Harry Potter - 2.41 Au café des narcissiques

May 15, 2012 19:23

Titre: Escapade sous anonymat. 
Thème: n°41, Au café des narcissiques (liste 2)
Personnage: Théodore Nott
Rating: M (présence résiduelle de drogues, langage parfois grossier, pensées chaotiques et confuses)



Je sentis le vent glacial me meurtrir l’échine tandis que je resserrais les pans de ma veste autour de moi. Je notais avec une certaine ironie que nous étions tout de même en plein mois de juillet, alors que la météo évoquait plutôt Novembre. J’ignorais moi-même s’il faisait réellement froid, ou si c’était en mon for intérieur que ce blizzard faisait rage. Dans ma poche était roulée en boule une page de journal arrachée à l’édition de lundi dernier. Pour tous ces gens, il s’agissait d’un jour comme un autre, mais en ce qui me concernait, il en allait évidemment autrement, je ne faisais jamais rien comme tout le monde.

J’avais fourré mes mains dans mes poches, et j’avançais en serrant les dents. À chacun de mes mouvements, la boulette de papier froissé effleurait mes phalanges et c’était comme autant d’écorchures aux doigts. Il aurait été tellement facile de la jeter dans la première poubelle venue, mais je n’en avais pas le courage, en disposer signifierait renoncer explicitement au dernier lien qui me rattachait à lui. Il ne s’agissait que d’une Une de journal, mais pourtant elle signifiait tellement à mes yeux, tant et si bien que je l’avais érigée au rang de talisman, j’avais l’impression que si je venais à m’en séparer, il arriverait une catastrophe. Mais rien ne pouvait être pire que ce que les eaux troubles où je m’aventurais en ce moment, n’est-ce pas?

Un motard démarra en trombe à côté de moi, me faisant sursauter. Une volée de pigeons passa au dessus de ma tête, et l’odeur de la friture me prenait aux tripes. J’ignorais si le tiraillement au creux de mon estomac était de la faim ou du dégoût, peut-être un savant mélange des deux, allez savoir. Un peu plus loin, il y avait un type qui vendait des chouchous entreposés dans des emballages en plastique fermés d’un ravissant ruban doré. Les chouchous ne me faisaient pas envie pour autant. J’avais mal au cœur. Je sentais cette nausée familière monter en moi crescendo, par vagues successives. J’avais le mal de vivre, il ne devait pas y avoir d’autres explications. Le décor tanguait autour de moi, tandis que mon regard d’un bleu profond se troublait. Vingt-cinq juillet dix-neuf cent quatre vingt dix-sept. Une date qui restera dans ma mémoire. Quoique…Le temps faisait parfois bien son œuvre, et l’oubli venait parfois engourdir les souvenirs, alors, je me demandais si je ne ferais pas mieux de la graver dans ma peau.

Un nouveau haut le cœur me fit tanguer plus fort, comme si j’étais le passager clandestin d’un bateau ivre. Mon cœur cognait contre ma cage thoracique, et menaçait, tel un diable à ressort de surgir de sa boîte. J’avais mal au cœur. Ces quelques mots rebondissaient dans ma tête, douloureuse litanie. Plus je me répétais cette phrase et plus j’avais envie de gerber. D’habitude, l’auto-persuasion ne fonctionnait pas aussi bien. Alors, sans tergiverser davantage, je m’étais penché par-dessus la balustrade, pour dégobiller tripes et boyaux dans la Tamise. Je sentis le goût âcre et dégueulasse de la bile m’inonder la bouche. Mes mains tremblantes fouillèrent dans mes poches, pour en extirper une petite boîte en carton écrasée, tant et si bien que ce qui s’y trouvait n’avait réellement aucune chance de survie…Fort heureusement, l’une des précieuses dames blanches était restée intacte.

