Animale

Mar 29, 2018 01:27

J'avais l'intention, quelque temps après mon accouchement, d'en faire un récit détaillé et drôlatique à carractère informatif. Je me suis attaquée à ce texte à plusieurs reprises, mais sans jamais produire quelque chose qui me semblait seulement approcher le tourbillon d'une telle expérience, ni d'ailleurs présenter un grand intérêt.

Il faut dire que, faire des enfants, c'est affligeant de banalité. Ça ne demande pas d'avoir le bac, ça ne demande pas de talent particulier, c'est un peu quelque chose qui vous arrive et qu'on ne peut qu'accompagner. Et puisque ça ne se contrôle pas vraiment, et qu'en plus c'est féminin, on n'y voit rien qui mérite d'être raconté. Pourtant, il faut souligner que c'est une chose à laquelle le reste de la vie ne prépare absolument pas. Il y a un avant et un après. Mes douze heures de travail sans péridurale ont été douze heures d'éloignement progressif et violent avec tout ce que la civilisation moderne fait de la femme. Je ne peux plus voir dans une fiction une femme sur le point d'accoucher qui se ressemble encore, et y croire.

On s'attend à avoir mal, mais ce qu'on n'anticipe pas, c'est l'épuisement. Au bout de quatre heures de contractions rapprochées, j'ai réclamé la péridurale dans l'espoir de pouvoir seulement fermer les yeux et me reposer. Parce que même si les contractions sont très supportables, lorsqu'elles sont éloignées de moins de 5 minutes, ça veut dire qu'on n'a jamais de répis. Cette fatigue extrême fait qu'on entre peu à peu dans un état second. J'ai eu de la chance car j'étais entre de bonnes mains, j'avais donc pu manger, boire, et lorsque j'ai dit que je n'en pouvais plus, comme mon col ne s'ouvrait quasiment pas et que la péridurale n'était donc pas encore une option, on m'a proposé le soulagement ultime.

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Alors, bien sûr, quand on m'a parlé de morphine, j'ai eu quelques réticences. Je redoutais notamment des effets secondaires qui empireraient mon état. Je craignais de me réveiller vaseuse, de ne pas être en plein possession de mes moyens. Mais l'idée de dormir un peu était si tentante que j'ai opté pour la piqûre dans la fesse. Et c'était si bon. C'est fou d'avoir fait l'expérience d'un tel bien-être, au milieu de la situation la plus inconfortable de sa vie. J'ai dormi deux heures dans un cocon doux et parfait, et j'ai réussi à gérer ma douleur encore longtemps après dans une baignoire d'eau chaude. Je ne sais pas comment j'aurais fait sans cela.

Il y a une autre chose à laquelle je ne crois plus dans les films, c'est au fait qu'une femme qui perd les eaux pour la première fois sait ce qui est en train de lui arriver. Moi, j'ai cru que je me pissais dessus, ce qui n'a rien d'improbable à neuf mois de grossesse. Ensuite, j'ai eu envie de défêquer, et vous savez quoi ? C'était la tête du bébé qui descendait et augmentait la pression sur mon anus. Je regrette d'avoir perdu autant de temps dans les toilettes à essayer d'expulser les croissants de la veille au soir, quand j'aurais dû recevoir une péridurale bien méritée. Mais bon, du coup il était trop tard et j'ai fait sans.

Donc c'est simple : quand le bébé descend, les contractions deviennent si horribles qu'on pleure, de peur, parce qu'on ne comprend pas ce qui se passe et que ça ne semble pas possible d'avoir aussi mal sans mourir. Je ne dis pas que je ne crois pas à l'accouchement orgasmique, mais j'avoue que sans expérience préalable de la chose, il faut être sacrément relax pour réussir à se masturber dans un moment pareil. Moi, j'étais perdue, et sans les femmes qui m'ont soutenue tout le long par leurs encouragements et leurs conseils, je pense que je n'aurais pas tenu le coup.

Bien sûr, même avec leur aide, je ne pensais pas y arriver. Les poussées ont duré près d'une heure et demie. Il faut savoir que dans la plupart des maternité, au bout de quarante minutes maximum, on pratique une incision pour accélérer les choses. Mais j'avais voulu mon accouchement peu médicalisé, le bébé allait parfaitement bien, donc on m'a laissée faire jusqu'au bout, même si je suppliais qu'on m'ouvre le ventre et qu'on en finisse.

Entre deux poussées, Jérôme m'apportait un verre d'eau que j'engloutissais en entier. Je n'arrive pas à croire que tant de femmes en France doivent se contenter d'un brumisateur. C'est de la maltraitance, que ce soit dit.

Entre deux poussées, mon esprit effaçait le souvenir de ce que je venais vivre à l'instant, sans quoi je n'aurais jamais eu le courage de pousser la fois d'après. (J'étais à quatre pattes, position physiologique mais qui favorise la remontée du bébé à la fin de chaque contraction, ce qui est très dur psychologiquement.)

Bref. C'était dur, c'était long, j'étais inondée de sueur, nue, rouge, ouverte, hurlante, les vaisseaux du visages éclatés, et je n'étais rien de plus qu'une animale lorsque mon petit est sorti de moi.

Ce n'était pas un moment magique, car je n'avais pas la force de garder les yeux ouverts, pas la force de le tenir ou de le caresser. Il était contre moi, mais je ne pouvais pas être cette femme humaine en adoration devant son enfant, comme je me l'étais imaginée. J'étais encore une bête souffrante, cuisses ouvertes, en train d'être recousue après avoir expulsé cet étrange poche flasque qu'est le placenta et qu'on ne montre absolument jamais. Pas assez civilisé, sans doute.

Plus tard, l'apaisement vient. Sûrement un bon paquet d'hormones aussi. Un nouvel être est là, c'est affolant ce que c'est beau. L'humaine est revenue, mais lui, aucun doute, ce n'est encore qu'une petite créature vulnérable, rien d'autre. (Je l'ai longtemps appelé "petit chat".)

J'ai eu un bel accouchement. Personne ne m'a fait de mal. Personne ne m'en a dépossédée. Je me serais bien passée de toute cette détresse physique et émotionnelle, mais aurais-je vécu une expérience aussi sauvage sans cela ? Je n'ai aucun regret.

BOUM BÉBÉ
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