Titre: Le murmure des ombres
Fandom: Mythologie grecque
Personnages: Perséphone, Hadès/Perséphone, Charon
Mots: ~1500
Rating: G
Disclaimer: À moins d'une immense réforme de la loi sur le copyright dont on ne m'aurait pas informé, la mythologie grecque est dans le domaine public (mais ne m'appartient pas particulièrement.)
Notes: Écrit pour le round 4 d'
obscur_echange, sur la requête "Perséphone victime attachée à son bourreau qui se plie à la règle qui lui impose d’aller aux Enfers pendant la moitié de l’année. Pour faire sourire sa belle, Hadès fait preuve de milles prouesses pour qu’elle soit heureuse avec lui." Comme vous pourrez le constater en lisant la fic, j'ai un peu dévié de la requête de base... ^^;
Une version audio de cette fic a été enregistrée par
amaranthine_7,
elle se trouve par là. Perséphone trônait. Dans quelque direction qu'elle regarde, elle aurait pu contempler la froide beauté de la plaine du Styx, mais ses yeux restaient fixés vers le haut, vers le monde qu'elle avait connu jusqu'à présent. Elle avait la pâleur et l'immobilité d'une statue de marbre, mais aucun sculpteur, pas même Pygmalion, n'aurait osé donner à sa statue des traits si tristes et pourtant si vivants, de peur qu'une telle perfection ne lui donne vie et deuil éternels.
Hadès, à ses côtés, avait le même visage impassible que toujours. Perséphone n'aurait su se souvenir de la dernière fois où elle l'avait vu sourire.
Elle poussa un soupir si las et si sincère que les morts assemblés autour du trône du roi des Enfers se sentirent presque revivre à cet instant, tant sa peine était encore emprunte des choses de la surface. Hadès s'interrompit dans son jugement, et se tourna vers elle.
- Que te manque-t-il, Perséphone ?
- La lumière du soleil, répondit-elle simplement.
Et Hadès de faire venir jusqu'à elle toutes les lumières, toutes les lampes, toutes les flammes du royaume. Elle ne dit rien, mais continua à regarder avec lassitude le plafond de ténèbres des Enfers.
- J'apprécie votre effort, mais la lumière des flammes, si forte soit-elle, ne saurait remplacer Helios.
- Que faut-il donc pour ta satisfaction ?
- Je vous l'ai déjà dit de nombreuses fois. Il me faut la liberté. Il me faut la brise qui porte le chuchotement des oliviers, et les embruns de la mer, et la lumière de la lune.
- Tu sais que je ne peux te l'accorder. Il est des lois que même moi ne puis briser.
- Cela vous arrange bien. Vous m'avez amenée ici contre mon gré, et vous avez utilisé cette loi pour me forcer à rester. Comment pourrais-je être heureuse sans que vous me rendiez la liberté que vous avez prise ?
- Tu retourneras à la surface bien assez tôt...
- Bien assez tôt pour vous, peut-être. Mais je suis prisonnière ici, et même si je devais retourner dans l'instant auprès de ma mère, je ne serais pas libre, puisqu'il me faudrait revenir un jour. Je ne suis guère plus qu'une brebis qu'on égorge sur un autel pour apaiser les Titans.
- Tu ne l'es que parce que tu crois l'être. Tu pourrais être une reine, si tu acceptais ce rôle.
- Pourquoi le souhaiterais-je ? Il n'y a rien ici sur quoi je veuille régner.
- Peut-être est-ce parce que tu n'as jamais pris la peine de marcher parmi tes sujets.
- Vos sujets sont morts, ils ne sont plus que des ombres de ce qu'ils furent. Ma mère et moi ne connaissions que ce qui vit, mais vous m'avez pris cela.
- Si tu veux jamais te sentir ici chez toi, Perséphone, il te faudra apprendre ce que la mort signifie, et cela n'arrivera pas tant que tu
resteras isolée sur ce trône...
- Descendez-vous de votre trône vous-même ? Je ne peux vous imaginer, vous qui êtes si cruel, marcher parmi les morts pour mieux les connaître...
- Cruel ? Est-ce ainsi que tu me considères ?
- Je vous ai observé longtemps présider le jugement aux morts. Pas une fois les plaintes des âmes condamnées ne vous ont-elles atteint, pas une fois ne vous ont-elles ému. Le jour où je vous verrai fléchir, avoir pitié ou peine pour quiconque, et l'envoyer malgré tout vers le Tartare... Peut-être ce jour-ci vous considérerai-je comme juste. Mais vous ne les entendez même pas, vous ne prêtez même pas attention à eux. Vous êtes plein d'attention pour moi, et je vous en suis reconnaissante, peut-être même vous aimerai-je vraiment un jour, mais je ne peux vous considérer comme un souverain digne de son trône.
Le regard que lui lança Hadès lui fit regretter ses paroles, mais Perséphone ne dit rien de plus. Elle détourna les yeux, et les fixa à nouveau au-dessus d'elle, vers les ténèbres, vers la surface.