Cigarette plantée entre les lèvres, il s’agissait à présent de partir à la recherche de mon briquet. Le briquet…encore une bricole indispensable à ma survie en plein Londres moldu. Je me voyais mal sortir ma baguette en pleine rue pour allumer ma clope, aussi tentante fût l’idée. J’inspirai deux longues bouffées, sentant avec un plaisir presque malsain la fumée âcre me rouler au fond de la gorge. La troisième bouffée passa très mal, je m’estoquai tout simplement avec. Après de longues secondes passées à tousser et à crachoter, je parvins à en tirer une taffe. Vite! Il fallait faire partir ce goût dégueulasse que j’avais sur les lèvres, et qui me tournait le cœur. J’inspirai profondément, tentant de réprimer un énième haut-le-cœur. Je me présente, Théodore Nott, dix-sept ans à peine, raclure notoire.

Je faisais peine à voir. J’avais les yeux trop rouges de les avoir frottés. Pour quelqu’un d’extérieur, c’était à se demander si je n’avais pas été croisé avec un lapin albinos. J’avais l’air d’un putain de cadavre, qui empestait la clope et l’alcool. J’avais parfois le regard voilé lorsque je planais à des kilomètres, sous le coup d’une quelconque substance illicite. Je n’étais guère difficile, tout me convenait lorsqu’il s’agissait de me faire sauter les neurones. À la réflexion, un revolver aurait été plus efficace. Bang, et c’est le caisson qui saute tout entier. Les autres n’avaient plus qu’à se démerder pour nettoyer le sang sur les murs et les bouts de cervelle qui avaient été éparpillés un peu partout. Au sol, un cadavre dont le visage a été emporté gisait dans son sang. Eh ouais, mec, bienvenue dans l’au-delà. Mais espérer une after life n’impliquait-il pas d’avoir vécu avant? Je n’en savais rien. Je n’avais jamais su. N’empêche que j’avais des pensées…des pensées.

Et plus je tirais sur ma clope, plus je sentais la tête me tourner, telle une toupie infernale. Je me sentais vaciller parfois, et je n’attendais plus que le moment où ma tête heurtera le bitume. Le jour où je me serai éclaté la gueule dans le caniveau ce sera le début d’une lente agonie, fort douloureuse. Le début de la fin. Le monde tanguait autour de moi, mais peut-être était-ce le monde qui tournait trop fort. Dans les cortèges de mai 68 en France, on pouvait lire sur les panneaux brandis à bout de bras arrêtez le monde, je veux descendre. C’était probablement mon cas. Pour un peu, j’en aurais référé à ce dieu, là haut, pour qu’il appuie enfin sur ce fichu bouton stop. Mais je supposais que le jour où il enfoncerait ce foutu interrupteur, la fin du monde sera à nos portes, alors…je ne savais pas. Je ne savais plus rien, putain, et ça m’agaçait.

-Nott? Appela une voix sibylline, tout juste surgie de mon néant sans queue ni tête, un néant dans lequel j’avais envie de foutre un coup de pied pour qu’il se mette enfin à fonctionner correctement.

J’étais certain de connaître cette voix, je l’avais déjà entendue tant de fois, mais quant à dire à qui elle appartient, c’était un grand mystère. En fait, je ne m’attendais pas à ce que qui que ce soit me reconnaisse dans cet endroit qui grouillait de moldus. J’étais Théodore Nott, un sorcier, et je n’étais clairement pas de leur monde. Alors, pourquoi cette voix, putain, pourquoi cette voix? Voilà que je commençais à avoir des hallucinations, c’était le monde à l’envers….à moins que ce n’était que moi. Ça venait forcément de moi.

-Théodore, tu vas bien? Questionna cette même voix, alors qu’une main délicate se posait sur mon épaule.

Je m’étais ébroué à son contact, si peu habitué à ce que qui que ce soit me réconforte. Je n’en étais pas spécialement malheureux, en fait, je n’en avais strictement rien à faire. J’étais bien dans mon monde, à flotter parmi les étoiles, parfois aveuglé par ce kaléidoscope qui pétait les plombs. Je n’avais pas l’esprit très clair. J’étais malade comme un chien. Mais oui, ça allait très bien. Merveilleusement bien, même. Pour toute réponse, je me penchai par-dessus la barrière et vidai le contenu de mon estomac dans le fleuve qui coulait sous mes pieds. Je n’avais pas lâché ma clope. J’avais gardé les doigts serrés sur le filtre marron, et je m’étais légèrement brûlé.

