Lecture : Vidocq - Eric Perrin

Apr 04, 2018 15:47


"Vidocq" de Eric Perrin
Biographie - 300 pages
♥ ♥ ♥ ♥ 4/5



Vision sinistre… Pour un peu, on se croirait chez Victor Hugo. Un groupe de bagnards, captifs à la même chaine, défile dans les rues de Paris sous les invectives et les ordures jetées par les bons bourgeois. Immobile sur le trottoir, les traits dissimulés par son haut-de-forme gris, un homme les regarde passer en silence. Il n'oublie pas que, quinze ans plus tôt, il défilait lui aussi dans les rues de la capitale, la chaine au cou. Soudain, un bagnard pousse un cri : « Vidocq ! Regardez, c'est Vidocq ! ». Explosion de beuglements et d'injures parmi les forçats. « Vidocq ! Vidocq ! A mort la mouche ! A mort le vendu ! On va t'étriper ! »

L'homme au haut-de-forme a blêmi, puis rougi sous l'effet d'un coup de sang phénoménal. Il fait un pas en avant, lève la main puis rugit, assez fort pour couvrir les hurlements des bagnards déchaînés : « Tas de canailles ! » Et de continuer sur le même ton, répondant à l'insulte par l'insulte, la rage par la rage. S'ils sont là aujourd'hui, braille-t-il, c'est parce qu'ils ont été assez cons pour se faire attraper, lui-même ne se serait jamais fait pincer ainsi, et il n'y en pas un - pas un ! - parmi eux qui ne vendrait sa mère pour se retrouver à sa place ! Les forçats ne cessent pas de hurler pour autant mais, une fois leur rage épuisée, beaucoup se repentiront de leurs paroles. Certains viendront même le voir après coup : « Excusez-nous, m'sieur Vidocq, on le pensait pas… Et si vous pouviez me trouver un travail après ma sortie de prison, ce serait pas de refus. »

Forcément, moi, à ce stade, je suis conquise… Tant d'aplomb, tant de superbe arrogance, tant de splendide mauvaise foi, ça fait battre très fort mon petit coeur, toujours sensible aux canailles culotées. J'avais déjà un a priori très favorable sur Vidocq, sachant que le bonhomme avait inspiré certains de mes personnages préférés de la littérature du XIXe siècle. Eric Perrin n'a pas hésité d'ailleurs à entrecouper sa biographie de citations de Balzac qui offrit à Vidocq son incarnation littéraire la plus fameuse, sous les traits du sardonique et amoral Vautrin. Et, en vérité, si Vidocq n'avait pas existé, nul doute qu'il aurait fallu l'inventer. Quel merveilleux personnage que ce vaurien ingénieux devenu un non moins ingénieux chef de la police, que ce loup devenu chien berger ! Que de chemin parcouru, depuis le bagne de Toulon jusqu'à la préfecture, et au prix de combien de compromis, de combien de coups bas, de crapuleries, certains diront même de crimes.

Le Vidocq que nous présente Eric Perrin n'est pas un Jean Valjean, un pauvre innocent immolé par la société et en demandant qu'à se racheter. C'est un coquin intelligent, sans scrupule, cynique, pas forcément méchant mais violent et sujet à des colères féroces et explosives. C'est aussi un gaillard charmant, à l'humour ravageur, au parler spirituel, volontiers cabotin, et qui saura toujours séduire son entourage avec un bon mot et un sourire. Oserais-je dire qu'il est beaucoup plus amusant et attrayant comme cela ? Qui se soucie des anges de vertu ? Pas moi, en tout cas. J'ai dévoré cette biographie avec un grand sourire de contentement sur le visage, en ricanant souvent sous cape aux passages les plus truculents, suivant avec le même plaisir le jeune Vidocq faisant la nique aux forces de la police et son alter-ego plus âgé vendant sans complexe son talent d'enquêteur et sa connaissance encyclopédique du monde de la pègre à tous les gouvernements désireux de l'acheter. Il y a pas à dire, l'intégrité, c'est vraiment surfait ! Et c'est pas aujourd'hui que je cesserai d'aimer les fripouilles… Pour la peine, je ressors mon exemplaire du « Père Goriot », tiens !

rec : essai, theme : crime

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