Mais les paroles d'Hadès l'avaient atteinte plus profondément qu'elle ne le pensait, et sa curiosité était éveillée. À quoi pouvait donc bien ressembler le royaume d'Hadès, vu à hauteur d'ombre ?
Au coeur de la nuit (car aux Enfers la nuit est plus intense à certaines heures) elle descendit, à pas de loup, du piédestal sur lequel elle trônait durant la journée. Elle n'avait emporté avec elle ni lampe ni flamme. Ses pieds étaient nus et ses cheveux libres. L'exaltation combattait la tristesse dans son coeur.
Elle se glissa parmi les ombres qui attendaient le lendemain matin pour leur jugement final. Certaines étaient rassemblées en groupes de tailles diverses, tandis que d'autres étaient isolées. Beaucoup de ces âmes défuntes parlaient, mais jamais plus qu'en un soupir. Personne dans la foule ne remarqua Perséphone. En écoutant leur murmure presque inaudible, elle crut entendre les chants des oliviers dans la brise. Pendant un instant, elle sourit, avant de regarder autour d'elle les silhouettes mornes des arbres qui ne poussaient plus. Son sourire disparut. Ces arbres avaient-ils même jamais poussé ? Il n'existait après tout rien de vivant sur ces terres.
Perséphone continua son chemin parmi les morts, jusqu'à arriver près de la grande porte où veille Cerbère. Le chien dormait, mais en un instant, entendant arriver quelqu'un, il se releva et grogna, puis, reconnaissant sa maîtresse, s'inclina devant elle, avec au fond de sa triple gorge un gémissement suppliant, demandant une marque de reconnaissance. Elle posa sa main gauche sur chacune des têtes du chien, une à une. Sous la fourrure, elle sentit la chaleur du corps vivant, le sang qui battait dans les veines. Un nouveau sourire apparut sur ses lèvres, de joie de voir et toucher enfin un être vivant. Mais cette joie disparut bien vite, chassée par les cris lointains d'une âme suppliciée du Tartare.
Le Styx se tenait à présent devant elle. La senteur fraîche des roseaux et de l'eau vint la caresser, le clapotis du fleuve chanta en une douce mélodie à ses oreilles. Elle entendit encore une fois le murmure des ombres - des morts débarqués sur la rive par le Passeur. La lampe de Charon brillait d'une lueur pâle reflétée par l'eau, telle Séléné illuminant la mer.
Perséphone connaissait Charon, bien entendu. Elle avait pris sa barque deux fois maintenant, pour retourner à sa bien aimée mère au printemps et pour revenir dans sa cage souterraine en automne, mais elle ne lui avait jamais parlé. Alors qu'il lui adressa un signe de la main, elle se demanda pourquoi l'idée ne lui était jamais venue auparavant. Elle s'approcha de la barque, ses pieds nus gelés par les gouttes d'eau qui se cachaient dans les herbes folles.
- Ma reine, salua-t-il.
- Charon, dis-moi, comment es-tu devenu Passeur ?
- Je l'ignore.
- N'avais-tu pas une vie, avant de devenir ce que tu es ?
- Je ne saurais dire. Parfois ma mémoire me dit que je fus un jour un homme, et que j'ai succédé à un autre Passeur. Parfois elle me dit que j'ai toujours été ici, et que je le serai de tout temps. Peut-être les deux sont-ils vrais. Peut-être est-ce autre chose encore.
- Cela ne te pèse-t-il pas, de savoir que tu es condamne à passer l'éternité dans cette barque?"
- Pourquoi ? Elle n'est pas une cage. Si je venais à en sortir, rien ne m'arriverait. Je pourrais parcourir les Enfers ou le monde de la surface, ne plus me soucier de barques ou de passage, le monde ne s'écroulerait pas. Mais je choisis de rester ici. Où pourrais-je aller sinon ? Tout comme le Styx sépare morts et vivants, tout comme vous êtes reine des Enfers, je transporte les morts d'une rive à l'autre. Si le Styx le voulait, il pourrait quitter son lit. Si je le voulais, je pourrais quitter ma barque. Et rien ne vous retient réellement ici, si ce n'est votre propre conviction que vous devez rester.
Perséphone hésita, ne sachant que répondre.
- Et maintenant, ajouta Charon en levant sa lampe pour éclairer l'autre rive, je dois retourner à ma tâche.
Et sans plus mot dire, il se saisit de sa perche, et s'éloigna du rivage en un mouvement fluide.
Perséphone regarda l'embarcation disparaître sur l'eau noire du fleuve, la flamme blême de la lampe happée par les ténèbres comme la Lune par les nuages, et elle s'aperçut qu'elle souriait. Elle tourna les talons et repartit d'où elle venait, non plus une prisonnière enchaînée, mais une reine libre. Un léger sourire flottait sur ses lèvres, le murmure des ombres (ou etait-ce le vent dans les oliviers ?) chantant à ses oreilles.