[Orig]Seuls au monde, chapitre 1

Nov 18, 2012 16:35

Titre : Seuls au monde
Genre : Yaoi
Rating : Pour l'heure totalement pour tout le monde.

Bon, revoilà le moment où je vais avoir terriblement besoin de conseils pour pouvoir m'orienter dans cette nouvelle aventure, la dernière fois je remercie ceux qui ont pris le temps de lire les premiers chapitre du Chevalier noir et de pointer du doigt tout ce qui n'allait pas.

Les critiques sont vraiment ce que je cherche puisque je tâtonne encore beaucoup et que je ne suis pas contente de ce chapitre.

Merci.



Il savait déjà que la température serait élevée, et que le taux d’humidité était très fort, à quoi d’autre s’attendre sur une île tropicale ? Par contre il n’avait pas compté sur le reflet du soleil sur une vitre qui l’aveugla au sortir du cockpit alors que l’hôtesse lui souhaitait un bon séjour. Il posa la main sur la rampe. L’escalier de métal avait produit un bruit des plus sinistres lorsque le passager précédent l’avait emprunté. Dès que l’odeur de rouille atteignit ses narines il sut qu’il n’aurait pas dû. Bien sûr il y avait un mouchoir dans son costume d’été de lin blanc mais il doutait que le tissu puisse récupérer sa blancheur première s’il s’en servait. Et il ne voulait même pas se laisser aller à penser au fait qu’il n’y avait sûrement aucun pressing dans ce coin de l’océan Pacifique perdu loin de toute civilisation. Heureusement que les lingettes étaient facilement accessible dans son attaché-case.

Le tarmac était brûlant, comment pouvait-il en être autrement de bitume noir chauffé toute la journée par le soleil des tropiques ; il sentait la chaleur monter par vagues vers lui. Il croisa deux touristes, le sourire aux lèvres, le visage accusant encore les restes d’un coup de soleil, trois locaux dont un qui portait une énorme cage contenant un coq furieux. Il vit aussi passer la petite camionnette qui emmenait les bagages du couple et plusieurs roues de véhicule tout en laissant sur la route des traces d’huile. L’avion qui l’avait amené repartirait sous peu faire le tour des autres îles de l’archipel avant de rentrer sur Papeete.

Il n’eut pas à marcher longtemps avant d’atteindre le seul édifice de l’aéroport de Hiva One. Il lui avait semblé voir une tour de contrôle à l’atterrissage mais il n’y avait plus devant lui qu’un bâtiment plain-pied qui devait faire office de gare. L’ombre de l’aérogare fut bienvenue même s’il y faisait aussi, voire plus chaud qu’à l’extérieur. Facilement compréhensible quand un seul paresseux ventilateur brassait l’air et que la petite dizaine de personnes qui attendaient était tassée par la petitesse de l’endroit.

Les locaux se tournèrent vers lui, sourire de commande sur le visage. L’île vivait de l’agriculture qu’elle exportait tant bien que mal vers d’autres îles, de son artisanat mais aussi et surtout du tourisme. Il chercha mais son nom n’apparaissait sur aucun des panneaux. Il s’en doutait quelque peu, après tout nul n’avait répondu à ses mails ni à ses coups de fil… Heureusement qu’il avait prévu cette éventualité et préparé l’itinéraire qu’il devait suivre pour se rendre à destination.

Mais sa première préoccupation était de recouvrer sa valise avant qu’elle ne parte seule en voyage. Et puis ce temps serait bien employé, après tout peut-être était-il médisant et son guide était-il juste en retard…

L’employé derrière le seul guichet portait une de ces chemises dites hawaïennes dont il n’avait jusque lors connu l’existence qu’à travers des photos et il évita soigneusement de s’attarder sur les auréoles de sueur sous les bras. Il sourit, le plus poliment du monde, mais il savait que cette marque de respect et politesse serait perdue sur son interlocuteur qui regretterait juste qu’il ne soit pas une femme à la physionomie généreuse.

- Bonjour, je souhaiterai récupérer mon bagage.

