Jordan raccompagna le docteur Blair à la porte, heureux de voir la mégère partir. Elle n'avait pas été très agréable avec lui pendant l'heure et demie qu'elle était restée et toutes ses tentatives de l'amadouer s'étaient soldées par un échec. Elle avait demandé plusieurs fois à Jordan pourquoi il était là et pourquoi il ne pouvait pas laisser ce charmant garçon tranquille. Il ne comprenait ce que tout le monde avait à défendre Shawn. Cela devenait franchement ridicule.
Shawn était heureusement endormi et l'avait été pendant la majorité de la visite du médecin. Jordan ramassa les serviettes et les bols qui restaient dans la chambre et les ramena à la salle de bain. Il ferma les rideaux de la chambre pour cacher les dernières heures de lumière. Il ôta ensuite ses chaussures et s'installa dans le fauteuil inconfortable placé dans un coin de la pièce.
Blair avait demandé ce qu'il faisait là, et il n'en était pas vraiment sûr lui-même. Il devait parler à Shawn de ce qui s'était passé dans la ruelle, qu'ils accordent leurs versions de l'histoire, mais vu l'état dans lequel se trouvait Shawn, il aurait pu partir et revenir le lendemain sans que cela ne change quoi que ce soit. Il ne l'avait juste pas envisagé. Il ne pensait pas que Shawn ait pensé à cette possibilité lui non plus.
Jordan n'avait pas de problèmes à veiller sur lui. Il fallait qu'il dorme de toutes les façons, il pouvait tout aussi bien le faire dans la même pièce que Shawn.
Il replaça un coussin plus confortablement sous sa nuque et ferma les yeux.
Il se réveilla quelques heures plus tard en entendant Shawn pousser un cri. Jordan se leva avec difficulté, le fauteuil avait fait des misères à son dos. Il s'approcha du lit, Shawn était essoufflé et semblait sortir d'un cauchemar. Jordan l'aida à se redresser un petit peu avant de lui passer un verre d'eau.
- Merci.
- Mauvais rêve ?
- Oui.
- En rapport avec ce qui s'est passé tout à l'heure dans la ruelle ?
Jordan aurait pu choisir la subtilité mais il était fatigué, et il était légèrement aigri. Il avait besoin de son petit confort, plus qu'il n'aimait l'admettre aux habitants de Promise City à qui il prêchait une vie simple et un retour à la nature la moitié du temps.
- Pas uniquement. Je vois l'armée envahir les rues de la ville très souvent aussi.
- J'ai fait celui là moi aussi.
- Je crois que la moitié de la ville craint l'arrivée des troupes pendant que l'autre moitié l'espère.
Jordan était assez d'accord avec cette analyse. Il laissa un silence se prolonger avant de continuer.
- Shawn... tu sais que tu n'as pas à te sentir coupable pour ce qui s'est passé.
Le jeune homme rit doucement, ironique.
- Ce n'était pas la première fois, Jordan. Je n'ai pas aimé le faire. Je déteste cette part là de mon don la plupart du temps, mais ce n'est pas la première fois que je m'en sers pour tuer quelqu'un.
Jordan recula, surpris. Shawn avait l'air sérieux, un peu résigné aussi.
- Qu'est-ce que tu veux dire par là, Shawn ?
- Juste que tu n'as pas besoin de prendre des gants avec moi pour ça. Je n'avais pas le choix. Si nous étions morts, Seattle aurait probablement été rasée, peut-être même littéralement. Elle voulait nous tuer. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux pas penser à ça.
Jordan voulait savoir qui il avait tué. Il doutait qu'il y ait plus d'une autre personne. S'il n'avait pas précisé avec son don, il aurait pensé que Shawn parlait d'une responsabilité imaginaire dans la mort de telle ou telle personne.
- Comme tu veux. Il faudra quand même que l'on se mette d'accord sur ce qu'on va dire.
- On nous a tiré dessus. J'ai soigné ta blessure et on en est reparti.
