des signes invisibles - supernatural - fic n°3

Apr 27, 2008 14:14

Titre = ???
Auteur = Aélane
Thème = des signes invisibles (Fic n°3)
Fandom = Supernatural
Disclaimer : l'univers et les personnages sont la création d'E. Kripke et de son équipe (diffusion US : CW, diffusion française : M6 and co)
Personnages = OCs, Caleb
Rating = PG
Remarque = je n'ai jamais mis les pieds dans une armurerie, encore moins aux USA, et mes connaissances en armes à feu se limitent à Wikipedia et au fusil de chasse paternel... j'espère ne pas avoir écrit de grosses bêtises ^^;;


Des tas de gens poussaient la porte de la boutique paternelle.

Il y avait ceux qui entraient d’un air bravache, vous claquaient leur pognon et leur licence sur le comptoir. Ceux-là déclamaient très souvent à la cantonade qu’ils achèteraient cash le dernier cri ou ce que vous aviez de plus costaud en stock, de préférence les deux à la fois, sans jamais vous laisser pour autant le moindre pourboire.
Il y avait les gars qui ne venaient qu’accompagnés. Experts, potes, petite femme du moment, peu leur importait, tant qu’ils pouvaient se sentir confortés dans leur bravoure ou dans leurs connaissances, dans leur ego. Ces bœufs-là étaient les plus nombreux, et ils discutaient chaque commande sans fin.
Il y avait ceux qui se faufilaient en poussant la porte de guingois, se contorsionnaient le plus possible dans l’interstice comme si une seconde de carillon supplémentaire allait brûler leur conscience au fer rouge. Ceux-là ne vous regardait jamais dans les yeux. Vous pouviez leur refiler de la merde, ils ne trouvaient jamais rien à redire.
Il y avait les tout intimidés qui bredouillaient des noms gribouillés sur un bout de papier illisible. Eux vous laissaient toujours un pourboire plus généreux qu’ils n’auraient dû, comme pour compenser.
Il y avait les durs à cuire, anciens flics, chasseurs de prime, retraités de l’armée qui en entrant saluaient son père d’un « sergent-chef », ou mecs des équipes de sécurité qui lorgnaient toujours les nouveaux Tasers. Portique ou pas, ces clients-là entraient rarement désarmés. Et son père grognait toujours lorsqu’un nouveau qu’il ne connaissait pas l’obligeait à prendre une photo zoomée avec la caméra de surveillance. Ça grognait mille fois plus fort, toutefois, si c’était un civil qui entrait armé : soit c’était les emmerdes - une grosse pas piquée des vers même s’il ne fallait surtout pas répéter ça aussi à la maison, soit il allait falloir faire des réparations puis perdre un temps fou à expliquer à un incompétent comment nettoyer correctement son arme enrayée au lieu de vendre du matos.

Ce n’était pas juste amusant, ce n’était pas juste pour passer le temps ou renflouer son argent de poche - un type bon, un quarter ! C'était important de savoir à qui on avait affaire. Extrêmement important. Ca-pi-tal. « Car on ne vend pas n'importe quoi à n'importe qui, répétait son père à qui voulait l'entendre, c'est des foutaises de pacifistes, ça, mon bonhomme. »

Encore plus divers étaient leurs motifs. Chasse. Stand de tir. Sécurité. Bien sûr, c'est ce qu'ils avouaient tous à voix haute. Seulement, leurs yeux, leurs mots, leurs gestes, leurs rires, leurs pleurs, leurs choix, vous contaient souvent une histoire un petit peu différente.

Il devenait très fort avec les types. Il n’y avait pas eu besoin de le motiver beaucoup pour rajouter les raisons à leur petit jeu, bien qu'il eût marchandé aussitôt un autre quarter. De plus en plus, c’était ce que Pip préférait essayer de deviner. Pour apprendre à mieux faire tourner la boutique, mais pas que pour ça. Pas vraiment que pour aider son père. Son père savait déjà tout, de toute façon. C'était le plus fort.
Pip aimait en savoir toujours un peu plus. Discuter. Fouiner. Dénicher les histoires cachées. S’il fallait en croire sa mère, tout le rendait curieux. C’était l’âge qui voulait ça, ajoutait-elle immanquablement en levant les yeux au ciel. « Ce gosse peut vous taper la bavette à un chien avec un chapeau », s’excusait parfois son père lorsqu’il craignait qu’il n’ait ennuyé un client ombrageux. « Philip ! continuait-il immanquablement, fiche donc la paix au monde ! Va jouer dehors ! Ou va aider ta mère ! »

