La Course aux tableaux - 2/4

Feb 22, 2012 01:25

Les pré-soutenances sont maintenant passées, j'ai donc enfin le temps de perdre du temps sur des posts de peinture ! Youpi !

Voici donc la deuxième partie de la Course à l'abîme illustré !

Note : J'ai parfois inclu quelques tableaux sélectionnés au hasard de Wikipedia pour illustrer le propos.


p. 180



"La fameuse Fornarina de Raphaël n'était une boulangère que par un pieux euphémisme. (...) Elle tirait son nom de ce qu'elle ravitaillait en pain ses consœurs occupées toute la journée dans la rue sans avoir le temps de faire leurs courses."

p. 191



"(...) Du moins me suis-je souvenu des paroles de Filippo Neri lorsque j'ai peint les Pèlerins d'Emmaüs et bravé le scandale d'un Christ jeune, apollinien, sans barbe ni marque des ans."

pp. 198-199

"Les martyrs de l’Église ? Livrés aux supplices les plus atroces, eux-mêmes s'en tirant sans dommages apparents. Roués, écartelés, lapidés, empalés, écorchés, étripés, carbonisés, ils planent inaccessibles au mal."



Enluminure d'un ouvrage du XVème siècle
(Jacobus de Voragine, "Legenda aurea")
"Saint Laurent rôtissant sur le gril a l'air de se cuire au soleil."



Le Martyre de sainte Agathe, Giovan Pietro da Cemmo, 1491
"Sainte Agathe à qui on arrache les seins avec une paire de tenailles garde la même dignité que si elle était assise devant sa table de toilette."



Lucía de Siracusa, Domenico Beccafumi, 1521
"Sainte Lucie énucléée présente ses yeux sur un plat comme deux œufs frits dans une poêle."



Hercule et Antée, Antonio del Pollaiolo, c. 1478
"Leur empoignade ne coûte aucun effort aux lutteurs de Pollaiolo."




Allégorie de Septembre, Cosmè Tura, entre 1476 et 1484
"Les forgerons de Cosmé Tura tapent sur l'enclume sans transpirer."



"Les damnés de Signorelli conservent la même fraîcheur que les anges de Fra Angelico."



"Raphaël a poussé jusqu'à l'absurde cette négation du corps humain : les fuyards qui essaient d'échapper à l'incendie du Borgo sautent du mur comme s'ils s'entraînaient  dans une salle de gymnastique."



Deposizione dalla croce, Rosso Fiorentino, 1521
"Le Golgotha de la Déposition ? Le tableau où Rosso Fiorentino a traité du sujet m'avait fait la plus forte impression du voyage. (...) Pas de scène plus dramatique : le Christ écroulé, la Vierge détruite, saint Jean prostré, les saintes femmes pâmées. Pourtant, où sont les preuves physiques des épreuves qu'ils endurent ? La noblesse des attitudes, la beauté des costumes, le facettement des étoffes, le scientillement des couleurs, le contraste du clair et de l'obscur dans une marqueterie de lumières, les déchirures de rose et de rouge contre le ciel livide, ne donnent guère à penser que le fond de la détresse a été atteint ici. Joseph d'Arimathie et ses aides sont exempts de souillure. La poussière du désert n'entre pas sous leurs ongles."

p. 232




Nature morte, Floris van Dijck, 1610 | Bouquet, Jan Brueghel, 1603
"Sous l'influence de [Floris Claesz van Dijck et Jan Brueghel], j'ai attaqué mon premier tableau, une Corbeille de fruits, sujet entièrement nouveau pour l'Italie. Malgré mon peu d'intérêt pour la campagne, j'aurais voulu le traiter comme Floris ses étalages de légumes ou Jan ses bouquets de fleurs, en hommage à l'élan végétal. Quelque chose qui était dans mon caractère se révéla à cette occasion et fit obstacle à ce projet."

Note : Je n'ai trouvé pour ni l'un ni l'autre des peintres cités de tableaux antérieurs à celui du Caravage (vers 1593). Je trouve en outre assez peu probable que Van Dijck ait pu être une influence étant donné que le Caravage était probablement un peu plus âgé que lui, et que rien n'indique qu'il ait eu une carrière précoce.




