Dès que le soleil se couche - orgueil et préjugés - fic n°1

Nov 21, 2006 16:04

Titre: Frustrations
Auteur: Sioban Parker
Thème: Dès que le soleil se couche.
Fic #1
Fandom: Orgueil et Préjugés, roman de Jane Austen
Personnage: Elizabeth Bennet (c'est la fille sur mon icône !)
Rating: G
Disclaimer: les personnages appartiennent à Jane Austen (paix à son âme) et à ses ayant-droits.

Notes: aperçu en 830 mots de ce que c'est, d'être une fille au XIXe siècle...

Frustrations

Elizabeth Bennet incarne à merveille la jeune fille de bonne famille dans l’Angleterre de 1805. Elle a suffisamment de recul sur elle-même pour en avoir conscience. Elle est accomplie, si l’on veut bien juger qu’elle s’est instruite seule : elle sait lire et écrire, jouer du piano et chanter, coudre et broder. Mieux encore, elle sait se servir de sa raison à bon escient.

Elle a reçu l’éducation typique d’une jeune fille qui doit attraper un mari avant ses trente ans. A croire parfois que la vie s’arrête là, au pied de l’autel. Ce qui advient par la suite est beaucoup plus nébuleux... sans même parler des aspects les plus intimes de la vie conjugale. Elizabeth espère qu’elle saura tenir une maison, donner des ordres aux domestiques, élever des enfants. Mais évidemment, elle n’en est pas sûre.

Parfois, lorsqu’elle joue à se faire peur, allongée dans son lit, elle se demande ce qui se passera s’il n’y a ni vraie maison ni domestiques. Tout peut arriver : elle pourrait ‘enfuir avec un acteur et partager sa vie de saltimbanque ; elle pourrait être ruinée et se résoudre à devenir elle-même une domestique ; elle pourrait…

Mais son esprit, pourtant si prompt à l’imagination, s’arrête. Elle a du mal à concevoir une existence sans maison et sans domestique, puisqu’elle n’a connu que cela.

De même qu’elle ne connaît qu’un seul but dans l’existence : attraper un mari. Sa mère n’a pas d’autre sujet de conversation.

Etre accomplie pour avoir un mari. Etre intelligente pour le séduire, jolie pour l’attirer, cultivée pour le retenir, joyeuse pour l’étourdir. Une personnalité entière façonnée dans ce but, sans même savoir qui sera le mari, sans même savoir s’il y aura un mari.

Elizabeth se flatte de voir plus loin que le bout de son nez. Elle sait analyser sa situation avec lucidité : le mariage est la seule issue honorable pour quelqu’un comme elle, qui ne sait rien faire.

Elle ne sait rien faire, c’est un fait. Si la fortune paternelle s’effondre demain, elle ne sait pas gagner sa vie, sauf en devenant institutrice pour des gamines qui en savent un peu moins qu’elles. Si la guerre éclate (l’Angleterre est déjà officiellement en guerre contre la France révolutionnaire mais à des milliers de kilomètres de Longbourn ; si Napoléon commet la folie de débarquer, disons), elle ne saura pas survivre, elle sera incapable d’une décision concrète.

Elle n’est qu’un ornement de salon.

Cette pensée lui fait mal, alors que la pluie et le vent s’abattent avec force contre les volets.

Dans un moment d’énervement, elle maudit le fait d’être une fille. Un garçon a le droit d’étudier pour avoir un métier. S’il a de l’argent, on exige de lui qu’il sache le gérer. S’il n’en a pas, il doit le gagner. Un garçon a un rôle dans l’avancement du pays. Il contribue à faire de l’Angleterre un pays libre et puissant.

Une fille n’a aucun rôle, hormis mettre au monde des petits Anglais.

Quand Elizabeth rêve vraiment, quand la nuit tombe sur ce théâtre qu’est la société, elle rêve qu’elle est utile et indépendante. Elle a un métier qui lui donne une place dans la société. Elle conseille le roi, elle vote les lois, elle dirige sagement une usine ou un commerce, elle veille sur le bien-être de ses employés, elle donne des ordres qui influent directement sur la vie quotidienne des autres.

Elizabeth ne confie ses pensées nocturnes délirantes à personne. Surtout pas à sa sœur Jane, qui pour être sa confidente n’en accepte pas moins sa condition inférieure avec soumission.

Elizabeth aimerait savoir, aimerait pouvoir. Elle voudrait tenir entre ses mains le moyen de contrôler sa vie au lieu de la subir. Mais elle ne peut qu’attendre, les yeux baissés sur sa broderie, que le futur maître de son sort demande sa main à son père.

Alors que le vent redouble et que le soleil a complètement disparu, elle joue à se faire vraiment peur. Son cauchemar le plus terrifiant : personne ne la demande en mariage.

Elle devient une vieille fille. Elle n’est plus l’ornement d’aucun salon. Elle joue du piano pour faire danser les jeunes filles et leurs futurs époux. Elle brode pour les enfants des autres. Elle vit en parente pauvre chez une sœur mariée. Elle donne des ordres que les domestiques n’écoutent pas puisqu’elle n’est pas la vraie maîtresse de maison. Elle a une existence aliénante, mesquine, qui la laisse aussi desséchée qu’un bois mort. Une vie pour rien.

Elizabeth espère s’endormir bientôt pour échapper, au moins cette nuit, à cette perspective qui la glace d’effroi.

Demain elle redeviendra vive et ironique, dans le salon dont elle est l’ornement. Elle se moquera de l’hypocrisie de sa mère, du ridicule de sir Lucas, de l’arrogance de Mr Darcy. Elle sourira pour oublier qu’elle a peur. Elle rira pour cacher son amertume.

Mais elle sait que, lorsqu’elle se retire dans sa chambre, la nuit venue, son propre masque tombe. Elle est une enfant de vingt ans, frustrée et terrifiée.

FIN

theme : dès que le soleil se couche, fandom : orgueil et préjugés

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