La vie d'Anne

Apr 20, 2011 10:45

Title: La vie d’Anne
Fandom: Moderato cantabile (novel by Marguerite Duras)
Rating/Genre: pg-13? for disturbing themes?/gen
Characters: Chauvin, Anne Desbaresdes
Summary: The conversations in the café from Chauvin’s point of view and his theories about why the woman wants to talk to him about what happened there.
Word count: 901
Spoilers/Warnings: Sort of spoilers for most parts of the book?/Discussions of death, violence (vaguely)
Notes: This fic is in French! It’s actually homework for one of my classes: “Re-write the story from a different point of view”, and I said “Yay, fanfic!!”… The professor liked the text but didn't correct it (!), snakeling and clair_de_lune did. Merci.


Anne parle du printemps et l’instant après elle parle déjà de la femme morte. Anne veut parler d’elle et je veux parler d’Anne. C’est la même chose, bien qu’elle fasse semblant de l’ignorer. Elle ne connaît même pas sa propre âme, elle ne connaît que la peur quand les troènes grincent dans la nuit. C’est pour ça qu’elle veut tout savoir sur cette curieuse mort.

Au début je n’ai pas compris ce qu’elle voulait. Etait-elle une simple commère ? Je l’ai invitée à boire et à discuter pour la connaître. Elle est loin d'être une commère. Elle ne s’intéresse pas du tout à ce crime, à cette mort. Elle ne s’intéresse qu’à Anne Desbaresdes et sa vie qu’elle ne comprend pas.

Au début, ses questions me semblaient un peu morbides. Ensuite j’ai inventé une histoire pour la provoquer, pour la comprendre. « Je crois qu’il l’a visée au coœur comme elle le lui demandait. »

Un gémissement doux comme si j’étais son tourmenteur.

Non, pas un tourmenteur. Je suis la clé qui peut délivrer la Shéhérazade en elle-même. Elle me regarde, je suis devenu un miroir, la réflection de sa Shéhérazade.

« J’ai dû trop boire », dit-elle, elle aime le goût du vin, elle vient de le découvrir. Elle boit plus que moi, elle boit mes yeux aussi, elle a soif et elle boit les mots qui coulent de mes lèvres comme s’ils étaient du vin. Le vin, les mots, les mensonges.

Je répète : « Parlez-moi » pour savoir ce que je vais lui dire. J’utilise ses propres mots, c’est Anne qui dirige ce jeu. Je ne connais pas la fin de ce jeu, de cette histoire, je ne connais que mon rôle.

C’est difficile de savoir la vérité. Je parle de ses seins sans qu’elle ne réagisse. Je ne veux pas parler de cette manière et j’ajoute que je m’appelle Chauvin, comme si cela me donne le droit de lui dire n’importe quoi. Elle se fiche de mon nom et ses yeux me donnent l’autorisation de lui dire tout ce que je veux. J'utilise ce droit et mon histoire, celle qu’elle désire, devient de plus en plus sombre. Je dis : « Oui, une chienne. » Je dis : « Peut-être a-t-il eu envie de la tuer très vite. Parlez-moi. »

Je veux qu’elle me parle, je veux savoir si c’est cela qu’elle veut entendre. Nous avons déjà inventé cette vérité : La femme voulait mourir. Si cet homme inconnu a eu envie de tuer sa femme dès les premières fois qu’il l’a vue, cela veut dire qu’elle aussi le voulait depuis toujours. Comme si elle était déjà morte.

Nous nous approchons.

Je dois lui dire que je mens. La maison isolée, le jeu violent des amants, la femme comme une chienne... Je ne sais pas si je supporte encore cette histoire. Qu’attends-elle de moi ? Que veut-elle que je lui dise encore ?

« Non », dit-elle, elle ne veut pas entendre ses mots qui sont la vérité ; je mens.
Anne Desbaresdes, elle veut que je l’invente. Oui, je l’invente. Le soir où je rôde sur le boulevard de la Mer, je la vois par la fenêtre. Je vois la fleur qui ne lui va pas, la fleur qui se fane déjà. Anne croit maintenant qu’elle aime ces fleurs, qu’elle les porte depuis toujours.

Je mentais ce jour dans le café quand je disais que je l’avais vue.

Tout le monde ment, même les innocents. C’est pourquoi on peut trouver la vérité seulement au bout du plus grand mensonge. Le plus grand mensonge, c’est celui qui croit être la vérité. Les mot cachent plus qu’ils ne montrent. C’est pourquoi je veux qu’elle me parle. Je m’intéresse à sa façon de se cacher.

Je n’ai jamais vu cette fleur au-dessus de ses seins ; elle ne se rappelle pas. Je l’ai parlée. Après, elle a porté une fleur au-dessus de ses seins, celle que j’ai inventée.

Anne Desbaresdes s’invente en parlant et j’ose poser ma main sur la sienne. Cette belle femme qui ne connaît pas sa beauté, qui ne connaît pas sa vie ou la ville où elle promène tous les jours, qui ne connaît même pas son petit garçon.

J’ai un peu peur car il me semble qu’elle ne voudra jamais arrêter ce jeu, ces rencontres pleines de vin et de mensonges.

Mais enfin elle le dit : « J’ai peur ». Elle crie. Elle accepte sa peur, elle veut se noyer dans la peur une fois pour toutes, se noyer dans la vraie peur pour la première fois. Elle a tout oublié maintenant de ses troènes, son hêtre, sa maison.

Le baiser, ses lèvres sur les miennes, c’est une tentative. J’aurais voulu qu’elle le fasse tous les jours, pour toujours. Ce n’est pas ce qu’elle veut. Il faut donc que je le dise même si je sais que je vais la perdre. Je dis : « Je voudrais que vous soyez morte. »

Et enfin, Anne Desbaresdes sait qu’elle n’a qu’une vie. Enfin, elle comprends.

Elle voulait croire que la femme tuée désirait la mort. En comprenant pourquoi, elle pourrait savoir si elle aussi voulait mourir. Elle a essayé de devenir cette autre femme mais il faut que je devienne le tueur par mes mots pour qu’elle arrive à comprendre qu’elle veut vivre.

Anne Desbaresdes me quitte ; elle n’a plus besoin de moi.

*fandom: marguerite duras, rating: pg-13, !fanfic, !french, length: oneshot, genre: gen

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