Lorsque je me redressai, je tombai nez à nez avec une lutine malicieuse. Une lutine, pas vraiment. C’était une créature tout droit issue de mes songes dérangés, la personnification d’un fantasme inavoué. J’avais l’estomac barbouillé, et je ne saurais dire ce qui me donnait le vertige: la hauteur du pont, les yeux sombres de Granger, ou un savant mélange de tout ça à la fois. Regarde moi, Granger. Moque toi de moi. Vois la gueule de mort-vivant que je me traîne depuis des lustres, vois l’espèce de raclure que j’étais devenue. À quoi cela servait-il d’être un génie si je ne pouvais même pas acquérir un tant soit peu de gloire?

-Viens, on va marcher un peu. Déclara fermement Hermione en me prenant par le bras, pour mieux m’entraîner vers la foule compacte et dense, toujours pressée.

-Où ils vont tous, comme ça? M’enquis-je d’une voix rocailleuse, parti à la recherche d’une deuxième cigarette.

-ça dépend des gens. Éluda Hermione en souriant. Certains vont au travail, d’autres vont chercher leurs enfants à l’école, d’autres se contentent simplement de flâner jusqu’où leurs pas les mènent.

-Et toi, tu allais où? Questionnai-je, vraiment curieux de savoir ce qu’elle faisait dans le coin.

-Moi? Je faisais partie de la troisième catégorie. Je flânais au hasard, je laissais mes pas me guider. Je m’écoutais penser.

-Tu penses beaucoup, toi?

-Oh oui. Beaucoup, même. Ça se bouscule dans ma tête. Je dois parfois faire le tri, mais l’oubli s’en charge à ma place. C’est embêtant de perdre une idée qui, sur le coup, semblait vraiment importante.

Elle avait ponctué ses dires d’un petit rire, qui m’avait remué les tripes et qui avait diffusé une douce chaleur dans mon bas-ventre. Hermione Granger avait une voix claire et enfantine, qui résonnait comme mille clochettes. Elle avait un rire fascinant, mais cassé, comme si un peu de son innocence lui avait été volé. J’avais toujours eu du mal à cerner Hermione, elle semblait appartenir à deux mondes totalement différents, ou bien, à aucun d’entre eux. Hermione était comme moi, inclassable, mais elle avait su au moins conserver sa dignité.

-Tu oublies des choses, toi? Raillai-je, interdit, comme si c’était en soi une idée particulièrement absurde.

-Comme tout le monde, je pense. Éluda-t-elle en se mordillant la lèvre inférieure. Je ne suis pas une encyclopédie sur pattes tu sais, je suis simplement humaine. Et ça, les gens ont peut-être tendance à l’oublier.

Comme d’habitude depuis que l’on avait commencé à parler plus sérieusement, Granger venait de nulle part. Pouf, comme ça, aujourd’hui encore elle m’était tombée sur le coin de la gueule sans que j’y sois préparé outre mesure. Et une entrevue avec Hermione faisait mal, parce qu’elle avait le don pour claquer des vérités qui dérangent. Des vérités auxquelles je ne voulais pas être confronté, surtout si tôt.

-C’est ça que tu cherchais quand je suis arrivée? Pépia-t-elle en me tendant une cigarette alors qu’elle en fourrait une deuxième entre ses lèvres vermillon, se battant avec son briquet pour l’allumer.

-Depuis quand tu fumes? M’enquis-je, légèrement interloqué.

-Pourquoi cette question? me défia-t-elle du regard. Ce n’est pas assez Miss-je-sais-tout à ton goût?

-Entre autres. Éludais-je en haussant grossièrement les épaules, lassé.

J’étais lassé de tout, tout comme elle pouvait être lassée de cette réputation qui lui collait à la peau, comme un mauvais sort. En fait, Granger, c’était une fille parfaitement normale. Il était vrai qu’elle se tenait droite, lorsqu’elle ne portait plus ces dizaines de bouquins qui lui massacraient le dos. Elle était toute menue et toute fragile, du genre qu’on a envie de prendre dans ses bras pour la choyer et la protéger. Elle avait ce petit quelque chose en plus et que je n’arrivais pas à identifier, un petit plus qui la rendait très intrigante, terriblement attirante.

