Lorsque j'ai appris que j'attendais un garçon, j'ai fondu en larmes.
J'avais essayé courageusement de me préparer à cette possibilité, il y avait une chance sur deux que ce soit le cas. J'étais même presque sûre d'avoir vu quelque chose lors de l'écho qui m'indiquait que c'était effectivement le cas. Mais j'ai bien dû admettre que je continuais envers et contre tout d'espérer une fille, tant ma déception fut intense et bouleversante.
Ça n'a pas aidé qu'on ait déjà trouvé un prénom de fille, mais pas de prénom de garçon. Comme en plus, c'était un prénom hommage, ça me tenait énormément à coeur de le donner à l'un de mes enfants. Notre potentielle fille se trouvait investie d'un message fort d'amour, elle était le symbole même de ce qui représentait à mes yeux le coeur palpitant de la famille. C'était beaucoup, pour un petit être en devenir, il faut l'admettre.
Avant même cela, je crois qu'une fille, c'était pour moi le moyen de réparer les choses. Toutes les injustices que j'ai vécues en tant que fille tout au long de ma vie, je l'en protégerais, ou je lui offrirais mon soutien et ma compassion pour s'en remettre mieux que je n'ai pu le faire. Une fille, c'était une chance de corriger tout ce qui m'avait empêchée d'être heureuse, épanouie, équilibrée. C'était pouvoir enfin consoler celle que j'ai été. Là aussi, c'est du lourd.
Mais voilà, il a fallu que ce soit un garçon. Mon second choix (voire troisième, vu que j'avais aussi envisagé un enfant intersexe). Le sexe qui a la part belle, le sexe qui ne vivra jamais ce que j'ai vécu, le sexe qui m'a tourmentée le plus cruellement depuis mon plus jeune âge. Et en plus, il n'avait même pas de nom. Il n'existait pas pour moi, ce garçon. Et ma fille venait de mourir.
J'ai vraiment pleuré à chaudes larmes.
Pour me consoler, je me suis rappelé que j'étais une féministe qui contestait la binarité du genre et que je ne pouvais pas continuer de me faire des idées sur ce que serait l'expérience de la maternité sur la seule base du sexe biologique de mon enfant. En outre, le documentaire The Mask You Live In, qui parle de la construction de la masculinité toxique, m'investissait de la mission de faire de mon fils un homme bien, équilibré et respectueux de sa femme intérieure (et des autres femmes). Intellectuellement c'était une belle consolation ! Mais ce n'était pas suffisant.
Trouver un prénom pour cet enfant fut une obsession dans les temps qui ont suivi. Trois prénoms ont été envisagés, et puis finalement c'en est un quatrième qui l'a emporté. Beaucoup de gens penseront le contraire, mais je trouve que c'est un bon prénom. Et c'est à peu près à ce moment-là que j'ai commencé à vraiment sentir le bébé bouger quotidiennement.
Depuis, il est un peu plus réel chaque jour. J'ai réussi à m'intéresser aux vêtements et aux doudous, et plus seulement aux livres de psychologie pour élever un enfant parfait. L'achat de quelques vêtements neufs a été une expérience étonnamment satisfaisante, car j'ai pioché allègrement dans les rayonnages filles et garçons dans l'idée d'avoir des vêtements de couleurs variées, et rien de trop manifestement genré. Cela m'a aidée à me sortir du corps quelques préjugés instinctifs sur les garçons. Ce ne sera pas "un garçon", ce sera mon enfant.
Aujourd'hui, je suis heureuse de pouvoir sincèrement me dire que je suis contente d'avoir ce bébé-là, et pas un autre. Je pense même que c'est une bonne chose que je n'aie pas eu la fille que je voulais. C'était une première prise de conscience que cet enfant, quel qu'il soit, ne serait pas ce que JE projetais sur lui. Il sera libre de tout ce bagage dont ma potentielle fille était déjà encombrée avant même d'exister. Et je n'envisage plus avec dépit l'idée d'avoir un deuxième garçon.
Ouf. Ça n'a plus d'importance.