Titre: beauté et subjectivité.
Thème: n°35, la beauté est dans leur témoignage (liste 2)
Personnage: Théodore Nott
Rating: T (pour le langage.)
-Théo, je peux te poser une question?
La voix de Blaise Zabini me tira de mes songes, me faisant légèrement tourner la tête sur le côté, de façon à ce que je puisse le regarder bien en face. Les prunelles sombres du métis me dévoraient presque littéralement, ce qui me fit me sentir d’emblée mal à l’aise, n’appréciant guère d’être dévisagé ainsi trop longtemps. Je soutins son regard en l’espace d’un instant, avant de détourner la tête, troublé. En moins de temps qu’il fallait pour le dire, j’étais retourné dans mes songes, bien loin de la réalité dont j’avais voulu m’affranchir à tout prix.
Je fixais un point imaginaire sur le faux plafond que constituait mon lit à baldaquin aux tentures vert-et-argent, les nobles couleurs de Serpentard. Pour une fois, pour une seule et petite fois, je ne savais pas répondre à une question pourtant bien simple. Je n’avais pas besoin d’élaborer une réponse trop complexe, ni même de déclamer une tirade digne des plus grandes pièces de théâtre, il me suffisait simplement de répondre par oui ou par non. C’était fou de voir qu’un simple mot de trois lettres pouvait sceller en partie mon destin. J’ai bien dit en partie, parce qu’il ne fallait pas exagérer non plus. Quoique…tout dépendait de la question qu’allait me poser Blaise, en réalité.
Alors, le seul moyen de savoir ce qui m’attendait était de répondre à son interrogation. Comme d’habitude, je pesais le pour et le contre, car je détestais qu’on me pose trop de question. J’étais somme toute extrêmement pudique et je n’aimais pas parler de moi, même s’il s’agissait d’évoquer la couleur des chaussettes que je portais actuellement. Aussi, quand bien même Blaise serait mon meilleur ami, ou tout du moins, se rapprocherait de l’idée qu’on se faisait d’un meilleur ami, nos conversations n’en restaient pas moins superficielles, dénuées de sens. Je n’étais pas très loquace, et je ne le devenais pas d’avantage même si l’on s’acharnait à me tirer les vers du nez…en fait, c’était même plutôt l’inverse: plus on insistait, et moins j’avais envie de parler.
-ça dépend. Finis-je par répondre, l’air absent.
Entre la réponse A et la réponse B, je choisissais la réponse C. Esprit de contradiction? Parfois, je me plaisais à l’imaginer, mais c’était bien loin de la réalité. Je choisissais toujours une alternative parce que j’étais incapable de prendre une vraie décision, aussi futile soit-elle. Je voulais avoir l’illusion que j’avais encore le choix, malgré la réponse binaire qui m’était imposée. Oui, ça dépend, c’était parfait comme réponse. L’avis n’était pas trop tranché, je conservais une certaine marge de manœuvre, pour me rétracter en cas de nécessité.
-ça dépend quoi? Questionna Blaise.
-De la question, pardi! M’écriai-je, agacé, tout en continuant à fixer obstinément ce point invisible.
-Je dois comprendre quelque chose qui m’échappe. Déclara enfin mon ami, titillant légèrement ma curiosité.
Je laissai échapper un grognement. Si je cherchais toujours à me dérober, Blaise avait quant à lui trouver une parade redoutablement efficace: attiser ma curiosité. Lorsque j’étais dévoré par l’envie de savoir quelque chose, on pouvait tout obtenir de moi, ou presque. J’étais malléable à souhait, il leur était libre de me balader par le bout du nez. Blaise était probablement l’une des rares personnes qui pouvaient se targuer de connaître quasiment toutes mes failles. Je disais bien quasiment toutes, encore heureux que j’avais réussi à garder le voile sur certains éléments de ma vie privée, et notamment sentimentale, si tant est qu’elle existe.
-Qu’est-ce que tu leur trouves, à toutes ces filles? Finit-il par me demander, tandis que je me renfrognais.
Était-il utile de préciser que c’était une question purement personnelle, qui impliquait mes goûts et mes convictions? Devais-je en plus faire étalage de ma vie sexuelle, pour que l’introspection soit complète? Que Blaise ne se leurre pas, je n’avais pas du tout envie de conter mes parties de jambes en l’air, lesquelles, d’ailleurs, étaient inexistantes depuis un certain temps. Cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas perdu entre les cuisses d’une jouvencelle, et je comptais bien prolonger ma période d’abstinence, n’ayant dans l’immédiat personne en vue. À dire vrai, cela ne me manquait même pas, j’avais bien d’autres priorités.