Ce n’était pas vrai. Ce n'était pas juste. Il fallait bien qu’il s’entraîne à être aussi bon vendeur que son père ! Et il n’avait jamais houspillé le monde pour savoir comment certains arbres restaient verts ou pourquoi l’on mettait les gens en terre, si le Père Noël existait. C’était pour les bébés, des questions pareilles. Lui, c’était juste les gens qui l’intriguaient, tout pareil que les grands.

Il y avait le petit vieux qui tremblait dès qu’on frappait à sa porte et qui voulait vous acheter tout un arsenal en refusant d'entendre qu'il ne pourrait jamais en soulever le tiers du quart. Il y avait la grenouille de bénitier qui pensait encore craindre pour sa vertu et croyait dur comme au Seigneur qu'elle pouvait toujours prendre le recul de la carabine reçue des mains de son oncle favori il y a Mathusalem, sans se fracasser l’omoplate. Il y avait le bon père de famille qui craignait moins les squatteurs du centre-ville que le gamin qu’il soupçonnait de sauter sa fille. Il y avait le petit col blanc stressé qui achetait cent cartouches pour le ball-trap du club en rêvant secrètement d’aller tirer un carton un jour sur son connard de patron. Il y avait le gars qui voulait descendre du gros avec ses potes, sauf que par gros il s’imaginait souvent son porc de voisin du dessus qui balançait ses mégots sur sa terrasse. Il y avait ces libéraux du Maine, si fiers d'être si modernes, si moins barbares que les péquenots du sud ou du centre ou d’ailleurs, et qui n’avaient pas besoin d’un tas de paperasses ici pour se sentir libres de prendre leurs bus sans jeter des regards inquiets aux dépenaillés de la gare routière par-dessus leur épaule.

« Tous armés, tous en sécurité », aimait affirmer son père aux clients en tapant du doigt sur la maxime accrochée à côté des écriteaux louant les remises exceptionnelles du jour. Pip n’ignorait pas que ce n’était pas vrai. Pas faux, vu tous ceux qui l’attestaient, mais pas vrai non plus. Brian avait eu beau apprendre à tirer avec les cartouches à blanc que Pip lui avait filées en douce, Pip avait dû aller à la chambre mortuaire fixer ses pieds, fixer le plafond, fixer le dos de ses parents, sans jamais voir le cadavre de son ami tout joliment arrangé qu'il ait été au milieu des fleurs et des pleurs.

Les motifs étaient importants, eux aussi, parce qu’il y avait la toute dernière catégorie, ceux qu’il n’osait plus regarder dans les yeux, ceux dont il aurait refusé l’argent si de lui avait dépendu la caisse. Les martyrs, il les appelait en son for intérieur, un peu comme les saints dans la Bible sauf que, eux, Dieu ne venait jamais les réconforter à la dernière minute. Les gens comme Brian, ceux que la vie avait traînés une fois de trop dans la boue, ceux qu’on avait couvert de goudrons et de plumes, ceux qui croyaient qu’une arme allait miraculeusement les changer, les rendre forts, les rendre puissants, faire fuir les méchants et résoudre tous les problèmes.

Puis, il y avait Caleb.
Le vieux Caleb qu’il se faisait appeler, parce qu’il y avait un jeune Caleb, dont le vieux donnait parfois des nouvelles en vérifiant l’alignement du canon, sans que nul n'en demande. Son père ne demandait jamais rien à Caleb. Ni pourquoi tel calibre, ni s'il avait fait bonne impression au ball-trap, ni s'il avait enfin abattu ce sacré cerf rouge avec ses potes, ni s'il se sentait bien mieux maintenant avec ce .36 dans son tiroir, ni s'il avait des problèmes avec le matos, ni quels nouveaux voisins il avait, ni ce qu'il avait mangé, ni s'il comptait voyager sur la côte Est, ni où il pensait donner un petit coup de jeune à sa caisse, ni comment allait sa femme. Rien.
Le bonhomme avait beau réclamer les trucs les plus inquiétants qui soient - « seuls les pires illuminés voudraient de quoi fondre leurs propres balles, chéri, des balles en argent en plus ! » avait protesté sa mère à table, une fois, une seule fois - son père qui pour tout autre quidam aurait aussitôt appuyé sur le bouton les reliant au shérif, son père opinait juste sans mot dire, et allongeait la marchandise.