-Tu sais pourquoi j’aime cet endroit? Interrogea-t-elle de but en blanc, en me regardant droit dans les yeux.

-Honnêtement, je ne vois pas ce que tu lui trouves.

-C’est parce que tu ne vois pas plus loin que ton nombril. Rétorqua-t-elle du tac au tac.

Première gifle mentale. C’était à croire que j’aimais bien me faire frapper, pour m’obstiner autant à traîner avec elle. Elle venait clairement d’insinuer que j’étais narcissique, et que je passais mon temps à me regarder le nombril. Ce n’était pas faux. Mais pas tout à fait vrai non plus. J’étais plutôt hors du temps, dans mon monde, à voguer d’un état à un autre. Le cerveau bousillé par toutes ces saloperies que je m’injectais dans les veines pour m’affranchir de cette putain de réalité.

-Tu n’as toujours pas répondu à ma question. Fit-elle remarquer, en haussant un sourcil outrageusement perplexe.

-Pas avant que tu me dises où tu m’emmènes. Contrai-je, tentant vainement de négocier mon salut.

Je n’osai pas faire remarquer qu’elle m’avait posé une question rhétorique, qui n’appelait pas franchement une réponse. À moins que j’étais supposé lui répondre un simple non. Non, non, non. La négation dans toute sa splendeur. Un non comme pour mettre une veste à quelqu’un, un non pour se montrer insolent, un non pour simplement contester. Un non pour dire je ne sais pas. Un non pour dire va te faire foutre, je n’ai pas envie de causer. Un non en bonne et due forme, et non pas une minable syllabe écrasée, un borborygme étouffée entre les cordes vocales.

-On va se regarder le nombril au fond d’un verre. Glissa-t-elle, malicieusement. Une séance de psychanalyse, ça te dit?

-Tu as vraiment des goûts bizarres. Grognai-je, en tentant de m’adapter à son rythme de marche. Les gens normaux appellent ça aller boire un verre.

-Voire même plusieurs. rectifia Hermione en m’adressant un clin d’œil. Tu finiras par parler, mon cher Théodore.

-Et si je n’ai pas envie? La défiai-je, puérilement.

-Tu auras loupé une occasion.

En fait, lorsqu’elle n’était pas complètement névrosée à cause de ses cours, Hermione était plutôt sympathique. Elle était même…cool. Je comprenais mieux pourquoi les autres allaient toujours la voir lorsqu’ils ressentaient le besoin de se confier. Hermione était une personne de confiance qui ne répétait pas ce qu’on lui disait. Hermione n’était pas seulement une bonne amie, elle était objectivement parfaite. Elle savait rire et se remettre au travail quand il le fallait. Et contrairement à ce qu’on pouvait penser, elle s’habillait très bien. C’était certes simple, mais ça lui allait à ravir. Aujourd’hui, par exemple, elle portait un jean taille basse d’un bleu sombre, des jolies ballerines argentées, et un top d’un rose très pastel, mettant son décolleté joliment en valeur. Elle avait rassemblé ses boucles indisciplinées en un chignon qu’elle faisait tenir à l’aide d’un crayon à papier.

-Alors, ma question? Insista-t-elle en glissant sa main dans la mienne, son menton se posant sur mon épaule.

-Quelle question? M’enquis-je, en me sentant soudainement idiot.

-Je t’ai demandé pourquoi, selon toi, j’aime autant cet endroit.

-Je ne sais pas. Répondis-je en haussant à mon tour un sourcil perplexe.

-Tu as laissé sous-entendre tout à l’heure que fumer ne correspondait pas à l’image que tu te faisais de Miss-je-sais-tout. Exposa-t-elle, en guettant ma réaction. J’aime tellement cet endroit, parce qu’ici, personne ne sait qui je suis. Personne ne me connaît, personne n’a entendu parler de mes exploits, personne ne veut ma peau. Ici, je peux être qui je veux, sans avoir de comptes à rendre à personne. On ne me regardera pas de travers parce que je fais quelque chose d’inhabituel.