- Nous n'avons jamais su qui était le tireur. Ton oncle s'occupera du corps. Je lui ai dit où le trouver.
- Je déteste qu'il sache, répondit Shawn en détournant la tête. Est-ce qu'il va croire...
Il prétendait que tuer la gamine ne le dérangeait pas plus que ça mais l'idée que son Oncle Tommy le sache le mettait mal à l'aise.
- Tom n'est pas un imbécile. Et il te connaît.
Shawn ne répondit rien. Il repoussa le plaid qui le couvrait et sortit un petit objet de la poche de son pantalon qu'il portait toujours. Il le tendit à Jordan. C'était une balle. Jordan plissa des yeux, la balle que Blair avait extraite de son épaule était sur la console.
- Qu'est-ce que...
- Elle n'était pas ressortie. Je ne pouvais pas la laisser à l'intérieur. Il aurait fallu te rouvrir pour l'enlever. C'était stupide.
- Tu as...
Jordan avait du mal à imaginer Shawn fouillant sa blessure au ventre pour en sortir la balle. Il était heureux d'avoir été inconscient pendant cet épisode.
- Merci.
Shawn hocha la tête.
- Je me suis dit que tu voudrais peut-être garder la balle. Une précieuse relique de Jordan Collier. Ça doit valoir cher à Promise City, non ?
Il y avait de l'acidité dans la voix de Shawn, comme à chaque fois qu'il parlait de Promise City ou du rôle de Kyle à ses côtés. Jordan comprenait pourquoi mais Shawn refusait de revenir à ses côtés pour quelques principes moraux, frivoles par les temps qui courraient.
Il passa une main dans les cheveux du jeune homme.
- Tu devrais dormir, Shawn. Tu es encore épuisé. On discutera demain.
- Tu restes ? demanda-t-il en attrapant son bras.
- Bien sûr.
Sa main s'arrêta sur la joue indemne de Shawn.
- Kyle va me tuer si je te rends cassé. Le fauteuil va te plier en deux d'ici demain.
Jordan hocha la tête. Il se leva et fit le tour du lit pour s'installer du côté inoccupé. Shawn ne le regardait pas, il semblait très occupé à contempler le plafond. Jordan s'approcha de lui et passa un bras autour de sa taille. Shawn remua jusqu'à être confortablement calé contre lui.
Ils laissèrent passer un long moment sans rien se dire. Jordan se demandait si Shawn aussi se retrouvait projeté dans le passé, si lui aussi se souvenait des nuits similaires qu'ils avaient passées au Centre avant qu'il ne meure. Quand il était revenu, il avait espéré retrouver Shawn, mais ils avaient tous les deux changés, à la fois trop et pas assez.
Il y avait des différences néanmoins : ils étaient contractés, très peu naturels, trop conscients de tout ce qui pouvait mal tourner, trop conscient de la présence de l'autre. Ils ne voulaient pas briser le statu quo. Juste pour un instant.
- Tu me manques quand je n'ai pas envie de t'étriper.
- J'ai envie de t'étriper quand tu ne me manques pas.
Jordan sentit Shawn se détendre contre lui et il recommença à respirer normalement sans se forcer. Shawn s'endormit le premier, ce n'était pas étonnant après ce que Blair lui avait donné. Il pencha sa tête et embrassa sa tempe. Il ne comprenait pas pourquoi tout était toujours si compliqué entre eux. Il ne comprenait pas pourquoi il n'arrivait pas à se sortir ce gamin de sa tête. Il en venait à se dire que le pourquoi n'était peut-être pas si important en fin de comptes.
Il resta éveillé quelques minutes de plus avant de sombrer à son tour dans un sommeil bien mérité.
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Lorsque Shawn se réveilla, il remarqua immédiatement qu'il était seul et que Jordan n'était plus allongé à côté de lui. Il n'entendait rien venant de la salle de bain, il avait du partir vaquer à ses occupations. Il n'arrivait pas à regretter de ne pas l'avoir vu partir. Il n'y avait qu'un mot pour décrire ce que la situation aurait été : embarrassante. Il préférait s'épargner ça au réveil.