-Quelles filles? Interrogeai-je, tout en songeant que la question de Blaise était bien vague, je me tirais moi-même une balle dans le pied à demander toutes ces précisions.
-Les nôtres. Répondit Blaise en grimaçant. Pansy. Daphnée. Tracey. Peut-être même Asteria.
-Asteria est hors-course. Coupai-je, durement. Ce n’est pas mon trip de me faire une préado.
-Préado, je te trouve bien dur. Soupira Blaise, navré devant le cas que j’étais. Elle a grandi, Asteria, elle est en cinquième année, maintenant.
-Qu’importe, puisque si seulement je songeais à ne serait-ce que l’effleurer, Daphnée se ferait une joie de m’arracher les yeux, et pas que, si tu vois ce que je veux dire. Et ça m’étonne que tu n’aies pas parlé de Millicent.
-Millicent est hors-course également. Objecta Blaise, qui avait passé ses bras derrière sa tête. Je te parlais des filles qui sont regardables, pas des boudins.
Ce fut à mon tour de trouver Blaise assez dur envers la pauvre Millicent. Certes, elle n’était pas jolie, cela relevait de l’évidence même, mais de là à la qualifiiez de boudin…Je pensais en toute honnêteté qu’il y avait bien pire. Comme par exemple, cette Eloïse Midgen qui avait des boutons partout. Marietta Edgecombe était à mettre dans le même panier, sauf qu’elle avait des pustules. Après…je ne voyais pas qui pouvait être qualifiée de moche. Les autres étaient somme toute banales, trop banales pour qu’on puisse seulement songer à les regarder. Il n’y avait rien qui leur permettait de se détacher du lot, ou qui soit susceptible d’attirer l’attention.
-Qu’est-ce que t’appelles regardable? Demandai-je finalement, en me couchant sur le côté, appuyé sur mon coude. Tu n’es pas sans savoir que la beauté est quelque chose de purement subjectif, alors dis-moi quels critères retiennent ton attention pour qualifier quelqu’un de beau?
-Tu veux vraiment te lancer dans un débat sur la beauté? S’enquit Blaise, incrédule, alors qu’il se tournait à son tour vers moi.
-Et pourquoi pas? Objectai-je en haussant les épaules. C’est intéressant de connaître les points de vue des uns et des autres, n’est-ce pas?
-Certes. Éluda Blaise, en levant les yeux au ciel.
À présent, j’étais pleinement attentif. Je voulais savoir ce que Blaise avait à dire sur le sujet. La beauté était, comme je l’avais souligné, purement subjective. Pour certains, une fille paraîtra belle alors que d’autres ne la verront que banale. Une fille était objectivement belle quand tout le monde pensait qu’elle était belle. Les exceptions, ceux qui au contraire la trouveront fade et inintéressante, se feront regarder de travers. Autrement dit, la beauté était une notion qui rassemblait les moutons, le reflet de la pensée collective. Une fille n’était belle que parce que les autres ne le pensaient. Elles n’existaient qu’au travers du regard des autres, et y prêtaient trop d’attention pour que cela puisse être parfaitement sain.
-Alors? Insistai-je, tandis que je trépignais d’impatience.
-Ben…si je pouvais trouver une fille belle, crois-moi, j’en aurais une, voire plusieurs à mon bras, mais au lieu de ça, tu vois…
J’acquiesçai vivement, tout en rosissant légèrement. Il n’était pas nécessaire de revenir sur l’homosexualité de Blaise, c’était même un fait de notoriété publique. Blaise, lui, ne s’en cachait pas, même si la plupart des garçons de Serpentard le regardaient de travers. Parmi les hautes sphères de la société sorcière, l’homosexualité était encore un tabou qui n’était pas près d’être brisé. Qui plus est, Mrs Zabini avait forgé la réputation de la famille avec ses innombrables maris, aussi il serait très mal vu qu’un Zabini soit attiré par une personne du même sexe. C’était dans ces moments là que Blaise détestait sa mère, tout du moins, je le supposais. Elle ne lui avait pas vraiment le choix en lui montrant cet exemple.
-Alors dis-moi ce que tu aimes chez un beau mec. Insistai-je en montant le ton. Qu’est-ce qui te permet de dire qu’un mec est beau?
-ça dépend. Répondit Blaise, faisant écho à ma réponse de tout à l’heure, ce qui me fit grogner plus fort sous l’effet de la frustration. Je pourrais être subjugué par un regard, ou captivé par un sourire. Brûler de désir pour un corps sec et musclé.
