Lecture : Loki - Georges Dumézil
"Loki" de Georges Dumézil
essai - 259 pages
♥ ♥ ♥ ♥ 4/5
Je ne savais pas trop à quoi m'attendre en ouvrant cet essai de Georges Dumézil... le sous-titre pompeux de l'éditeur “Les livres qui ont changé le monde” m'avait un peu alarmée au premier abord. Je ne voulais pas lire un livre révolutionnaire, moi ! Je voulais juste en savoir plus sur le plus roué et le plus fascinant des dieux nordiques, un panthéon qui ne m'était guère familier et auquel je ne m'intéressais que depuis peu. Mais bon, je l'avais acheté ce bouquin alors je m'y suis tout de même attaquée. Sa lecture s'est révélée à la fois plus ardue mais aussi plus intéressante que ce que j'escomptais. Car Georges Dumézil - dont j'ignorais tout - n'est pas seulement un historien des religions, c'est aussi un anthropologue spécialisé dans l'étude des cultures comparées. Sa thèse ? L'existence d'un vaste terreau commun à toutes les religions indo-européennes, expliquant la présence de figures similaires dans chacune d'entre elles.
C'est avec son “Loki” que j'ai découvert avec étonnement que les sources de la mythologie nordique étaient si rares qu'une grande partie des mythes connus du grand public étaient sujets à controverse. Et - surprise ! - la plus polémique de toutes ces figures mythologiques est celle de Loki. Au point que certains spécialistes nient même son existence, mettant sa présence dans de nombreuses légendes sur le compte de l'imagination déplacée d'un certain Snorri Sturluson, le compilateur de L'Edda en prose. Un dieu sans culte, sans fonction précise et, chose plus étrange encore, un dieu qui évolue, passant de la fonction de petit farceur un peu pervers à celui de meurtrier et agent de la destruction du monde ? Est-ce vraisemblable ? Ne serait-il pas plutôt un personnage de conte de fée monté en graine ou une transposition de la figure biblique de Satan pour solidifier l'installation du christianisme en Islande ?
Georges Dumézil n'est clairement pas d'accord. Et il appuie son argumentation en se livrant à une analyse comparée et très détaillée entre la figure de Loki et celle d'un personnage de la mythologie ossète, le rusé Syrdon. Si les points communs entre Loki et Syrdon sont si nombreux, c'est qu'ils ont forcément une assise commune dans une religion plus ancienne et, dans ce cas, ils sont tous les deux d'authentiques figures mythologiques. Même si l'ouvrage de Dumézil demande un brin de concentration pour être bien compris, il reste accessible aux néophytes.Sa démonstration est plutôt convaincante, même si certains points m'ont paru tirés par les cheveux - mais je n'ai clairement pas les connaissances anthropologiques pour avoir un point de vue pertinent sur la question. Dans le cas de Loki, il est amusant de constater que c'est majoritairement sa grande complexité qui l'a rendu sujet à caution. Trop de nuances et de facettes chez un dieu, c'est forcément louche. Les dieux ne sont pas censés être comme nous, ils doivent être tout d'une pièce avec des motivations bien compréhensibles. Inutile de souligner que c'est précisément pour cela que Loki reste le plus séduisant et le plus mystérieux d'entre eux.
Une découverte inattendue mais très intéressante que ce “Loki”. A ne pas lire à trois heures du matin pendant une nuit d'insomnie, cependant.