Il y avait longtemps qu’il n’avait dû parler français et son accent était bien trop prononcé sans compter que les mots ne lui venaient pas facilement. La fois précédente, lorsqu’il avait dû accompagner Caroline à l’ambassade française pour un gala en l’honneur des arts de la table, il avait eu une semaine pour se préparer et avait engagé un coach pour se rappeler comment converser. Il se doutait, cependant, que le guichetier ne lui tiendrait pas rigueur de ses erreurs, mais il fallait qu’il se reprenne rapidement.

En fait il ne savait s’il devait maudire le jour où il avait appris le français ou le bénir, il avait dans l’idée qu’ils l’auraient exilé ici même s’il n’avait su dire bonjour…

xxx

- C’est vrai que tu ne sais pas !

- Oh mon dieu ! Tu es partie en vacances pile avant que ça commence !

- Mais quand même, qu’est-ce qui peut avoir tellement changé en seulement une semaine ?

La lumière artificielle baignait la petite pièce, mais le nombre de personnes présentes rendait l’endroit soudain plus obscur, enfin surtout autour d’elle. Elle n’était pas agoraphobe mais là il y avait quand même plus beaucoup d’espace personnel et elle ne parlerait même pas d’oxygène, surtout que certaines avaient eu la main lourde sur le parfum ce matin.

L’humanité a toujours eu dans la journée des moments sacrés : l’angélus, la prière du matin, le repas, la quatrième cloche… Des rituels qui rythmaient l’écoulement du temps et rappelait à l’homme qu’il n’était qu’une partie d’un tout, un grain de sable dans le sablier de l’univers. Dans toute entreprise qui se respectait cet instant était la pause de dix heures trente des secrétaires. Nulle force en ce monde n’avait le pouvoir d’arrêter ce phénomène, grèves, mauvais temps, banqueroute, patron furax, rien n’y faisait. Alors que se tenait cette communion plus aucune information ne pouvait circuler, plus aucune requête être faite, les puissants devaient sortir de leurs bureaux et trouver par eux-mêmes ce dont ils avaient besoin.

Eris Macrotechnology ne faisait pas exception à cette coutume ancestrale et leurs prestigieux bureaux de New York sis dans l’une des plus hautes et centrales tours de la ville non plus. Ce qui expliquait que toutes les secrétaires du 55ème, l’étage des gros chéquiers, et quelques unes des autres, étaient présentement agglutinées autour de la cafetière, dans la salle de repos aux murs pastel, et surtout encerclaient Gina, leurs yeux brillants et les mots brûlant leurs lèvres rouges.

- Bäring est tombée !

- Elle n’a rien vu venir !

- Mais moi je savais que ça arriverait…

- McLachlan lui a tiré le tapis juste sous les pieds.

- Tout le monde savait qu’il voulait sa place !

- Mais elle voyait que Torres comme compétiteur…

- Pourtant ça se voyait !

- Elle est partie juste un jour à Chicago et à son retour tout avait été fait, même son bureau avait été nettoyé.

C’était comme une avalanche d’informations, la digue avait rompu et toutes se précipitaient pour glisser une phrase, pour participer. Le plus étrange était que tout s’enchainait sans faux-pas, l’une après l’autre, machine à ragots bien huilée.

Il y eut une pause et elle sut que c’était son tour de communier avec le groupe.

- Non ?

Elle avait dit exactement ce qu’il fallait et les sourires s’agrandirent.

- Si !

- Ça fait un choc !

- Tellement rapide !

- Oh elle part avec tous les avantages…

- Moi aussi je veux bien un chèque comme ça le jour de mon départ !

- Vu son âge jamais elle s’en remettra !

- C’est sûr !

- Et puis son orgueil…

- Elle a toujours été centrée sur les apparences…

- Enfin, dans ce métier…

- Elle n’oubliera jamais qu’elle a été humiliée.

- Et puis…

Marta jeta un coup d’œil autour d’elle et murmura.

- McLachlan est un vrai salaud et une amie de chez Black Mesa m’a dit qu’il y avait déjà des rumeurs sur Bäring et la raison pour laquelle on l’avait remerciée…

- McLachlan est une raclure de bidet et j’aime pas la façon dont il me regarde.

- Genre il t’a jamais regardée Tina…

- Les filles ! C’est pas le moment !

- Elle a raison.

- C’est clair.

