Le Peuple de l'Abîme - Londres par London

Nov 24, 2012 10:58


Le Peuple de l'abîme (ou Le Peuple d'en-bas) - Jack London
(1903 - Phébus 1999)

Angleterre (Londres)
Vue par un américain


En 1902, Jack London profite d'un voyage à Londres pour en explorer les bas-fonds. Pas comme un artiste à la recherche de sensations fortes ou de plaisirs décadents : comme un journaliste sociologue, prêt à revêtir le costume des plus miséreux, à partager leur existence et se fondre dans leur monde pour mieux le comprendre, et mieux dénoncer les mécanismes sociaux qui l'ont créé.
Écrit à chaud, remanié à plusieurs reprises pour pouvoir être publié, Le Peuple de l'abîme est le résultat de cet étrange et dérangeant voyage.

Il se divise plus ou moins en deux parties. Dans la première, London raconte son périple. Les difficultés qu'il a rencontrées pour l'accomplir (tout le monde le prenait pour un fou !), la manière dont il s'y est pris, et ce qu'il a vu et vécu une fois glissé dans l'Abîme. Les gens qu'il y a rencontré, leurs histoires, leurs pauvres techniques de survie. Il y raconte l'asile, où contre un travail de bagnards on peut obtenir trois repas infects et deux nuits dans un dortoir empuanti. La nuit dans les rues, où le sommeil est impossible quand les policemen chassent tout individu coupable de s'endormir sur un pas de porte ou un banc. Les taudis où s'entassent des familles entières dans des chambres minuscules, où un simple bout de plancher se sous-loue encore à plus miséreux que soi. La cueillette du houblon, qui attire chaque année les épaves de l'East End à la campagne pour quelques sous. Le couronnement d'Edward VII et son déploiement de luxe absurde et anachronique.
La seconde partie du livre est plus analytique et thématique. Elle aborde tour à tour le thème de la propriété, comme spoliation de l'individu, celui des salaires, des logements - dont la gestion désastreuse pousse au développement de ces ghettos - des enfants, du suicide, de l'alcool... toujours abordés d'un point de vue très réaliste et factuel, chiffres et documents à l'appui.

Lui-même issu d'un milieu modeste, ancien vagabond qui connut les rigueurs des nuits sans abri et des prisons américaines avant de devenir écrivain reconnu, London se démarque des auteurs bourgeois de son temps, de leur vision si souvent romantique, moralisatrice et étriquée de la misère. Il parle d'humanité brisée, de mécanismes implacables - pas de potentielle rédemption et de bons sentiments. Et avec la charité elle-même, telle qu'elle se pratique à l'époque, il se montre tout aussi implacable qu'avec le reste.
Rédigé à mesure de son périple, sous le coup de l'indignation, ce texte en a les défauts et les qualités. Une certaine tendance à se répéter et à sauter du coq à l'âne, malgré les remaniements ultérieurs, mais aussi une grande spontanéité qui en fait un documentaire particulièrement précieux : sur la réalité de cet East End si souvent fantasmé, mais aussi sur la vision qu'un américain cultivé et engagé pouvait avoir de la vieille Angleterre et de ses ambiguïtés.

continent : europe, ville : londres, pays : angleterre

Previous post Next post
Up