"La San Felice" de Alexandre Dumas
roman historique - 1720 pages
♥ ♥ ♥ ♥ 4/5
Entre Alexandre Dumas et la monarchie napolitaine, il y a un vieux compte en suspens… Celui du Général Dumas, père du romancier, emprisonné sous le Directoire dans une forteresse italienne où il pourrira à petit feu pendant de longues années. Ce compte, le fils a décidé de le régler en racontant l'histoire de la malheureuse République parthénopéenne qui chassa les tyrans du royaume de Naples et dirigea pendant quelques mois à peine la cité avant de s'effondrer dans un tourbillon de sang. Il lui faudra pour cela plus de 2000 pages pleines de bruit et de fureur, des centaines de personnages fictifs ou historiques, des mois de fouille dans les archives de la cour napolitaine, ainsi que les plus belles ficelles de son art de romancier.
Le résultat est à la hauteur de l'effort et, la moindre des choses à dire, c'est qu'on en prend plein les mirettes. Oyez, vous les incrédules, les tièdes, les timorés ! Oyez l'épopée valeureuses des patriotes napolitains qui luttèrent jusqu'à la mort pour apporter la liberté et la fraternité à l'Italie ! Oyez l'infamie du roi Ferdinand, ce sombre benêt, et de la reine Caroline, cette catin de Babylone, qui noyèrent dans le sang le sentiment national ! Oyez la trahison des larbins britanniques, Nelson à leur tête, qui apportèrent leur soutien servile à une monarchie décadente ! Oyez la tragédie de la San Felice, innocente martyre sacrifiée sur l'autel de la réaction contre-révolutionnaire !
Bon, vous l'aurez compris, les ficelles en question sont grosses et Dumas ne recule devant aucun moyen pour faire pleurer dans les chaumières. Et pourtant, ça marche ! A coups de gestes héroïques, de sentiments exacerbés et de moments épiques, Dumas parvient à nous faire partager son enthousiasme frénétique : impossible de ne pas sortir férocement anti-royaliste de ce copieux mais trépidant pavé. La cour napolitaine y est décrite sous un jour si férocement satirique que l'on ne peut que se demander comment des couillons ont pu avoir l'idée de défendre une bande de crétins malfaisants pareils. Quelques monarchistes viennent sauver l'honneur comme le brillant cardinal Ruffo, ecclésiastique guerrier qui dirigea avec succès l'armée de la reconquête (je l'aime), ou le banquier Backer, tous deux hommes d'honneur et d'esprit, mais ils sont rares et manquent clairement de discernement dans leur choix de la cause à défendre.
Faut dire que la République parthénopéenne est, pour Dumas, la république idéale : une république de l'élite, des intellectuels, de la bourgeoisie et de la noblesse éclairée, une révolution sans débordements sanglants, sans Terreur, sans exécutions de masse… En clair, une république destinée tôt ou tard à se casser la gueule. Et plus tôt que tard en l'occurrence. Car il faut être bien naïf pour imaginer bâtir une république sans l'appui du peuple - et celui-ci, loin de suivre les idéaux des patriotes, est sauvagement monarchiste - ainsi qu'avec l'appui d'une armée étrangère qui n'attend qu'une occasion de vous laisser dans le pétrin. Cette naïveté, on la pardonnera volontiers à Dumas. C'est celle d'un idéaliste et d'un romantique, à défaut d'être celle d'un grand démocrate, mais ce bon Alexandre n'est pas le seul écrivain de son époque à se méfier de la populace, cette hydre féroce et imprévisible.
Un peu plus d'humour aurait permis d'alléger la sauce (heureusement , il reste les punchlines du roi Ferdinand pour nous mettre de bonne humeur), mais « La San Felice » compense largement en epicness ce qu'elle perd en second degré. Probablement pas le plus fin, ni le plus subtil des romans de Dumas, mais un livre qui gagnerai à être connu et mérite bien sa place dans sa luxuriante bibliographie. A ne pas rater : en fin de roman, l'échange de lettres entre Dumas et la fille de la vraie San Felice où il lui explique que, grosso-modo, « c'est vrai, j'ai raconté un peu n'importe quoi sur votre maman, mais avouez que ma version est quand même vachement plus cool que la réalité, hein ? »