- Non, parce qu’on t’a pas encore dit le plus important !

xxx

Il jeta un dernier regard à son apparence dans la glace jaunie et mal nettoyée mais ne trouva plus rien à retoucher. Ses mains étaient à nouveau propres, il avait corrigé les plis du lin et refait sa queue de cheval. Il n’avait plus de raison de tergiverser. Il reprit son attaché-case posé sur le lavabo car le sol… en fait il ne préférait pas y penser, et sortit.

L’aérogare s’était sévèrement dépeuplé et comme il le pensait son hypothétique guide n’était pas là. A dire vrai il ne restait plus que le guichetier et une vieille femme qui passait un balais fatigué après ce qui avait sans doute été la seule et unique heure d’affluence de la journée. Il revint au guichet récupérer sa valise qu’il avait laissé à la bonne garde de l’employé au regard ennuyé qui maintenant feuilletait sans envie un magazine de motos.

- Excusez-moi, savez-vous s’il y a un bateau qui relie Hiva One à Ata Hiva ?

- Ouais, ya la navette.

- L’ai-je ratée ?

- Elle fait six - six.

- Pardon ?

Certes son français n’était pas parfait, mais il doutait quand même du sens et de la cohérence de cette phrase.

- Elle arrive à six heures le matin et repart à six heures le soir.

- Donc il me reste trois heures à attendre si je souhaite la prendre.

- Ouais.

- Savez-vous s’il y a des bateaux prêts à m’y emmener avant ?

- Ça dépend, mais j’vous préviens, c’est tous des bateaux de pêche.

- Peu m’importe.

Il sortit un billet de mille francs polynésiens de sa poche intérieure. Il avait encore beaucoup de mal à évaluer la valeur de ce pourboire dans une économie insulaire mais il devrait réussir à ne pas offenser pareil personnage.

- Sauriez-vous par hasard si quelqu’un pouvait m’amener jusqu’au port ?

Bien sûr le guichetier fut plus qu’heureux d’appeler son frère pour le faire conduire en ville.

Pour l’heure tout se déroulait sans accroc et conformément à ses estimations. La traversée d’une heure et demie devrait l’amener à Vaihatu vers le coup de cinq heures ce qui lui laissait une heure de jour encore avant d’atteindre sa destination.

xxx

- Le plus important ?

Gina sentit le poids de tous les regards à nouveau sur elle.

- Oh oui, le plus important.

- Parce que Bäring n’était jamais seule.

- Elle est venue avec lui.

- Moi j’aurais pensé qu’elle repartirait avec.

- Je veux dire tout le monde savait qu’elle couchait avec.

- Total cougar.

- Mais il était tellement gentil et serviable.

- Et bien habillé.

- Et des manières impeccables.

- Et du standing.

- Sans parler de sa famille…

- Mais toujours honnête et humble.

- Vous dites ça uniquement parce qu’il est beau. Il vous a eu avec son look Prince des glaces.

Le silence retomba et chacune des secrétaires se braqua sur l’unique mâle de l’assistance. Harry prit une gorgée de son café et eu du mal à déglutir.

- Quoi c’est vrai ? C’était un connard comme tous les autres mais il était beau et vous êtes toutes tombées sous son charme.

- Kris n’a jamais été comme ça !

- C’était un gentleman !

- Exactement ! Contrairement à certains.

- Trois ans qu’il a travaillé avec nous et jamais il n’a oublié mon anniversaire.

- Chaque année il m’a offert des fleurs le jour de ma fête.

- Et des roses pour toutes les secrétaires le jour de la Saint Valentin.

- Et toujours avec le sourire.

- Et toujours un mot gentil, jamais il n’oubliait de remercier.

- Même quand elle le faisait travailler jusqu’à minuit.

- Même quand elle le forçait à rentrer d’une soirée encore en smoking pour taper un mémo.

- Et qu’est-ce qu’il était beau ! Le noir et blanc strict lui allait tellement bien !

- Et ses cheveux blonds et longs.

- Ses yeux bleus.

- Son visage viril.

- Avec ces fossettes quand il souriait.

- Et ses muscles, l’été dernier lorsque la clim était cassée et qu’il nous a aidées à réorganiser les archives…

Un soupir monta de leurs poitrines.

- Il était parfait ! Le prince du 55ème.

- Mais il avait un regard tellement triste…

- Oh oui.

- Je suis sûre qu’il avait une tragédie dans son passé.

