Le Beau capitaine - Mènis Koumandarèas
(1982 - Quidam éditeur, 2011)
Grèce (années 60)
Dans une pièce pleine de diplômes encadrés, de photographies et de bibelots, le narrateur pousse le vieux conseiller d’État à raconter son histoire - cette affaire dont il a dû s'occuper autrefois et qui l'a marqué bien plus qu'il ne semble prêt à l'avouer au premier abord.
Au début des années 60, le conseiller était encore simple maître des requêtes lorsqu'un jeune officier est arrivé au vieux Palais Royal, déposer une requête visant à faire annuler un refus d'avancement. Le Beau Capitaine : ainsi le conseiller l'a-t-il tout de suite surnommé, fasciné par sa beauté franche et radieuse, par l'impression de vie, d'énergie et d'élégance qu'il dégage. Le refus d'avancement sera annulé, et à l'enthousiaste reconnaissance de l'un répond la volonté de l'autre de reprendre ses distances.
Mais à mesure que la vie politique grecque bascule dans la confusion et s'achemine vers la dictature des colonels, la hiérarchie militaire s'acharne sur le Capitaine. Entre le jeune homme - plus si jeune que ça au fond - et le conseiller vieillissant, quelque chose s'esquisse. Quelque chose de trouble et de puissant, qui en d'autres temps, dans un autre monde, aurait peut-être pu s'appeler amour, mais qui ici ose à peine se reconnaitre attirance.
D'un tempérament d'esthète, paisible et cultivé, le conseiller passe au travers des événements politiques comme au travers d'un rêve, les déplorant mais sans réellement se laisser toucher par eux. Si la matière historique est ici bien présente elle l'est surtout à la manière d'une esquisse, toile de fond à un thème bien plus poétique que politique. La fascination détachée des contemplatifs pour la vie et la jeunesse. L'infini et dangereux pouvoir de la beauté. La déchéance implacable qui peu à peu entraîne vers le fond un héros lumineux et fier...
Le résultat est un très beau roman, tout en élégance et en retenue. Un roman qui retient et captive petit à petit, sans en avoir l'air, jusqu'à une fin rendue d'autant plus poignante par sa portée au fond universelle. Lorsque le monde s'emballe, lorsque les hiérarchies se figent, qu'advient-il des hommes incapables de s'y adapter ?