Surtout quand son épaule et sa tête lui faisait toujours aussi mal. Il savait qu'Amanda lui avait laissé des comprimés quelques parts, il chercha à tâtons de son bras valide sur la table de chevet et sa main entra en contact avec un verre glacé. Il écarquilla les yeux : du jus d'orange. Jordan avait pris son temps avant de partir, et il se souvenait encore de ce qu'il prenait au petit-déjeuner. Il supposait qu'il devrait de se sentir flatter que Jordan Collier se souvienne d'un détail comme celui là.
Les cachets étaient posés à côté du verre. Shawn s'assit sur le rebord du lit et les avala en les faisant passer avec une gorgée de jus de fruits. Il espérait que ça éclaircirait sa tête un peu. Il avait besoin d'être opérationnel. Les discussions - négociations, sur l'avenir de Seattle devaient reprendre en fin de matinée et on ne lui passerait rien sous prétexte qu'il n'était pas en forme, surtout s'il n'en disait rien.
Il vit qu'on lui avait également déposé des vêtements de rechange. Il faudrait qu'il remercie Joanna quand il la verrait tout à l'heure, il n'y avait pas d'assistante plus efficace qu'elle. Il prit la pile de vêtements et se rendit dans la salle de bain. Il y avait un post-it sur le miroir.
'Ne mouille pas le pansement'
Shawn déposa ses vêtements de rechange sur le lavabo et en entendant le bruit de quelque chose frappant contre l'émaille, il en vérifia les poches. Il sourit en voyant un nouveau téléphone et jura en voyant leur qu'il était. Il n'était pas en avance. Il lui restait une demi-heure pour se préparer. Heureusement, la réunion se tenait cette fois dans la salle de conférence de l'hôtel et il n'aurait qu'à prendre l'ascenseur pour s'y rendre.
Il décida de se laisser un quart d'heure pour sortir propre et habillé de sa chambre et un quart d'heure pour revoir une dernière fois avec Heather leur stratégie. Cela devrait suffire.
Il se demanda si la raison pour laquelle Jordan ne l'avait pas réveillé était qu'il avait espéré le voir arriver en retard ou rater complètement la réunion. Ce genre de stratagèmes ne l'aurait pas étonné de la part de son ancien mentor.
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Kyle avait dormi à Promise City, si on pouvait appeler les quelques heures de sommeil qu'il avait volées entre deux et six heures du matin dormir. Après l'incident au cours de la distribution au point cinquante trois hier, il avait préféré revoir en détails avec les volontaires de la ville les procédures qu'il fallait suivre et ce qu'il fallait à tout prix éviter. Il aurait pu aller plus vite, il ne tenait pas la jambe des volontaires très longtemps, son rappel ne durait qu'une trentaine de minutes, mais il lui avait été impossible de les voir tous en même temps, ils étaient éparpillés en ville, certains étaient en service de jour, d'autres de nuit, d'autres encore avaient la chance d'être en train de dormir. Il avait du voir plus d'une cinquantaine de groupes en quelques heures avant de s'effondrer sur son lit à deux heures du matin, complètement épuisé.
A six heures, son réveil avait sonné, il avait vu trois groupes qu'il n'avait pas réussi à coincer la veille pendant son petit-déjeuner avant de faire le point avec les différentes équipes qui surveillaient les zones limites de la quarantaine. A huit heures, Jordan l'avait appelé et lui avait demandé de venir au Plazza avec des vêtements pour lui. Kyle avait été un peu sec dans sa réponse, tout le monde n'avait pas passé la soirée tranquillement avec son cousin à faire on ne sait trop quoi, mais il avait envoyé quelqu'un là-bas avec ce que Jordan avait demandé. Il avait ensuite pris le temps de faire le tour de leur ville et de discuter avec quelques personnes et les informer de ce qui se passait dans le reste de Seattle, qu'ils appelaient entre eux la Grande Promise City.