- Un amour perdu.

- Ce qui expliquait sa relation avec cette vieille peau de Bäring.

- Mais… il a été renvoyé ?

Gina ne regardait même plus sa tasse de thé devenue froide entre ses doigts. Une expression peinée se lisait sur le visage de toutes. Maggie prit sa main entre les siennes comme pour lui annoncer une terrible nouvelle.

- Oh non, bien pire.

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Il n’avait aucune idée des effets de l’eau de mer sur le lin mais il allait bientôt pouvoir les constater de première main car le bateau qui filait sur l’océan d’un bleu profond ne fendait pas tant les vagues qu’il les brisait en mille éclaboussures qui finissaient forcément par lui arriver dessus. Il n’avait jamais été plus heureux de la coque solide et imperméable de sa valise casée sous le petit banc de bois sous lui, et de sa décision de laisser à New York son habituel attaché case en cuir pour un autre rigide et imperméable.

Jacques, le pécheur à l’accent qu’il qualifierait de chantant pour ne pas être désagréable, était à la barre et silencieux ce qui était une chance car non seulement il avait du mal à comprendre son français mais en plus le claquement du vent à ses oreilles l’empêchait d’entendre autre chose que les cris des oiseaux marins et le crépitement des vagues qu’ils brisaient.

Son bras commençait à lui faire mal et il en changea, posant sa main gauche sur le panama que son guide l’avait généreusement aidé à trouver et à acheter dans l’une des boutiques d’artisanat quand il s’était rendu compte qu’il n’y avait aucune ombre sur le bateau. Bien sûr le couvre-chef n’était pas exactement des plus raffinés et bien confectionnés mais il n’avait pu mettre ses chapeaux dans la valise qu’il avait préparée bien trop vite, car la pression les aurait déformé. Il s’était donc résolu à s’en procurer de nouveaux sur place et à cheval donné…

Il savait pertinemment qu’il ne pouvait partir sans, il n’y avait pas seulement la promesse de coups de soleil sur sa peau blanche malgré l’écran total qu’il avait soigneusement appliqué, il y avait aussi l’insolation qui ne manquerait pas de s’abattre sur lui s’il ne mettait ses lunettes et un couvre-chef pour se protéger de la réverbération. Il n’avait aucunement envie d’arriver à destination nauséeux et fiévreux, voilà qui ferait une splendide première impression...

Il laissa son regard glisser sur la beauté incroyable de ce paysage de carte postale. Ils se rapprochaient de Ata Hiva, Hiva One à peine visible au loin derrière eux, entourée d’une brume de chaleur. La nouvelle île se découpait dans le ciel d’un bleu parfait, ses hauteurs vertes et sauvages entourant de noirs pics comme des flèches soudaines dressée vers l’azur, attirait l’œil alors que quelques taches bleu clair laissaient voir les lagons qui entouraient imparfaitement l’île. Il n’arrivait pas encore à distinguer d’habitations humaines.

D’après ses recherches l’île, plus petite que Hiva One était moins peuplée encore et bien peu de touristes s’y aventuraient, il y avait deux villages installés au bord de l’eau dans deux vallées différentes, trois pensions et un minuscule hôtel, un parc naturel doté d’un observatoire scientifique de la faune et la flore, un musée de l’artisanat local qui faisait aussi office de boutique de souvenirs, des chevaux, et toute une vallée qui n’était qu’une énorme propriété privée.

Il scruta l’île qui devenait plus grande à chaque minute, tentant de se repérer par rapport aux deux photos qu’il n’avait réussi à trouver qu’avec difficulté, mais il n’y arrivait pas. Qu’importait, il y aurait bien quelqu’un à Vaihatu pour lui indiquer comment se rendre à destination ou pour l’y conduire puisqu’il doutait de trouver en ville quelqu’un l’attendant. Il était aisé de se rendre à l’évidence, soit nul n’était au courant de son arrivée, et au vu des nombreux messages qu’il avait laissé par mail et téléphone il doutait que ce soit possible, soit ce fait n’avait pas été jugé assez important pour faire venir quelqu’un à sa rencontre.

Il ne soupira pas car il ne servait à rien à de s’appesantir sur ce qu’il ne pouvait changer mais c’était une nouvelle préoccupation à laquelle il devrait remédier.