-Si j’ai bien compris, pour toi, la beauté, c’est purement physique? Interrogeai-je, sourcils froncés. Et tu en fais quoi, de la beauté intérieure? Moi, je pourrais m’attacher à une fille qui n’est pas forcément belle, mais qui a de l’esprit, et une personnalité intéressante. Je m’attache plus à la fusion de deux âmes qu’à la fusion de deux corps.
-C’est triste à dire, Théodore, mais les gens jugent par rapport à l’aspect, avant de s’intéresser vraiment à ce qu’il y a à l’intérieur. Prends donc un livre. Moche, rapiécé, aux pages moisies, et qui pue de surcroît. Tu le lirais, toi?
-Et pourquoi pas? Je répondis, sur la défensive. Tu sais bien que je ne rechigne jamais à lire un livre, quel qu’il soit. Peu importe que ce livre soit gros, qu’il ait l’air chiant, ou qu’il soit en piteux état, je vais le lire parce que j’ai envie de le connaître. Je ne jetterai ce livre que quand j’en aurai lu le contenu, après avoir décrété qu’il n’est pas intéressant. Pour autant, je suis d’accord, il y en a que c’est marqué sur leur front, qu’ils sont inintéressants.
-Tu vois, tu ne peux pas t’empêcher de juger par rapport à l’aspect physique, tu as été conditionné pour, comme tout le monde. Surtout dans notre monde, Théodore, on est plus que jamais sous le joug de l’apparence physique, tout repose sur le paraître. Continue d’interroger les autres autour de toi, ils te diront que c’est important, tu sais…pour la vie en société.
-Moi, repris-je aussitôt, je pense que la beauté n’est qu’une question de témoignages. Et ces témoignages prouvent qu’on se comporte tous comme des moutons.
Blaise se redressa, légèrement intéressé. J’étais fin prêt à exposer ma théorie, selon laquelle la beauté était une notion communément admise, plus que jamais subjective. Il y en aura toujours , et heureusement, pour contester, pour ne pas se ranger. Pour penser différemment, tout simplement.
-Que veux-tu dire? Interrogea Blaise, en soutenant mon regard brûlant d’intelligence.
-Je veux dire…Regarde une coutume, par exemple. Une coutume n’a pas été écrite quelque part, encore moins gravée dans le marbre. Et pourtant, tout le monde la respecte. Pourquoi? On la respecte parce qu’il a été communément admis que c’était comme ça qu’il fallait agir. Il n’y a pas eu besoin de se concerter. Une poignée de personnes a commencé à agir de la sorte, et le reste a suivi, tout simplement. Puis, l’usage s’est perpétré à travers les époques, et jamais personne n’a songé à contester. Celui qui contrevenait à une coutume était regardé de travers, parce que pas normal. Tu saisis?
-Je pense saisir. Mais quel est le rapport avec la beauté?
-Le rapport, c’est que même la beauté, qui est à la base purement subjective, a été formaté. C’est-ce qu’on appelle les canons de la beauté. À notre époque, c’est plutôt un corps svelte et mince, une jolie poitrine, de belles fesses, de beaux cheveux lisses, une peau sans défauts. Pour répondre à ta question de départ, Daphnée, Tracey et Pansy sont considérées comme belles, parce qu’elles présentent plusieurs de ces caractéristiques. Pour autant, d’autres hommes les trouveront fades et inintéressantes, parce qu’ils préféreront soit une femme avec plus de formes, ou bien au contraire, qui n’a pas nécessairement une poitrine opulente. Tout ça, c’est subjectif. Ça dépend aussi des personnes que l’on rencontre. On peut très bien trouver une fille plutôt banale au premier regard, et lorsqu’on la regarde, voir plein d’éléments intéressants, qui nous font dire qu’elle est belle.
Je marquai une pause, le temps de reprendre mon souffle. À mesure que j’avais déblatéré ces derniers mots, je m’étais légèrement fait lointain. Il était vrai que pendant longtemps, j’avais désiré Daphnée, au point même de lui avoir cédé de bien trop nombreuses fois. Pourtant, j’avais dressé une liste de filles qui, à première vue, pouvait paraître banales, et dont la beauté se révélait peu à peu, à travers un sourire, ou une expression du visage. Je rougis légèrement en songeant que je détenais l’exemple même de ce que je venais de dire. Blaise ne manqua pas de remarquer mes joues rosées puisqu’il m’adressa un sourire moqueur.
-J’imagine que quand tu dis ça, tu as un exemple?
