"La guerre du Pacifique : 1941-1945" de Nicolas Bernard
essai - 800 pages
♥ ♥ ♥ ♥ ♥ 5/5
De la Guerre du Pacifique, je n'ai longtemps conservé qu'une seule image : celle d'un sous-marin japonais bombardant un parc d'attraction, un soldat debout sur son dos et braillant « Hollywoooooood !!! » d'une voix de fausset. Pour les néophytes, cette scène est tirée du film « 1941 » de Spielberg contant l'odyssée d'un sous-marin de la flotte japonaise dont l'équipage, déçu de ne pas avoir participé de Pearl Harbor, décide de redorer son honneur en attaquant Hollywood, symbole du capitalisme américain. le problème, c'est que personne ne les a informés que Hollywood se situe à l'intérieur des terres. Fantaisiste et caricatural, me diriez-vous ? Pourtant, en y réfléchissant bien, on trouve dans ce film beaucoup de choses qui caractérisent la Guerre du Pacifique : l'arrogance imbécile, l'incompétence crasse, le racisme décomplexé…
En lisant « La Guerre du Pacifique » de Nicolas Bernard, j'ai longuement cherché un angle d'attaque pour cette critique. A mi-chemin et en repensant au film de Spielberg, j'ai eu une illumination : la bêtise, bien sûr ! L'idiotie, l'incompétence, la malveillance, en clair, l'insubmersible connerie humaine ! Voyez plutôt. La guerre entre le Japon et les Etats-Unis débute par une erreur de calcul. En 1941, face à un ennemi qu'ils jugeaient faibles et décadent, les japonais attaquent la base navale de Pearl Harbor, persuadés que les américains terrifiés par cette action audacieuse rentreront aussitôt à la niche et y resteront jusqu'à la fin du conflit. Erreur. Grossière erreur. Galvanisé par la haine et l'humiliation, le peuple américain se dresse comme un seul homme face à la « menace jaune ». Débute alors un conflit meurtrier, interminable, complexe, marqué par les préjugés, la peur de l'autre et… Devinez quoi ? Super, vous avez compris ! La connerie.
Ceci, l'auteur donne l'impression de l'avoir très bien compris. Bien sûr, son ouvrage n'est pas non plus une longue liste d'actions absurde et d'erreurs monumentales. Soucieux d'étudier la guerre à travers tous ses aspects, l'auteur se penche sur tous les fronts, politique, économique, culturel, mémoriel... Les affamés de manoeuvres et de stratégie pourraient presque lui reprocher de trop résumer l'aspect strictement militaire des choses, mais ça ne me dérange nullement. Les petits soldats qui s'en vont à la baston, personnellement je m'en fous un peu. Mais l'analyse politique, l'exploration des cultures et des psychologies, la dissection des haines et des peurs, voilà ce qui me botte. Et avec « La Guerre du Pacifique », je suis bien servie !
Le principal problème des belligérants de la guerre semble avoir été l'incapacité à se mettre à la place de l'autre. Et c'est là le principal point fort de l'oeuvre de Nicolas Bernard. Que le belligérant soit japonais, chinois, américain, britannique, vietnamien, coréen ou indien (et oui, ça couvre beaucoup de nations, la Guerre du Pacifique !), il parvient à nous glisser dans sa peau, à nous faire voir le monde par ses yeux, du plus humble soldat au plus prestigieux général. Il faut avouer que, de Churchill et son colonialisme effréné à Roosevelt et sa vertueuse hypocrisie, en passant par MacArthur et son arrogance chronique, les grands de ce monde sont loin d'apparaitre sous leur meilleur jour. Si l'on veut du courage, de l'audace, de la persévérance, c'est chez les petits et les humbles qu'il faut chercher. Ce livre, malgré sa dureté et sa brutalité, leur rend hommage et rappelle que la Guerre du Pacifique fut aussi une époque d'héroïsme. Héroïsme imbécile souvent, mais héroïsme tout de même. Et ça, c'est déjà quelque chose.