Il avait retrouvé Jordan à neuf heures et demie au Plazza pour une autre de ces réunions stupides avec des gens qui ne comprenaient pas qu'il y avait une seule voie, celle que Jordan leur montrait, celle qui conduisait au Paradis Terrestre. Shawn était arrivé avec la 4400 qui lui servait de bras droit à dix heures précises. Jordan et lui n'avaient pas échangé un regard, ce qui le laissait perplexe et lui mettait en tête des questions qu'il aurait préféré ignorer. La délégation du NTAC arriva la dernière, toujours composée de Doyle et Pacella.
Doyle se dirigea d'abord vers Shawn et Tobey et les salua chaleureusement. Kyle échangea un regard mi-amusé, mi-agacé avec Jordan. Ce qu'il entendit ensuite manqua de le faire s'étrangler avec le contenu de sa tasse de café.
- Tu as l'air fatigué Shawn. J'ai appris que tu avais été mêlé à l'émeute d'hier par ton oncle. Tu n'as pas eu de mal à t'endormir ?
Shawn - et Jordan, s'étaient retirés en fin d'après-midi et si son cousin n'était pas suffisamment reposé, il ne voulait vraiment pas savoir pourquoi. Il jeta un coup d'œil rapide à Jordan qui n'avait absolument pas réagi. Tobey avait détourné les yeux, gênée, pendant que Shawn répondait en souriant par une banalité polie. Pacella observait leurs réactions étranges derrière ces lunettes épaisses comme s'il voulait tout archiver dans son cerveau. Ce qui compte tenu de la position qu'il occupait au sein du NTAC était plus que probable.
La réunion commença calmement mais les esprits s'échauffèrent vite, plus vite que la dernière fois. Doyle avait annoncé que sa hiérarchie était de moins en moins joignable quand elle cherchait à avoir des informations sur ce qui se passait de l'autre côté de la zone de quarantaine. C'était un signe de ce qui venait et les employés survivants du NTAC vivaient mal la chose, mais elle ne semblait pourtant pas décider à couper les ponts. Kyle n'était pas fâché de voir que leurs ennemis d'hier seraient bientôt les mêmes parias qu'eux et qu'ils seraient obligés de se rallier à leur cause s'ils ne voulaient pas finir enfermer dans des prisons gouvernementales. C'était ce qu'on obtenait pour avoir servi son pays et s'être trouvé dans la mauvaise ville au mauvais moment. Il appréciait la revanche que cela leur offrait sur tous ceux qui s'étaient opposés à eux et avaient tout fait pour les couler.
Son père avait pris la seringue. Toute la famille serait du même côté cette fois, si Shawn ne décidait pas une nouvelle fois de s'enfuir en courant.
D'ailleurs, Shawn et Jordan avaient commencé à échanger des mots assez violents sur ce qu'il allait se passer pour les gens qui n'étaient pas positifs. Lorsqu'ils se levèrent pour mieux se crier dessus par-dessus la table, Kyle ne réagit même pas, il les avait déjà vus plusieurs fois dans ce genre de concours, mais cela surprit tous les autres. Doyle essaya de calmer le jeu mais ils ne s'arrêtèrent réellement que quelques minutes plus tard, de leur propre chef après avoir décidé qu'ils ne seraient jamais d'accord sur ce point. C'était une perte de temps, et cela ne faisait rien pour leur image auprès des gens qui se trouvaient autour de la table. Jordan lui avait dit avant d'entrer qu'il essaierait de pousser Shawn à se montrer comme un enfant chamailleur mais il s'était laissé prendre à son propre jeu.