Un banc d’exocets apparut soudain autour du vaisseau et il ne put empêcher ses lèvres de sourire.

xxx

- Qu’est-ce qui peut être pire que d’être renvoyé ?

Lisa eut un sourire méprisant et Gina se sentit rougir.

- Être muté bien sûr.

- Il a été muté ? A Seattle ?

- Oh non, ma chère, bien plus loin, dit Maggie, un sourire toujours maternel sur les lèvres.

- Pff… ce n’est même plus une mutation.

Lisa reposa sa tasse vide.

- C’est un exil.

Tina approuva en hochant la tête.

- Tu parles c’est surtout une rétrogradation, déclara Marta.

- De toutes façons McLachlan l’a toujours détesté.

- Faut dire il est laid et vieux.

- C’est un vieux dégueulasse tu veux dire, intervint Tina.

- Il essayait toujours de l’attaquer.

- Il a tenté de le faire renvoyer à deux reprises.

- C’est à cause de Mellie.

- L’intérimaire ?

- Qui d’autre ?

- Vrai qu’il bavait sur elle.

- Je me souviens du bracelet en toc dans son écrin Tiffany sur le bureau…

- Et les fleurs de mauvais goût…

- Et les chocolats à la liqueur français.

- Bref il voulait Mellie dans son lit.

- Sauf qu’elle était à fond sur Kris.

- Elle regardait même pas McLachlan.

- Qui peut lui en vouloir ? dit Alice en soupirant en repensant au prince du 55ème.

- Enfin c’était bien avant que tu viennes bosser ici, Gina, dit Lisa, toujours un peu hautaine parce qu’elle était l’une des plus vieilles, des mieux payées et des plus importantes d’entre elles.

- Toujours est-il que McLachlan détestait Kris.

- Et il a trouvé le moyen de se venger.

- En l’exilant à l’autre bout du monde.

- Dans une filiale en Europe ? demanda Gina.

- Pire.

- Bien pire !

- Il l’a envoyé avec le Monstre.

Le silence, épais comme la neige, soudain comme l’éclair s’abattit sur la pièce.

La voix de Gina s’éleva presque inaudible.

- Non ?

- Si ! répondit le chœur de tragédie grecque.

xxx

Le soleil n’avait pas encore commencé à décliner mais il savait que sous ces latitudes le crépuscule était rapide et prévisible. Il lui restait à peu près une heure de jour et il serait bon qu’il arrivât avant la nuit à destination. Jacques avait pris son argent et était parti au bar-tabac-café qui était l’un des seuls bâtiments du village avec la mairie qui faisait aussi bureau de poste, le magasin d’alimentation et l’école. Oh et la clinique médicale et vétérinaire.

Il oubliait la petite cabane typique aux murs et au toit en feuilles, de niau lui semblait-il, qui annonçait servir de boutique de souvenirs, d’artisanat et d’office du tourisme. Un groupe de gamins jouait aux billes sur le bitume près de l’école et trois locaux qui sirotaient un café s’étaient mis à discuter avec Jaques. Il n’y avait personne d’autre même s’il entendait au loin les échos d’une radio ou d’une télé. L’air était chaud et humide et il était seul avec sa valise au centre de ce village plus désuet et décourageant qu’une ville fantôme de l’Ouest.

Il raffermit sa prise sur sa valise et entra d’un pas décidé dans l’office du tourisme, prenant grand soin de ne pas faire tomber des objets d’artisanat d’une valeur et qualité aussi disparate que désespérante.

- Bonjour…

L’endroit était vide et poussiéreux et la luminosité laissait sérieusement à désirer. La plus grande source de lumière venait d’un présentoir à bijoux avec des perles noires biscornues montées en colliers. Un bruit provint du comptoir et il se tourna à temps pour voir arriver un homme avec encore une autre de ces chemises à fleur.

- Bonjour et bienvenue, en quoi puis-je vous aider ?

C’était un européen à moitié chauve et avec un sourire bien trop brillant pour un homme vivant sur une île loin de toute civilisation et travaillant dans ce qui était essentiellement une maison en feuilles. Mais au moins parlait-il un français presque sans accent.

- Bonjour, je cherche à me rendre à Grand Roque.