Il aurait bien voulu poser lui-même toutes ces questions, puis tout un tas d’autres, mais cet homme avait le don pour venir rarement le week-end, toujours quand il n’y avait plus personne ou pas encore quelqu’un. Très souvent, pile le jour où sa mère voulait qu’il aille faire les courses avec elle, qu’il termine ses devoirs, range sa chambre, ramasse les feuilles mortes, aille à tout prix s'amuser avec son copain Tom quand ce n'était même pas son copain.
S’il arrivait à se faufiler jusqu’à l’armurerie malgré tout, dès qu’il s’approchait trop près, son père avait, lui, le chic pour avoir alors un carton à déplacer, un truc débile à vérifier en réserve, une commission à aller porter, un téléphone à décrocher, n’importe quoi pour l’occuper en l’envoyant le plus loin possible. On lui interdisait de rencontrer réellement Caleb, sans le lui interdire ouvertement, pour qu’il n’embarrasse pas les adultes avec des pourquoi et des revendications. C’était horriblement frustrant.

Il n’y avait plus qu’à tendre l’oreille, de loin, à son grand déplaisir. La nuit, tout au fond de son lit, il aurait bien caressé l’idée de se procurer les bandes de surveillance avant leur destruction ou de fouiller la comptabilité en douce, tel James Bond, il aurait concocté des plans mirobolants pour apaiser sa curiosité dévorante, planqué sous ses couvertures, s’il n’était pas déjà certain que son père ne questionnait pas plus Caleb qu’il ne le laissait marquer la moindre trace de son passage où que ce soit. Les caméras ne tournaient pas quand Caleb était là. La caisse ne s'ouvrait pas quand Caleb était là.

Son vœu le plus cher sembla s'exaucer toutefois lorsque le vieux s'installa soudain en ville, enfin, presque. Mais, où qu'il logeât, nul ne pouvait le rater aux heures fraîches, attablé qu’il était à la terrasse du bar que les garçons de son âge lorgnaient d'un air aussi envieux que bravache. Un jour, eux aussi, s'attableraient là, c'était leur désir le plus cher. Ce n'était pas celui de Pip.

Il voulait comprendre. Il voulait savoir. Il voulait être dans le secret. Il était grand. Il était suffisamment grand. Il rassembla tout son courage pour s’installer l'après-midi du cinquième jour en face du bonhomme occupé à griffonner quelque chose sur un carnet aussi abîmé et crevassé et usé que lui.

Intimidé par la proximité du trésor des trésors, enfin à portée de voix, enfin à portée d'oreilles, prêt à livrer tous ses secrets, Pip attendit si longtemps sans oser parler qu'il prit peur que Marty ou l'une des serveuses ne viennent le chasser manu-militari. Il avait bien une histoire de commission toute faite, une histoire qui ne voulait pas franchir ses lèvres, tout occupé qu'il était à dévorer le mystérieux Caleb, s'imprégnant de sa présence, prêt à boire la moindre de ses paroles.

« T'es le petit à Josh, toi. Ton père a pas un mot pour moi, n'est-ce pas », énonça soudain l'homme d’une voix égale, sans relever les yeux.
Ce n’était pas vraiment une question, mais ce ne fut pas ce qui fit sursauter Pip. L’homme avait une voix plus jeune que sa tête, puis pas le moindre accent d'ici ni pas franchement californien non plus. Pas d'au-dessus non plus. Il avait eu une maîtresse du Kansa. C'était pas ça. D'où ? D'où donc ? C'est à cet instant qu’il comprit à quel point il ne connaissait pas Caleb, même s'il lui semblait avoir passé son temps à l'imaginer et à l'observer de loin.

fandom : supernatural, theme : des signes invisibles

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