Je méditais un instant sur ses paroles, pour mieux m’imprégner de leur sens. Dans le monde sorcier, elle avait parfaitement sa place. Elle était même reconnue comme étant l’amie d’Harry Potter, l’élève la plus brillante de sa génération. Ici, elle était une adolescente parmi tant d’autres. Un œil étranger à la scène verrait un couple qui se tenait par la main, se promenant tranquillement dans les rues de Londres. Elle comme moi étions malades de vivre, d’une certaine manière. Elle, écrasée par le poids de son identité, et moi…par ma non-identité, je supposais. Hermione ne mesurait pas la chance qu’elle avait d’être quelqu’un. Moi je n’étais personne. J’étais né parmi les ombres et il y avait de fortes chances pour que je crève dans l’anonymat, sauf s’il m’arrivait un truc fabuleux entre temps. Mais dans la vraie vie, généralement, il arrivait rarement des trucs fabuleux. J’étais persuadé que si certains devaient vivre un destin extraordinaire, ça devait déjà être écrit.

Mais qu’étais-je supposé répondre, à cela, mis à part que j’étais d’accord? Je n’avais rien à répondre, rien du tout. Et à mon grand soulagement, Hermione ne chercha pas à m’extorquer un quelconque réponse. Elle respectait mon silence, pas comme d’autres qui tenaient tant à me tirer les vers du nez. À force de parler avec Hermione, j’avais remarqué que mon malaise s’était dissipé. Je me sentais mieux. En fin de compte, c’était peut-être ma solitude qui commençait à me bouffer de l’intérieur. Si j’avais été resté cloîtré dans mon manoir, sans doute aurais-je viré dingo. Je notai mentalement de remercier Blaise de m’avoir foutu des coups de pied au cul pour que je sorte.

-Et toi? Interrogea-t-elle, véritablement intéressée par ce que j’avais à dire. Que ferais-tu si tu cessais d’être Théodore Nott?

-Je ne sais pas. Avouai-je, piteusement. Je…Je n’ai vraiment pas eu l’occasion de réfléchir à la question.

-Et pourquoi donc? Poursuivit-elle, mutine, en jetant son mégot de cigarette au sol non sans l’écraser d’un coup de talon.

Elle se baissa pour récupérer l’objet litigieux, pour le glisser au fond de sa poche, attendant probablement la première poubelle venue pour s’en débarrasser. Je reconnaissais bien Hermione dans ce geste. La Gryffondor, toujours respectueuse des règlements (sauf lorsqu’il s’agissait de prêter main forte à ses deux amis, dès lors, l’amitié et la loyauté primaient sur la discipline) avait probablement quelques côtés écolos.

-Probablement parce que je n’ai jamais voulu me faire miroiter trop d’espoirs, surtout si je savais à l’avance que je n’allais jamais pouvoir les réaliser. Ça m’aurait fait mal.

-Qui te dit que tu n’allais pas pouvoir réaliser tes rêves et tes ambitions? Argua-t-elle, en serrant ma main plus fort. Tu as une boule de cristal, peut-être?

-Non, j’avais juste des parents castrateurs. Répondis-je, non sans amertume.

-Je vois. Éluda-t-elle, dans le vague, tout en nous faisant bifurquer dans une ruelle plus ou moins sombre. Tadaaam! Nous y voilà!

J’allongeai le cou pour tenter de voir ce dont il s’agissait. Nous étions arrivés à la devanture d’un bar apparemment miteux, du même acabit que le Chaudron Baveur, ou que la tête de Sanglier, si on tablait plutôt sur le glauque et le malsain. L’enseigne au néon d’un rose criard indiquait le café des narcissiques. Avant qu’Hermione m’amène à cet endroit, j’ignorais tout bonnement qu’il existait. Tout à coup, je compris le sens de ses paroles de tout à l’heure, que j’avais nonchalamment rectifiées par un cinglant les gens normaux appellent ça aller boire un verre. Hermione venait de l’inviter à se contempler le nombril au fond d’un verre. Autrement dit, aller boire un verre au café des narcissiques. À présent que je le savais, cela tombait presque sous le sens.