Les yeux du vendeur et sûrement propriétaire s’écarquillèrent.

- Grand Roque ? Mais c’est une propriété privée…

- En effet, je dois m’y rendre pour affaires.

Les yeux d’un bleu délavé l’observèrent des pieds à la tête.

- Pour affaires…

- En effet.

L’homme haussa les épaules.

- Le plus simple pour s’y rendre c’est le bateau…

- Bien sûr.

Il sentait bien que son sourire se faisait plus fatigué et tiré, mais il ignora la fatigue, le décalage horaire et l’irritation.

- Connaîtriez-vous quelqu’un qui puisse m’y conduire ?

- Ben ya Antoine, mais je sais pas si…

- Où puis-je trouver Antoine ?

- Je vais l’appeler, ce sera plus simple mais à Grand Roque…

- N’ayez crainte, je suis attendu.

L’homme ne semblait pas convaincu mais il sortit son portable et appela le dénommé Antoine pour lui annoncer qu’un popa’a, il imaginait que ce devait être lui, cherchait à aller à Grand Roque voir son boss.

- Il arrive dans une demi-heure. Vous voulez quelque chose à boire ?

Il accepta avec gratitude, d’autant que l’homme lui offrit un siège.

- Je m’appelle Denis.

- Enchanté, je suis Kris.

Ce n’est que lorsque Denis s’assit face à lui qu’il s’aperçut qu’il ne portait sous sa chemise hawaïenne qu’un slip fait dans un tissus à fleurs qu’il avait noué à sa taille comme un sumotori…

xxx

- Mais il n’est pas forcément si… tenta de positiver Gina avant de se faire immédiatement couper la parole.

- Le Monstre ?

- Bien sûr que si !

- Mais totalement.

- Comment en douter ?

- Surtout après le scandale.

- C’était il y a un mois à peine !

- Tout le monde en a entendu parler.

- Bäring était furieuse.

- McLachlan était vert.

- Faut dire que c’était un de ses poulains.

- Il l’avait placé là en espérant pouvoir le manipuler.

- Celui contrôle le Monstre contrôle Eris.

- Forcément avant lui on était même pas en bourse.

- Mais tout le monde sait que le Monstre est pas contrôlable.

- C’est une des raisons pour laquelle le conseil était contre son embauche.

- Et qu’ils se sont plaint de chacun des ponts d’or qui lui ont été faits.

- Enfin avant que les résultats n’arrivent.

- Non parce que là rien n’était trop beau pour lui.

- Il pourrait manger des bébés au petit dej qu’ils les lui apporteraient avec le sourire.

- Moi j’ai bossé à Seattle quand il y était.

- Non ?

- Si. Et il est aussi timbré qu’on le dit. Le type même du sérial killer psycopathe. Sortait jamais du labo, l’était désagréable au possible. Et méfiant. Toujours à t’observer dès que tu entrais dans son labo.

Tout le monde s’était tu pour écouter Rosa avec attention et elle se délectait de ce moment de gloire.

- Si vous voulez mon avis la meilleure idée qu’ils aient jamais eu ça été de lui permettre d’acheter son île déserte. Au moins là-bas il fait souffrir qu’une personne alors que quand il était à Seattle, je peux vous dire qu’on marchait tous sur des œufs et le taux de démissions, la plupart forcées, était incroyable. Non, parce que si t’offensait la poule aux œufs d’or tu pouvais directement te défenestrer.

- Mais enfin, c’est jamais qu’un ingénieur et…

- Ce n’est pas qu’un ingénieur !

- On m’a dit que Monsieur Zahn avait hypothéqué toute sa fortune pour faire l’offre contre le ministère de la Défense et Boeing.

- Son surnom de Monstre il l’a eu au MIT où il faisait tellement peur aux autres grosses têtes avec ses capacités qu’ils le fuyaient.

- Et puis faut voir le scandale d’il y a un mois.

- Il a harcelé les bureaux de Seattle parce qu’il voulait parler à un mec.

- C’était un samedi.

- Il y avait qu’une réceptionniste.

- Elle a été obligée d’appeler le gars en urgence.

- Le pauvre homme était en week-end avec ses mômes.

- D’après ce que m’a dit Cindy de RH qui l’a eu de Vicky de la Compta qui est la cousine de la fille, il avait une voix de cadavre mais il hurlait tellement qu’elle a obéit. Il était à l’autre bout du monde mais elle était morte de trouille.

