Thème : 15. Baignant dans la lumière artificielle
Personnages : Creed Diskenth, Eve
Série : Black Cat
Rating : G
Spoilers : volume 2
Disclaimer : les personnages sont à Kentarô Yabuki et aux studios Gonzô
Note : si si, je réponds au thème!... ou peut-être pas, en fait...
Thème 15 - Baignant dans la lumière artificielle.
« Ainsi, c'est elle.
Les deux hommes se tenaient face à l'énorme cylindre qui trônait au milieu du laboratoire. Ce dernier était encombré d'ordinateurs, de scanners, d'une ou deux tables en inox, sans compter toutes ces autres machines à l'utilisation obscure. Il y avait d'autres tubes du même genre dans la salle, qui s'élevaient jusqu'au plafond, mais aucun n'était aussi large que celui que fixaient les deux hommes. L'un était de taille moyenne et devait avoir une soixantaine d'années, gras et ridé ; il tirait de temps en temps une bouffée du cigare coincé entre ses dents jaunies par des décennies de tabagisme, sans quitter des yeux le cylindre, vers lequel venait de s'avancer le deuxième homme. Celui-ci était âgé d'une vingtaine d'années, tout au plus, et affichait une expression à mi-chemin entre la satisfaction et l'émerveillement.
- Eve.
Il posa sa main à plat, les doigts écartés, sur la paroi de verre derrière laquelle stagnait un liquide trouble, vaguement rouge, et qui émettait un étrange rayonnement ; à l'intérieur serpentaient des câbles de tailles variées, opaques ou transparents - et dans ce cas, on pouvait y voir circuler des produits d'une couleur rendue terne par le liquide qui les enveloppait -, qui convergeaient sans exception vers la forme sombre au centre du cylindre, c'est-à-dire à pas moins de cinquante centimètres de la main que l'homme gardait contre le verre. Il laissa un sourire errer sur ses lèvres.
- Beau travail, Tornéo, dit-il simplement.
- Oh, il reste encore beaucoup à faire ! répondit le vieil homme en toute modestie, Mais le principal est achevé : les nanomachines s'intègrent parfaitement à son corps, et se mêlent à ses cellules sans signe de rejet. Sa croissance est rapide : elle aura le corps d'une fillette de dix ans d'ici un mois, deux au maximum.
- Magnifique..., murmura l'autre en se penchant pour mieux distinguer la silhouette floue qui flottait au-dessus de ses doigts.
Il s'agissait d'une toute petite fille de cinq ou six ans en apparence, très maigre et sans doute très pâle, n'ayant jamais rien connu d'autre que l'éclairage au néon du laboratoire, ignorante du soleil. Quelques mèches de cheveux épars, qui ressemblaient presque à des filins métalliques lorsqu'un rayon de lumière blafarde parvenait à traverser le liquide rougeâtre pour s'y refléter, ondulaient tout autour de son crâne. L'enfant, entièrement nue, gardait ses jambes serrées l'une contre l'autre, les genoux ramenés sous son menton ; ses bras les entouraient, et ses doigts finissaient par s'accrocher à ses chevilles.
De son côté, Tornéo Rudman poursuivait son monologue explicatif.
- Je pense l'exposer à l'air libre dès qu'elle aura achevé sa croissance, disait-il, Si on continue d'accélérer de cette façon le processus de vieillissement, son corps risque de ne pas tenir le coup et ses cellules ne pourront plus se régénérer... Trois mois me paraissent raisonnables avant qu'elle ne soit tout à fait prête.
- Vous avez deux mois.
- Deux m...!?
Sous le coup de la surprise, le cigare du vieil homme s'échappa de ses lèvres, et il ne le rattrapa qu'au prix d'un carré de peau brûlée au bout de l'index.
- Deux mois ? répéta-t-il, Mais son corps sera encore trop chétif, jamais elle ne pourra...
- Cela vous pose problème, Tornéo ? demanda le jeune homme en tournant vers lui un regard que l'autre jugea effrayant.
Ses yeux s'étaient légèrement équarquillés et scrutaient le malfrat. Tornéo répprima un frisson ; il avait l'impression de se trouver face à une bête assoiffée de sang.
- J... n-non..., bégaya-t-il avec un sourire crispé, Deux mois ne posent aucun problème, Creed, monsieur.
- Ne discutez plus mes ordres.
La menace de mort qui aurait dû suivre était suffisamment palpable dans l'air pour qu'il n'ait pas besoin de la formuler. Tornéo tripota nerveusement son cigare, encore trop inquiet pour sa vie pour voir que Creed avait reporté toute son attention sur le fruit de ses expériences. Il parlait tout bas, comme s'il voulait glisser un secret à la petite fille.
- Eve. Tu sais pourquoi je t'ai donné ce nom ? murmurait-il au verre, Parce que tu seras la première, la toute première d'une espèce supérieure aux humains. Tu seras le premier être dont la perfection innée t'accordera le Paradis.
Sa voix se faisait de plus en plus basse, et pourtant le visage de Creed s'exaltait au fur et à mesure qu'il décrivait son incroyable rêve à la pauvre créature qui ne pouvait l'entendre.
- Eve parce que, comme Dieu créa les hommes, il donna ce nom à la première femme. Je vais surpasser ce Tout-Puissant de pacotille, et tu seras la première à prendre la place qui t'est due dans mon Eden !... Tu n'auras pas à être souillée par ce monde impur qu'est celui des simples mortels.
Creed se tut un instant. Un étrange éclat avait lui au fond de ses prunelles, et son regard se perdit dans le vague.
Il s'écarta du cylindre gigantesque et quitta le laboratoire, suivi à distance respectable d'un Tornéo peu confiant - instinct de survie oblige. Au moment de passer la porte, il accorda une dernière pensée à l'enfant qu'il avait fait naître, et en lequel il fondait de bons espoirs.
- Toi... tu ne me forceras pas à te jeter hors de mon Jardin. »
La lourde porte blindée se referma en faisant retentir un claquement métallique, qui se répercuta un long moment entre les mus du laboratoire.
La petite Eve flottait toujours dans son cylindre, elle n'avait rien perçu, aucun bruit. Pourtant, alors que sa conscience ne s'était pas encore éveillée, une sensation désagréable venait de se lover en elle, comme un serpent qui l'aurait entouré de ses anneaux ; elle n'était pas encore tout à fait née qu'un malaise l'habitait déjà, comme pour lui faire comprendre, lorsqu'elle ouvrirait enfin les yeux, qu'elle n'appartenait pas à ce monde qu'elle verrait.
Creed ne se doutait pas qu'elle ne voudrait jamais de cet Eden qu'il lui offrait.