Ils étaient assis et plus calmes quand ils firent front commun face aux forces de l'ordre et au NTAC concernant l'accueillent qu'ils devaient réserver aux forces qui entreraient dans la zone après la levée de la quarantaine. Les flics ne croyaient pas que l'armée entrerait réellement dans la ville, ils n'avaient toujours pas compris qu'ils n'étaient plus dans le même camp. Ou ils ne voulaient pas comprendre. Les pompiers restaient muets, Kyle ne savait même pas pourquoi leur représentante avait été invitée. Il n'était pas étonné que Shawn prône la plus grande méfiance envers leur gouvernement, son cousin avait été drogué, rendu malade et presque tué par son gouvernement. Il était surpris par contre de la facilité avec laquelle il argumentait avec Jordan comme s'ils étaient du même bord, comme s'ils avaient déjà discutés de tout ça au préalable.
Kyle espérait que c'était pour ce genre de choses qu'ils s'étaient retrouvés la nuit passée et pas pour ce qu'il avait imaginé.
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Marco observait avec attention les gens autour de la table. Il y avait là le futur gouvernement de Seattle, si jamais la ville obtenait son indépendance. Contrairement à Meghan, il était entièrement persuadé que jamais le gouvernement ne laisserait les nouveaux positifs, même comme avec leur background, libres de leurs faits et gestes. Jamais ils ne plieraient devant Collier accepterait de mélanger les positifs au reste de la population, jamais ils n'accepteraient de libérer ceux qui remplissaient déjà leurs prisons. Marco savait aussi que jamais Collier et Farrell n'accepteraient pas qu'on les considère comme des citoyens de second ordre. Ils n'étaient pas d'accord sur les méthodes à employer, mais sur le fond, ces deux là partageaient les mêmes convictions.
Les dernières années n'avaient pas du renforcer leur confiance dans le gouvernement.
Marco lui-même s'en méfiait et pourtant, il avait travaillé, travaillait toujours, pour lui. Ce ne serait plus le cas très longtemps maintenant qu'il était positif et quelque part, il était heureux de vivre l'aventure cette fois et pas d'être juste le banc à l'observer un petit carnet à la main (ou de façon plus crédible un ordinateur sur les genoux) à consigner et analyser tout ce qui se déroulait.
Il ne savait pas comment le gouvernement s'en prendrait à eux, ils n'arrivaient pas à tomber d'accord avec sa collègue sur la stratégie qu'ils emploieraient, mais sous une forme ou une autre, Marco savait que ça arriverait et il ne comptait pas se laisser faire. Quitte à quitter le giron du NTAC si Meghan persistait à vouloir être aussi aveugle. Farrell était jeune mais il était raisonnable, il ne dirait sans doute pas non à un peu d'aide supplémentaire. Et Marco avait rêvé de travailler avec Kevin Burkhoff depuis qu'il avait entendu parler de lui.
Il décida de ne pas parler à Meghan de ses soupçons à l'égard de la relation entre Tobey et Farrell. Il avait vu la jeune femme rougir embarrassée quand sa chef avait parlé du manque de sommeil de Farrell. Elle était plus âgée que lui, mais très jolie, et lui avait un certain charisme et un charme gamin qui transformait toutes les femmes de moins de cinquante ans en adolescentes ricanantes. Il aurait consigné ce détail dans les notes qu'il rendrait à sa patronne après le meeting mais il ne voulait pas apporter des munitions contre Farrell quand il n'était pas encore certain de ce qu'il ferait par la suite. Il préférait ménager ses options.
Meghan ne travaillait pas depuis assez longtemps avec les 4400 et le NTAC pour bien comprendre la situation. Marco ne comptait pas couler avec le navire parce qu'elle était trop naïve pour voir la réalité en face. Il avait vu les 4400 à l'agonie, ramasser par le gouvernement qui les avait empoisonnés. Et ils s'étaient pratiquement sauvés eux-mêmes.
Il ne deviendrait pas leur esclave non plus. Il savait à quel point son don pouvait être utile, mais il ne serait pas le prochain Gary Navarro.