- Et puis bon faut voir pourquoi…

- Il a fait une crise de parano.

- Non parce qu’en plus d’être violent il est totalement siphonné.

-Il a accusé son secrétaire, Trouttison, de l’avoir espionné et d’avoir revendu ses notes à des russes.

- Moralité il s’est enfermé dans son labo sans manger ni dormir pendant trois jours.

- Là où Trouttison a fait une faute c’est qu’il a prévenu personne.

- En tous cas il a fait une crise ou quelque chose parce que c’est là qu’il a appelé Seattle.

- Et que tout est tombé sur la gueule de Trouttison.

- Qui avait été placé là par McLachlan.

- Oh ça va Tina, lâche-nous avec McLachlan !

- Oui parce que le gars de Seattle a appelé le Bureau pour leur faire savoir ce qu’il pensait de la situation et leur ordonner de la régler au plus vite.

- Autant dire que sa retraite Trouttison la verra jamais.

- Faute professionnelle grave.

- Et le Monstre s’est retrouvé sans secrétaire.

- Et vu comment ça c’était fini pour le dernier McLachlan a décidé de faire d’une pierre deux coups.

- Il a trouvé un loophole dans le contrat de Kris.

- Et il l’a envoyé sur une île déserte.

- Avec le Monstre.

- En espérant qu’il se fera bouffer.

Harry posa sa tasse dans l’évier et partit. La pause était terminée.

xxx

Antoine Tsing était un jeune homme aux allures de surfer, ou du moins était-ce ce que son bronzage et la dent de requin autour de son cou lui évoquaient. Il avait la poignée de main trop ferme de l’homme qui voulait trop impressionner et faire montre de sa virilité mais il parlait un anglais à peu près potable.

- C’est le boss qui parle avec moi de temps en temps et puis avant il y avait Tessa et puis bon j’ai quand même appris un peu au collège.

Le bateau était bien plus spacieux et plus moderne, voire luxueux que celui de Jacques le pécheur.

- C’est un de ceux du boss, ma sœur et moi on l’utilise pour faire toutes les courses et le ravitaillement et pour emmener maman les jours de ménage.

Ils longeaient l’île.

- Vous voyez le grand rocher là, en haut des falaises ? A partir de là ça appartient au boss. Il a acheté la vallée toute entière. Moi j’étais en internat au collège à l’époque mais maman m’a dit que ça a fait un très gros scandale, la mairie a tenté d’interdire la vente, ils ont fait appel à la collectivité territoriale mais ça a pas marché.

Il avait vu quelques habitations auparavant, maintenant il n’y avait plus que la forêt, inhabitée.

- Maintenant ils remercient tous le boss dans les prières du soir. Il y a même eu un article sur lui dans La Dépèche. Faut dire grâce à lui on a le docteur Carroll, alors ouais on comprend rien à ce qu’il dit et c’est surtout un véto mais en attendant on a plus besoin de se faire tout le trajet jusqu’à Hiva One quand quelqu’un se casse le bras ou se fait une coupure. Et ça c’est sans parler du fait que maintenant on a internet. Ou que ma mère, ma soeur et moi on a un boulot. Ou qu’il se bat pour préserver l’environnement et qu’il a donné plus à l’Observatoire en un an que tout le gouvernement en dix.

- Il semble être le héros de l’île.

- Hé, j’appelle pas le premier venu boss.

Le bateau tourna soudainement et une plage à l’eau d’un bleu transparent et au sable d’un blanc parfait apparut.

- Et voilà, Grand Roque. Il y a pas un caillou, mais le boss a dit que c’était rapport à un truc d’échec.

La vitesse du bateau ralentit grandement et Antoine se concentra pour éviter les rochers aux coraux de toutes les couleurs qui entouraient l’étroit chenal. Le soleil se couchait au loin sur la mer et le ciel prenait des teintes violacées.

- Et voilà.

Il amarra le bateau au ponton, non loin d’un autre plus gros et plus luxueux encore. Il s’empara de sa valise et passa tranquillement sur la passerelle.

- Un coup de main ?

