Lettre XII

Jul 19, 2008 12:56

D'Erwan Baron
A Alexandre Lesservi-Caballière

Marquise de mes rêves - car cette nuit, j'ai rêvé de vous -

je n'écris plus, ou si peu, et pas moins à vous qu'à quiconque. Paris fut belle, et me fut plus douce qu'à l'accoutumée, mais j'en suis revenu les veines pleines d'une bile récurrente : la déception. Vous touchez juste, Marquise, mais sans grand mérite : mon mal se nomme Lassitude, mais je vous le disais moi-même dans ma dernière Lettre.

La déception, Marquise... C'est un poison que vous connaissez aussi. Ne le laissez pas vous ronger, et congédiez de votre esprit vos Richard, vos Morelli et surtout vos Gercourt. Pensez plutôt à Musset et à sa Nuit d'octobre :

"Si l'effort est trop grand pour la faiblesse humaine
De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui,
Épargne-toi du moins le tourment de la haine ;
À défaut du pardon, laisse venir l'oubli.
Les morts dorment en paix dans le sein de la terre :
Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints.
Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière ;
Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains."

Non, Marquise, vous ne rêvez pas : je me détourne de la Vengeance. Notre ignoble quête ne me passionne plus. Vous me connaissiez Valmont, vous me retrouvez Tourvel : croyez bien que ce rôle ne m'amuse pas autant que mon dernier emploi. Comme la fade Présidente, je me pâme à tout propos.

Et je vous annonce la grande Nouvelle de cette Lettre : j'ai pris la décision de faire une Retraite. Maintenant que mes majuscules vous ont bien impressionné, j'entre dans le détail. Je passerai le mois d'août - et peut-être plus, mais je ne le souhaite pas - dans l'un de nos modernes monastères : il y aura, entre le monde et moi, les murs les plus épais - au propre comme au figuré. Septembre, je l'espère, m'apportera comme chaque année un souffle nouveau.

Vous dites qu'Alexandre est Alexis : à mes yeux, il ressemble davantage au frère de cette dernière. Je vous ai connu visant chaque jour des lunes nouvelles. Les héliotropismes dont vous vous plaignez me semblent être une évolution positive.

L'oie Blanche vous inquiète-t-elle vraiment ? Les dindes dans son genre, la plupart du temps, sont promptes à se plumer elles-même. Dans le pire des cas, si Hervé est, comme vous me l'avez dit, le digne héritier d'Antoine, dites-vous que si ses nuits sont moins nombreuses que celles de son glorieux homonyme, elles le sont bien assez pour que vous puissiez tirer parti de l'une d'entre elles.

Je deviens obscur, et préfère donc achever cette Lettre, un peu longue, un peu terne, et - votre reproche favori, Marquise ! - un peu sérieuse.

Je vous salue bien bas, Cendres de mes rêves, et vous renouvelle l'assurance de mon désincarné dévouement.

Charlus

~~~~~~~~~~~~~~

correspondance

Previous post Next post
Up