-Ouais. Répondis-je, évasivement. Granger.
-Quoi, Granger? Tu plaisantes, j’espère?
-Non, je ne déconne pas! M’écriai-je, agacé. Et ne va pas t’imaginer des choses, je n’ai pas un faible pour elle. Mais la prochaine fois, regarde la plus attentivement. Tu es bien d’accord avec le fait qu’elle n’est pas moche, mais pas spécialement jolie non plus. Elle est…banale. D’une banalité telle qu’elle se confond aisément dans la masse et on n’y prête plus attention, à force.
-Je suis d’accord. Admit Blaise à contrecoeur, mais…
-Laisse moi finir! M’écriai-je, en fusillant mon ami du regard. Ça crève les yeux que ce n’est pas une fille qui se met en valeur. Cernes sous les yeux, teint pâle, cheveux en bataille, elle est loin d’avoir une chevelure douce et soyeuse au toucher. Qui plus est, elle a toujours le dos voûté à cause de la dizaine de livres qu’elle se trimballe, et on dirait qu’elle a voulu prendre la taille au dessus pour son uniforme, juste pour dire que ça ne soit pas trop près du corps.
Je marquai une autre pause, tout en laissant le métis assimiler ce que j’étais en train de dire. J’avais volontairement pris l’exemple de la célèbre miss je-sais-tout de Poudlard, parce que c’était un cas que je connaissais assez bien, pour la fréquenter plus ou moins souvent. Aussi, j’avais pu remarquer qu’elle faisait partie de ces filles dont la beauté se révélait à mesure qu’on apprenait à les connaître. Elle faisait partie de ces filles qui, à mon sens, étaient belles. Elle était belle parce qu’elle rayonnait, parce qu’elle avait cet éclat particulier au fond du regard, et elle était mignonne lorsqu’elle rougissait sous l’effet de l’embarras. En ce moment précis, je me trouvais vraiment loin.
-Bref. Coupai-je, en revenant brusquement à la réalité. Ça, c’est comment on la voit dans la vie de tous les jours, et je suis d’accord, en apparence, elle n’est pas très avenante. Pourtant, rappelle-toi, au bal de noël, pendant notre quatrième année. On avait tous bavé sur la championne de Beauxbâtons, et chacun d’entre nous a rêvé en secret qu’elle nous invite, ou au moins, qu’elle accepte notre invitation. Pour autant, ils l’ont tous oubliée lorsqu’ils ont vu Hermione débarquer au bras de Viktor Krum. Personne n’avait l’habitude de la voir ainsi, et tout le monde a pensé qu’il s’agissait d’une inconnue. Certaines rumeurs ont même prétendu qu’il s’agissait de sa petite-amie tout droit venue de Bulgarie, exprès pour l’occasion. Et non, ce n’était que la petite miss-je-sais-tout insupportable de Gryffondor.
Blaise acquiesça docilement, alors que je m’étais replongé dans mes souvenirs. Je me souvenais exactement de l’allure qu’elle avait dans sa jolie robe bleue, qui avait été choisie avec beaucoup de goût. Même Malefoy n’avait rien trouvé à redire, ce qui avait été étonnant, d’ailleurs. Je me souvenais aussi de l’étonnement qu’avait suscité l’entrée du couple anglo-bulgare lors de l’ouverture du bal. L’étonnement avait été mitigé à la jalousie malsaine et mesquine du fan-club de Krum.
-Tout ça pour dire que je trouve ça dommage de s’arrêter à une simple apparence physique, alors que certaines personnes ont bien plus à offrir qu’il n’y paraît. Finis-je par conclure, non sans assortir mes dires d’un sourire teinté de suffisance. C’est bête de renoncer à certains trésors pour une bête question de préjugés. La beauté ne s’arrête pas simplement à l’apparence physique. Il y a deux catégories de filles considérées comme belles. Il y a celles que l’on peut avoir pour une nuit, et pas davantage. Et il y a celles pour qui on peut nourrir des sentiments plus forts que le désir, qu’on peut même oser aimer, parce que c’est ce qu’elles méritent.
-Et toi, tu classerais qui dans ces catégories?
-Pansy et Daphnée sont des filles que l’on voudrait pour une nuit, voire même plusieurs, mais elles ne peuvent rien espérer de plus de ma part.
-Et pour celles que tu pourrais aimer, alors?
-ça, c’est mon secret. Répondis-je, non sans adresser à mon ami un sourire amusé, tandis que Blaise se renfrognait, frustré par sa question qui demeurera sans réponse.