Lettre XV

Jul 25, 2008 14:10

D'Alexandre Lesservi-Caballière
A Erwan Baron

Mon ami,

Voilà. Le soleil ne m'éclairera plus. Mon Soleil. Aujourd'hui, je pleure, mais demain, j'en rirai. Je rirai de l'amour pour oublier à quel point il peut être cruel et douloureux. L'on croit jouer avec les sentiments, mais ce sont eux qui jouent avec nous, nous qui ne sommes rien. Demain, je briserai les coeurs de quelques idiots, ingénus ou menteurs. Aujourd'hui, je suis seule, mais demain, ils seront cent dans mon lit et lui sera encore dans mon coeur. Je rirai de tous les hommes parce qu'un seul m'aura fait pleurer. Je les haïrai tous, je vous dirai qu'ils ne sont que des monstres. Et pourtant, je ne lui en veux pas. Je ne ressens que les meilleurs sentiments pour lui. Bien sûr, il ne me croit pas, et je ne peux pas lui en vouloir. Je suis ce que je suis et il ne me connaît qu'à peine.

Il va partir, d'ici quelques temps. Loin, il ne sait pas où. Au bout du monde, qu'importe. Mes rêves seront redevenus froids et vains d'ici là. Le pouvoir, la réputation, l'ambition. L'ego. Je vous demande pardon à vous, mes amis, de ne pas vous aimer autant que je le devrais. Mais c'est ainsi, je préfère ma propre compagnie, car j'essaie de ne jamais me décevoir.

Cette lettre vous parviendra sûrement humide et tachée, mais je n'aurais pas le courage de vous la réécrire, et je dois vous l'envoyer. Demain, je voudrai déjà rire de tout cela, et prétendrai que ce n'était qu'une bagatelle. Mais vous, vous saurez, et vous ne me poserez aucune question. Vous me demanderez simplement comment je vais, et je vous répondrai tout naturellement que tout va bien. Mais vous saurez, et cela nous suffira. Ce serait de toutes façons trop douloureux de vous en parler. Contentez-vous de cela, s'il vous plaît. Peut-être serai-je plus bavarde un autre soir, qui sait ?

En vérité, j'envie les Tourvel, celles qui osent mourir par amour. J'en serai sûrement incapable. Je suis peut-être trop lâche, ou trop optimiste. Je me dis qu'il changera d'avis, que le temps passera vite, qu'il sera bientôt de retour. Mais il n'est même pas encore parti. Tourvel, elle, aurait déjà fait ses bagages pour d'autres îles. Il n'a pas l'air de vouloir que je le suive, de toutes manières. Ah ! que je suis bête ! Et lui qui se moquait gentiment de moi, qui me disait à l'instant en riant que non, je n'étais pas amoureux de lui. S'il savait. S'il savait ! S'il savait, il partirait encore plus loin.

Tourvel, vous dis-je. Vous, vous dites que nous ne sommes pas des personnages de roman, qu'ils ne sont que fiction, qu'ils ne sont que des noms, qu'ils ont leur propre vie. Peut-être, Baron, mais leurs sentiments sont aussi sincères que les nôtres. Car, au fond, nous sommes tous pareils. Et en ce moment, je n'ai rien de la terrible Marquise que je prétends parfois être. Le miroir est fêlé, mais demain, il n'y paraîtra plus. Le soleil continuera sa course folle, et la lune restera un astre mort. Tiens, aujourd'hui justement, on me dit que c'est le dernier quartier. En bonne lune que je suis, je reviendrai nouvelle la prochaine fois que nous nous verrons.

Pour vous prouver que tout va mieux et que je m'occupe de choses concrètes, je n'oublie pas de vous dire que j'ai répondu à Richard. Je vous enverrai la copie une autre fois. Aujourd'hui, je trouve cela un peu cruel, mais demain, il me faudra bien un coeur froid à frire. Les lois de la nature sont immuables, et la Terre n'arrêtera pas de tourner. Allons bon, voyez comme je vais mieux. La vie continue, et je n'ai, de toutes façons, plus aucune larme à pleurer.

A bientôt,

Madame la Marquise

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correspondance

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