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Shawn suivit avec intérêt le déplacement de Marco Pacella dans la pièce à la fin de la réunion. Il avait laissé sa patronne s'entretenir avec la police locale et le FBI et s'était éloigné d'elle pour se servir une dernière tasse de café. Shawn l'avait vu regarder dans sa direction plusieurs fois. Il n'avait jamais eu directement à faire à lui, mais il avait entendu parler de lui. Maia lui avait d'ailleurs envoyé plusieurs emails à son sujet quand il sortait encore avec Diana Skouris. Shawn laissa Heather discuter avec Kyle et Grace Crawford et s'écarta du groupe.
Il savait que Jordan, de l'autre côté de la table, l'observait et il y avait de grandes chances qu'il ait lui aussi remarquer le petit manège Pacella. Shawn n'alla jusqu'à lui, malgré le regard insistant de son ancien mentor. Il n'allait pas prendre le risque que Pacella ne veuille rien dire ou faire devant quelqu'un qu'il considérait sans doute comme un illuminé ou un manipulateur à deux doigts du gourou de secte. Le brun à lunettes finit par arriver jusqu'à lui. Il n'était pas très subtil mais tous les autres étaient occupés. Shawn se demanda un instant s'il n'était pas en train de tomber dans un piège, il n'était vraiment pas subtil, avant de chasser cette idée de sa tête : s'il y avait la moindre chance qu'il s'agisse réellement d'une défection, il ne devait pas laisser passer cette occasion. Pacella avait la réputation d'être brillant.
Pacella se retrouva devant lui et rehaussa ses lunettes, il ne semblait pas savoir comment entamer la conversation. Shawn décida de prendre les devants.
- Monsieur Pacella, alors qu'avez-vous pensé de la réunion ?
- Je ne trouve pas qu'on avance beaucoup, et vous pouvez m'appeler Marco.
- Dans ce cas, je suis Shawn. C'est le problème de ce genre de réunions, mais on peut difficilement s'en passer.
Shawn sentit une main dans son dos, Jordan bien sûr.
- On pourrait s'en passer si tu n'étais pas si buté, Shawn.
- On avancerait plus vite si tu n'étais pas si autoritariste.
- Tu connais un mot aussi long ?
- Est-ce que tu veux vraiment que l'on reprenne ce genre de conversations devant Marco, Jordan ? Cela ne ferait vraiment pas très sérieux.
Cette enflure posa la main sur son épaule blessée qui l'avait lancé de façon bien désagréable pendant les trois heures qu'avaient duré la réunion, et pressa légèrement sa main dessus.
- Et de quoi parliez-vous avant que j'arrive ?
- J'allais donner ma carte à Marco pour qu'il puisse me parler plus tranquillement lorsqu'il serait libre.
Pacella fut surpris de sa réponse et n'arriva pas le masquer. Peut-être n'avait-il pas imaginé qu'il comprenne de quoi il retournait, ou peut-être avait-il pensé qu'il ne parlerait pas devant Jordan. Shawn n'avait pas eu le temps de finir sa campagne électorale, mais les meetings qu'il avait tenus et ses mentors politiques lui avaient appris quelque petite chose. Et rien ne servait de mentir à Jordan sur quelque chose d'aussi évident.
- Je suis étonné que vous alliez vers Shawn. Vous êtes un jeune homme intelligent et...
- Je ne donne pas dans le culte de la personnalité.
Shawn lui sourit, amusé.
- Encore une preuve que tes discours anarchico-religieux marchent bien sur les paumés mais sur beaucoup moins sur les gens éduqués.
- C'est sans doute pour ça que tu as été si longtemps à mes côtés.
- J'ai vieilli, j'ai mûri. J'ai arrêté de croire à l'enrobage.
Ils se jaugèrent un instant du regard avant que Jordan ne lâche son épaule.
- Je n'imaginais pas que vous étiez comme ça. Je savais qu'il y avait un certain passif entre vous mais je ne pensais pas que vous le laisseriez entraver les décisions qui ont besoin d'être prises le plus rapidement possible, remarqua Pacella. A vous deux, et avec le soutien de ce qu'il reste du NTAC, vous pourriez tenir la ville.