Kris accepta, quittant le bateau, son attaché case toujours à la main. Il était presque arrivé à la fin de ce périple commencé plus de 48 heures plus tôt.

- Bon alors par contre je sais pas ce que fait le boss, on est pas sensé venir le mardi, le ménage, le jardinage et les livraisons c’est le lundi, le mercredi et le vendredi. Mais bon on va aller sonner au petit salon.

Il emboîta le pas à Antoine qui portait toujours sa valise, suivant un petit sentier de gravier blanc entre les arbres et les superbes buissons de fleurs du jardin.

Il avait vu le premier prenant le soleil sur le ponton, ses poils roux captant la lumière du crépuscule. Il vit le deuxième en train de marcher sur l’herbe, son poil soyeux comme un doux nuage gris le suivant. Il n’avait pas fait la moitié du chemin qu’il avait perdu le compte du nombre de chats qu’ils avaient croisé.

Il ne s’y connaissait pas vraiment en chats, mais il savait reconnaître des pures races quand il en voyait et chacune de ses bêtes avaient un pédigrée surement plus long que son bras. Leurs yeux brillant les regardaient passer sans y prêter plus d’attention, seuls habitants de cet étrange jardin d’Eden après la Chute.

Des lumières douces s’étaient allumées au sol le long du chemin à présent que le soleil avait sombré sous l’océan et le porche de l’immense demeure était illuminé. Il était facile de voir malgré l’obscurité qui empêchait d’en voir les détails que la maison n’aurait pas dépareillée dans un magazine d’architecture.

La porte n’était pas fermée à clef et Antoine l’ouvrit, les faisant pénétrer dans un énorme salon aux lignes épurées et tourné vers les immenses baies vitrées ouvrant sur le jardin féerique. Le jeune homme l’abandonna pour décrocher le combiné.

Il s’avança vers les fenêtres, défaisant sa veste et la pliant sur son bras. Il scruta son apparence dans le reflet. Bien sûr ses cheveux échappaient à sa queue de cheval suite à deux voyages successifs en bateau et sa chemise était pleine de plis, sans compter sur les poches sous ses yeux et la ligne fatiguée de ses épaules.

Il ferma les yeux et inspira. C’était presque fini. Il redressa ses épaules, posa sa veste sur le dossier d’un fauteuil et refit sa queue de cheval même s’il aurait préféré sortir un peigne et démêler les nœuds qui maintenant se voyaient dans ses cheveux. Il rajusta aussi sa cravate. Il ne pouvait rien faire pour les plis de sa chemise cependant. Il reprit sa veste.

Antoine attendait toujours, le combiné sur l’oreille, les yeux levés, les doigts pianotant au rythme d’une musique qu’il était seul à entendre.

La porte s’écrasa contre le mur dans un vacarme assourdissant au milieu du calme de la nuit parfumée. Ils sursautèrent et se tournèrent tous deux.

Pour découvrir qu’un monstre aux yeux rouges se tenait dans l’embrasure de la porte et les fixait avec fureur, sa large poitrine soulevée par la colère. Une épaisse barbe noire mangeait ses traits et ses cheveux bouclés étaient en bataille. Le débardeur qui accrochait à ses muscles était taché, tout comme son pantalon.

Le silence s’éternisa, le regard injecté de sang se posant sur lui et Kris se sentit se raidir malgré lui, mais il serra les dents et affronta la bête.

- Boss…

Les yeux le quittèrent et se posèrent sur le jeune homme qui déglutit difficilement et se mit à parler bien plus bas, gêné comme un enfant pris en faute.

- Désolé de vous déranger… Mais il voulait vous voir…

Il avait cessé de parler et ne bougeait plus, comme un lapin face à un serpent.

Kris fit un pas en avant, plaquant un sourire sur ses lèvres.

- Monsieur Knight je présume. Je suis Kris Von Toëck, votre nouveau Assistant Personnel.

Il tendit la main.

Knight la regarda comme si c’était la première fois qu’il en voyait une et le moment s’éternisa.

- Non.

Ce fut le premier mot qui tomba de sa bouche et c’était plus le grognement d’un animal qu’un son humain, comme s’il n’avait pas parlé durant deux ans.

Il cligna des yeux et élargit son sourire.

- Pardon ?

- Non. Je ne veux pas de vous chez moi.

seuls au monde, écriture

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