pas.

C'était comme s'il n'avait pas changé.
Morganne avait-elle changée ? Qu'était-elle devenue à présent et était-elle toujours aussi petite ? La dernière fois, elle était médecin et il y avait Erwan, le demi-frère de Dylan. Mais il n'avait jamais creusé ce coin de sa vie, estimant que parfois on avait pas envie de continuer certaines voies même si elles devaient nous accomplir et comme à son habitude il laissait tout en suspend. Pourquoi refaire son passé quand on peut continuer tous les jours à s'occuper l'esprit et vivre ? D'une manière qui ne convenait à personne dans son cas, c'était vrai. Il était un junkie, moins dépendant qu'avant certes, il aimait boire et faire la fête, il aimait coucher avec des jolies filles qui ne rêvaient que d'une relation avec lui et il aimait prendre grand soin de sa petite Cathy, la petite fille qu'il avait un soir croisée dans un parc délabré. Elle avait grandi vite, il la voyait avec les yeux d'un père, l'aimait comme un frère et la voyait s'épanouir comme un étranger. Elle était une part de sa vie comme il était une part de la sienne et jamais il ne l'oublierait : y avait-il alors un mal à ce qu'il n'oublie jamais Morganne bien qu'il ne fasse plus partie de sa vie ? Pourtant, elle, elle faisait toujours parti intégrante de la sienne, de son histoire et s'il se refusait à l'oublier avec tant de véhémence c'était peut-être par narcissisme. Parce qu'on vit avec les autres, on n'existe pas individuellement : il s'en était rendu compte lorsqu'il passait ses journées seul, après la découverte de ses origines. A ce moment-là ni Lucy, ni April, ni Jake, ni Jude, ses amis anglais, ne le connaissaient et il ne les aurait pas rencontrés s'il était resté seul à jamais. On ne vit et on ne meurt qu'une fois et le temps passe si vite qu'il faut être plus rapide que lui. Mais jamais Dylan n'avait été aussi vivant qu'en ce jour, même s'il continuait de se gâcher l'existence. Ses 27 ans étaient probablement les plus contradictoires au monde : il aimait vivre et prendre de l'âge et ne se reconnaissait pas à force de ressasser. Quelle était alors la solution, le chemin à prendre ? Celui de Paris ? Au fond, il avait juste envie de voir Morganne, de lui demander s'il était juste narcissique et égoïste de penser encore à elle malgré toutes ces années. Il aurait voulu, dans ses moments impulsifs, être encore quelqu'un dans sa vie à elle mais plus de 9 ans s'étaient écoulés. On peut devancer le temps mais on ne rattrape pas celui qui est perdu. Sombres pensées pour une personne aussi jeune : le patron de l'Events, le bar dans lequel il travaillait avant, le lui aurait dit. De la même manière qu'un père l'aurait dit à son fils. C'était une personne importante dans la vie de Dylan et il savait qu'en cet instant précis, il aurait poussé son ancien serveur à rechercher ce qu'il a fuit depuis tant d'années. Qu'il ne fuyait qu'en apparences parce qu'elle était toujours là, malgré tout. Fallait-il s'accomplir par l'amour pour ne plus se sentir vide ? Il cherchait pourtant d'autres moyens et il ne savait pas s'il l'aimait toujours.
Il faisait froid, à Paris. Son simple costume ne lui suffisait pas mais il n'avait pas imaginé qu'il ferait plus froid en France qu'en Angleterre et la météo était la dernière de ses préoccupations. Il devait se concentrer sur son contrat et il descendit du train. Ses repères avaient disparu : il ne reconnaissait rien dans Paris à part les écriteaux et les affiches qu'il arrivait encore à lire et comprendre. Soulagé que son français soit resté intact, il commença à déambuler au hasard dans les rues grises. Les français n'avaient pas changés : ils paraissaient nerveux, pressés et beaucoup plus coincés que les anglais. C'était amusant de se retrouver dans cette atmosphère après tant d'années : Dylan avait encore un peu de temps avant de se rendre au lieu de son rendez-vous. Il se paya donc des churros et s'acheta quelques CD dans un magasin. Puis il releva la tête et aperçut Morganne.

Chaque fois qu'il était revenu sur Paris, il l'avait croisée. Pourquoi n'avait-elle pas changée ? Pourquoi fallait-il qu'il la reconnaisse encore du premier coup d'œil même après tant d'années ? Pourquoi était-elle toujours ici ?
Mais les questions pouvaient tout aussi bien se retourner contre lui : Dylan était toujours resté en Angleterre au final, il n'avait pas changé de visage non plus et Morganne aussi le reconnaîtrait si elle le voyait, surtout si elle croisait son regard gris et si particulier. Il esquiva donc le rayon où elle se trouvait et paya rapidement le caissier avant de sortir, sous une pluie battante. Pas de bol, vraiment, il serait trempé. Mais Morganne le rattrapa et lui proposa un abri sous son parapluie : elle l'avait vu soupirer en regardant le ciel d'un air morne et avait cru comprendre qu'il serait bien embêté de marcher sous la pluie. Elle lui dit alors qu'elle se dirigeait vers le métro et qu'elle voulait bien l'accompagner et l'abriter au moins jusque là. Le cœur de Dylan s'était arrêté : comme un bond de 10 ans en arrière il se savait toujours aussi fou amoureux d'elle et tout ce qu'il avait pensé, fait jusqu'à présent n'y changeait rien. Mais elle ne l'avait pas reconnu. Il accepta donc l'offre qui l'arrangeait : il était aussi temps pour lui de prendre le métro avec son costume et ses airs guindés. Il la remercia d'un sourire et ne lui adressa pas la parole, peur d'être trahi. Le trajet ne dura que cinq minutes mais il l'observa attentivement : et il la reconnut jusque dans ses cils et l'intonation de sa voix. Une fois dans la station, ils se séparèrent puis se retrouvèrent quelques minutes plus tard dans le même métro mais dans une rame différente. Elle était debout, il l'observait.

Et son cœur battait.

dylan

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