- Si le but n'était que de tenir la ville pendant quelques semaines, nous pourrions éviter nos disputes, mais il s'agit d'établir très tôt des principes qui nous permettront de vivre à Seattle, après la quarantaine, et après la crise qui suivra.
- Nous ne sommes pas d'accord sur quelques points mais nous sommes tous les deux conscients qu'une vision à court terme de la politique qui régira la ville est vouée à l'échec. Nous sommes amenés à faire sécession du reste du pays si les choses ne changent pas.
- C'est parce que vous l'avez formé que vous arrivez à parler l'un pour l'autre et à vous disputer d'une minute sur l'autre ? demanda Pacella, curieux, à Jordan.
Shawn savait que Jordan le connaissait sous toutes les coutures, probablement. Il connaissait mieux Jordan que la plupart des gens mais sa connaissance de son ancien mentor n'était pas parfaite, surtout pas après sa résurrection. Il réussissait à le lire mieux que les autres, c'était tout.
- Ça n'a pas grande importance aujourd'hui, non ? Nous vous avons observé pendant la réunion. Vous hésitez à suivre la ligne de conduite du NTAC. Nous ne sommes pas à une époque où il fait bon d'être isolé. Il n'y a pas beaucoup d'alternatives. Vous avez le choix entre lui et moi ou le NTAC, quoi qu'il arrive. Et si les choses s'arrangent comme je le souhaite, il n'y aura plus de différences entre ce que Shawn propose et ce que je...
- J'ai Kevin Burkhoff avec moi, fit Shawn en interrompant Jordan. J'ai cru comprendre que vous l'admiriez beaucoup. Il déteste Jordan.
- Comment vous savez ça ?
Jordan rit.
- Joli, Shawn. Mais tu donnes l'impression d'être un peu trop empressé de le récupérer. Tu devrais cacher ton intérêt un peu mieux que ça pendant les négociations.
Shawn roula des yeux, mais continua de sourire. Il ne tenait pas avouer qu'il avait comme source une petite fille de onze ou douze ans à l'époque.
- Merci pour le cours de rattrapage, Jordan. C'est toujours agréable de savoir que je peux compter sur toi pour souligner mes défauts.
Shawn regarda sa montre et voyant l'heure décida de lancer une invitation.
- Tu restes ici pour le déjeuner Jordan ? Peut-être que Marco pourrait se joindre à nous. Je suis sûr qu'il n'est pas le seul à se méfier des intentions du gouvernement au sein du NTAC.
- Déjeuner, maintenant ? demanda Marco en jetant un coup d'œil soucieux à Meghan Doyle, toujours occupée.
- Ce n'est pas comme si l'appartenance au NTAC avait encore une réelle signification. Dès que la quarantaine sera levée, une nouvelle équipe arrivera pour prendre votre place et on vous annoncera que vous aurez le choix entre vous constituer prisonniers pour des 'évaluations' ou être considérés comme des criminels comme les autres.
- Je ne peux pas...
Jordan décida d'intervenir.
- Peut-être qu'il serait plus judicieux de laisser Marco au NTAC dans les jours qui viennent. Il pourrait être un atout précieux si certaines informations...
- Je ne suis pas un traitre, se défendit Marco.
- Bien sûr que non. Mais si vous appreniez que l'armée se prépare à attaquer ou que la quarantaine... Il serait dans l'intérêt de tous que nous soyons rapidement tous informés. N'est-ce pas ?
Marco hocha la tête difficilement. Shawn sourit et lui tendit sa carte de visite. Il avait pris le temps de noter son numéro de téléphone privé sur la carte juste avant que la réunion ne finisse.
- N'hésitez pas à me contacter. Le plus tôt sera le mieux.
- Et s'il y a quelque chose que nous devions savoir...