"Regardez ce tableau : vous serez frappé du contraste entre les fruits ronds et pleins qui sont dans la corbeille, et les feuilles qui dépassent et retombent de chaque côté : tantôt rabougries et sèches, tantôt rognées par les insectes. (...)
Sur le flanc rebondi de la pomme, je m'aperçus que j'avais peint, presque machinalement, un trou de ver et un début de pourriture."

p. 234



"- En vérité tu seras, Michelangelo Merisi, le Michel-Ange du minuscule, comme l'autre a été le Michel-Ange du grandiose et du sublime. Les papes eux-mêmes n'ont plus de caractère. Pie IV a fait voiler les nudités du Jugement dernier, Clément VIII nous interdit de montrer un sein nu. Que nous reste-t-il ?"

pp. 237-239

"Autant ses propres oeuvres étaient dénuées de valeur, autant les toiles qu'il avait achetées ou s'était fait offrir pas ceux qui voulaient se capter ses bonnes grâces témoignaient la sûreté de son goût. J'en ai étudié certaines si attentivement qu'elles m'ont influencé, quelquefois plusieurs années après mon passage chez le Cavaliere."






"La figure en buste de mon Joueur de luth, qui a devant lui une partition ouverte, j'en dois la première idée à la Joueuse de luth de Bartolomeo Veneto."





"Les plumes aux couleurs changeantes qu'on voit aux ailes de mon ange dans le Repos pendant la fuite en Egypte sont une invention de Piero di Cosimo pour son Adoration de l'Enfant."






"A Naples, presque quinze ans après, ne me suis-je pas souvenu, pour ma flagellation, du Christ à la colonne de Giulio Romano, dont le Cavaliere possédait une copie, l'original, que je découvrirais plus tard, étant resté dans la sacristie de l'église Santa Prassede ?"



"Il avait relégué dans un coin, où je fus long à les dénicher, deux tableaux qui m'ont marqué : un Saint François en extase d'Annibale Carracci, peintre de Bologne dont je ferais dans quelques années la connaissance, de dix ans seulement mon aîné, et un Garçon mordu par un crabe, d'une certaine Sofonisba Anguissola, qui n'a peut-être peint que ce bon tableau.



"Je voulus en faire une sorte d'imitation, tant le sujet me parut convenir aux petits problèmes qui troublaient ma vie quotidienne avec Mario."


Garçon mordu par un lézard, Caravage, 1596

"J'emportai deux roses à Tor Sanguigna, empruntai une carafe à la gouvernante du Cavaliere, descendis à la cuisine pour me faire prêter le lézard, après quoi, ayant demandé à Mario de prendre à peu près la même pose que le modèle peint par l'Anguissola, je mis une rose dans la masse noir de ses cheveux, la carafe devant lui avec l'autre rose plantée dans le goulot."

p. 245

"Au Garçon mordu par un lézard succédèrent trois autres portraits de Mario."



"Le Garçon qui épluche un fruit..."



"... le Garçon à la corbeille de fruits..."



"... le Jeune Bacchus malade, peints à Tor Sanguigna, c'est lui."

p. 262



"- Les Pères de l'église San Bernardino, à Pérouse, possèdent une Déposition de Raphaël qui me fait bien envie. Un Raphaël et quatre Merisi, j'aurai la première collection d'Europe !
À quelque temps de là, on apprit que des inconnus avaient volé la Déposition en question dans l'église des Bernardins. Le tableau réapparut peu après au palais Borghese. Même à Rome, où l'on était habitué aux abus, le scandale fut énorme."

p. 274



"Il m'avait commandé un tableau. Je devais représenter trois hommes autour d'une table de jeu : deux jeunes garçons assis jouent aux cartes, l'un est un tricheur professionnel, son complice, debout derrière la table, regarde dans les cartes de son adversaire et l'avertit en remuant les doigts."

Note : Le Caravage a réalisé deux versions du tableau suivant.





"La seconde commande qu'il me fit peu après n'était pas moins étrange, de la part d'un familier et d'un collaborateur de Clément VIII. Un jeune seigneur se fait lire les lignes de la main pas une bohémienne. Tandis que, piqué par sa jeunesse et sa beauté, il la regarde fixement, elle lui soutire du doigt une bague en or."

p. 280



"De sa ville natale, il avait rapporté (...) un magnifique Soldat de Giorgione (pour une fois, chez un peintre de Venise, ce n'était pas une femme !)."

p. 283



Le Concert champêtre, Giorgione et/ou Titien, 1510-1511
"Le cardinal (...) regrettait qu'aucun peintre, jamais, n'eût pris un chanteur ou un instrumentiste pour modèle.
- Aucun peintre, Éminence ? Mais le Concert de Giorgione, le Concert de Titien ? -   à   Venise, oui, il est arrivé que des musiciens posent devant des peintres. Mais à Florence, à Rome, le cas ne s'est jamais trouvé."