Marco examina la carte et l'empocha la carte. Il ne demanda pas celle de Jordan, et Jordan ne la lui proposa pas. Cela valait sans doute mieux. Il les abandonna là pour retrouver Meghan Doyle qui finissait juste sa discussion avec Kyle. Ce ne pouvait pas être le hasard que son cousin l'ait occupé juste ce qu'il fallait.
- Tu pourras remercier Kyle d'avoir été si serviable.
- Cela ne lui posait aucun problème. Il avait très envie de discuter avec elle pour s'assurer qu'elle est assez bien pour son père. Je lui ai juste suggéré que c'était un bon moment pour la jauger.
Shawn leva les yeux au ciel.
- Et c'est pour ça que je ne veux pas retourner sous ta coupe. Tu as suffisamment d'esclaves comme ça.
- Tu ne devrais pas parler de ton cousin comme ça.
- Combien de fois s'est-il opposé à toi ?
- Il a défendu Isabelle.
- Ce n'est pas une preuve de sa santé mentale. Crois-moi, j'ai été fiancée à cette fille.
- Je n'ai pas oublié ce détail, non. Il dit qu'elle a changé sur la fin. Elle m'a sauvé la vie.
- C'était le moins qu'elle pouvait faire.
- Je te déconseille de parler d'elle comme ça devant Kyle, il s'était épris d'elle. Il est trop occupé pour se rendre compte qu'elle est morte mais ne le cherche pas là-dessus.
- Je ne suis pas stupide. J'aime Kyle, je ne vais pas chercher à le blesser.
Ils regardèrent tous les deux Kyle de l'autre côté de la pièce. Shawn avait arrêté de lui en vouloir d'avoir pris sa place, il ne lui en avait jamais voulu d'être avec Isabelle, il avait été inquiet pour lui, mais il lui en avait voulu de s'être rapproché de Jordan et de lui avoir fourni cette stupide prophétie.
- Tu déjeunes ici ? Pacella a raison, il reste à peine dix jours avant la fin de la quarantaine, s'ils s'en tiennent au programme. Si on arrive à se mettre d'accord avant la prochaine réunion les autres seraient obligés de nous rejoindre.
- Ton cousin risque de protester.
- Et ? Ce qui reste du conseil municipal me suivra, ils me trouvent rassurants. La police suivra sans doute le NTAC, les autres ne sont pas assez nombreux pour compter. Si on ne parle pas maintenant, on ne le fera jamais avant qu'il ne soit trop tard.
Shawn imaginait que si Jordan n'insistait pas plus que ça c'était parce qu'il pensait encore ne pas avoir besoin des autres forces en présence. Son ego était monstrueux.
- Très bien. Kyle, toi, moi et Tobey.
- Il faut qu'Amanda change mon bandage et que je prenne d'autres cachets. Je te retrouve ici dans vingt minutes. Je m'occupe de nous faire apporter de à manger.
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Jordan ne déjeuna finalement pas avec Shawn.
Un autre problème avait éclaté : un nouveau positif qui avait décidé d'utiliser son nouveau pouvoir sur ceux qu'il estimait responsable de sa transformation en monstre. Certaines familles n'avaient pas été tolérantes envers leurs membres nouvellement positifs, les gens étaient terrifiés et agissaient de façon irrationnelle. D'autres avaient vu mourir leurs familles entières parfois et voulait juste se venger. Shawn était parti soigner une victime dans un état critique et Jordan avait été reprendre son don à l'homme en question.
Il n'avait pas pu voir Shawn pendant les trois jours qui suivirent, même s'ils avaient pris le temps de s'entretenir au téléphone plusieurs fois par jour. Le jeune homme le contacta en fin de matinée pour lui dire que Marco Pacella venait de l'appeler : le NTAC venait d'apprendre que la quarantaine allait être levée dès le lendemain et que leurs ordres étaient d'aider l'armée à reprendre le contrôle de la ville après l'échec des négociations.
Il n'avait pas vu la moindre trace de négociations mais il supposait que le gouvernement n'était pas à un mensonge près.
Partie 3