Le Concert champêtre, Titien, 1512-1513

p. 287



"Les fruits dans la corbeille répondent à la nomenclature fixée par les Évangiles. Fidélité canonique. Le dieu, maître de lui et digne, tient dans une main un nœud de velours, hommage à l'industrie textile de Florence, dans l'autre un calice d'une rare distinction. Pourvu d'un pied en forme de balustre, c'est un modèle qu'on ne fabrique qu'à Venise, dans les verreries de Murano."

p. 292




"Au Bacchus succéda une Tête de Méduse, destinée également à Ferdinand de Médicis. La toile sur laquelle je l'ai peinte est ronde, car le cardinal voulait l'appliquer à un bouclier en bois de peuplier et faire ce présent au grand-duc.
(...) Les peintres et les sculpteurs, respectueux de sa nature divine, l'ont toujours représentée sous la forme d'une tête impersonnelle, laide mais gardant la « dignité » d'un portrait. Moi, j'ai traité cette tête sans ménagement, comme une tête qui a été arrachée au corps. J'ai moins fait une Méduse qu'une Décollation. Au lieu d'arrêter le portrait à la limite du penton et du cou, je l'ai prolongé par les flots de sang qui s'échappent de la gorge. L'accent, je l'ai mis sur la brutalité de l'amputation. Tête au plus haut point indigne d'être peinte et de figurer dans un tableau. Ma Méduse est une femme décapitée. Le sang jaillit à gros bouillons des artères sectionnées. La première de mes « têtes coupées ». En même temps : la tête de Mario. »

p. 303



Les musiciens, Caravage, 1595
"- (...) Peins-moi un concert de trois musiciens. L'allégorie de la nouvelle musique, en quelque sorte. (...)
Mario posa de nouveau avec un luth, je me représentai derrière lui, muni d'un instrument moins noble, le cornet des gardeurs de vaches, dont ils jouent au Campo Vaccino, l'antique Forum des Romains, pour rassembler leurs troupeaux égaillés dans les ruines."

p. 310



"Pour répondre au souhait du Cardinal, (...) je peignis l'Extase de saint François puis le Repos pendant la fuite en Égypte. Dans chacun de ces tableaux, il y a un ange (...). La première fois, il entoure saint François de ses bras pour l'aider à soutenir le choc et la brûlure des stigmates."

pp. 325-326



Flagellation du Christ, Sebastiano del Piombo, 1524
"Nous entrâmes et, tout de suite, je fus saisi par la peinture de la première chapelle. Je vis un Christ, nu ou presque, nullement ascétique mais plutôt bien en chair, et d'une beauté physique à déchaîner les foudres du Saint Office, attaché à une colonne et fouettés par deux gaillards également nus. L'affront a lieu dans une sorte de temple, dont le marbre froide, les colonnes blanches contrastent avec la carnation lumineuse des chairs. Le Christ se laisse aller de côté et penche la tête vers la droite, non pour se protéger des coups, mais pour leur découvrir au contraire sa large poitrine dorée. il semble qu'il appelle sur lui la violence de ses bourreaux et s'offre de plein gré à cette flagellation. Rutilio, attiré au fond de l'église par la célébrissime Transfiguration, regardé à peine cette toile."



La Transfiguration, Raphaël, 1518-1520

p. 331




"Le cardinal m'avait dit :
- Puisque Rutilio pose si bien pour les anges, mets-toi dans les bonnes grâces du protonotaire de la Chambre apostolique en lui faisant un Sacrifice d'Isaac."

p. 337



"Je résolus de commencer par le plus bel exemple que nous donne l'Évangile de collaboration entre la débauche et la sainteté : Marie-Madeleine, qui était partie de loin avant de réussir à édifier saint Luc."

Note : C'est cet abruti profond de Grégoire le Grand qui a assimilé Marie Madeleine à la pécheresse de l'Évangile de Luc, mais il sort cela du trou de ses fesses et il convient donc de souligner qu'il n'a jamais été dit nulle part que cette pauvre femme faisait le tapin.



"- Tu as fait un bon tableau, mais un tableau politique, me dit le cardinal, contrarié que je me fusse montré si peu capable d'exalter l'éternel féminin. Peins-moi maintenant un portait d'apparat. Une femme en pleine majesté.
Je me décidai pour Catherine d'Alexandrie (...).
La seule partie de mon tableau dont je sois content est cette arme de tueur (...). Tout est rond dans ce tableau : la roue, l'auréole sur la tête, la courbe du visage, le ballon de la robe, le rembourrage du coussin. Rond et solennel. Sans cette ligne oblique de la lame, sans cette coulée de feu qui fuse comme un éclair, je me serais trouvé bien lâche d'avoir obéi au cardinal."

lectures: romans, art&tc: pictural

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