-Bienvenue au café des narcissiques! Glissa-t-elle en ouvrant la porte du petit pub. Au vu de ton regard, tu as sans doute compris ce à quoi je faisais référence tout à l’heure.

-C’est un nom curieux pour un pub londonien. Ironisai-je avec toute la mauvaise foi dont j’étais capable.

-ça se prononce à la française. Confia-t-elle en prenant place au fond du bar, dans un endroit dissimulé à l’abri des regards.

-Il n’y a qu’en France qu’on dit café . soulignai-je, alors qu’Hermione m’adressait un sourire approbateur.

-C’est un café à la française. Expliqua Hermione en détaillant le menu. Ils servent des croissants au petit-déjeuner et ils offrent des macarons avec toute commande de boisson chaude à l’heure du goûter…J’adore ceux à la pistache.

-Je suis allergique à la pistache. Grognai-je, non sans laisser échapper un soupir.

-Il y a d’autres parfums. Me garantit Hermione avec enthousiasme. Vanille, fraise, chocolat, voire même café. Il y en a presque pour tous les goûts, c’est mon péché mignon.

-Moi qui croyais que ton péché mignon étaient les livres. M’esclaffai-je, légèrement moqueur, alors qu’Hermione me tirait la langue.

-Tu oublies qu’ici, je ne suis pas Miss-je-sais-tout. Contra-t-elle en me donnant une tape amicale sur l’avant-bras. Regarde tous ces gens. Ils ne savent pas qui nous sommes, Théodore. Le Londres moldu est parfait pour garantir un tant soit peu d’anonymat. J’attends chaque été avec impatience pour retourner à une vie normale, sans Voldemort, sans secrets, sans dangers à affronter. Une vie d’adolescente normale, qui passe ses après-midis à bronzer dans son jardin, ou à lire un bouquin avec un casque sur les oreilles.

-Et tu te vois quitter le monde magique, toi, après Poudlard? Demandai-je, légèrement crispé.

-Non, je ne pense pas .répondit-elle, songeuse. Je n’aurais de toute manière pas les diplômes nécessaires pour pouvoir exercer un métier moldu. Dans mon monde parfait, le sceau du secret serait levé, nous autres, sorciers, nous ne serions plus obligés de vivre dans l’ombre.

-C’est une utopie. Fis-je remarquer, en mordant prudemment dans un macaron rose.

-Rien n’interdit d’y rêver, n’est-ce pas?

-Certes.

Un ange passa. Hermione me regardait en dessous de ses cils bruns. Même au naturel, cette fille était merveilleuse. Elle avait une peau de pêche et un regard malicieux, d’une délicate couleur noisette. Elle avait une petite bouche en bouton de rose, et un petit nez en trompette. Elle n’avait pas besoin de maquillage pour ressembler à quelque chose. Elle rayonnait, même si son regard semblait avoir perdu sa candeur.

-Mon père est mort. Lâchai-je finalement, dans un souffle. La semaine dernière. Il a été retrouvé assassiné.

Je n’avais pas osé dire que je l’avais retrouvé assassiné…Car là était toute la nuance. Une chape de plomb s’abattit sur la table où nous nous trouvions, elle et moi. Je me mordillai la lèvre inférieure, avant de me passer une main nerveuse dans les cheveux. Je partis dans la contemplation de mes mitaines noires, avant de me ronger l’ongle du petit doigt.

-Si je suis si triste, c’est parce que j’ai compris qu’à présent, je suis tout seul. J’ai un grand manoir dont je ne sais pas quoi faire, si tant est qu’il ne soit pas mis en hypothèque en raison des trop nombreuses dettes dont mon père était débiteur, et je n’ai pas d’avenir. C’est triste à dire, mais il n’y a que la dope qui me permette de garder la tête hors de l’eau.

-Tu n’as pas le droit de baisser les bras! S’exclama-t-elle avec fougue. Ta vie a forcément un sens, seulement, tu ne l’as pas encore trouvé. Tout n’arrive pas tout de suite, il faut parfois laisser du temps au temps.

Elle attrapa une poignée de sable dans la décoration qu’il y avait sur la table, et elle le fit couler entre ses doigts, droit dans le bac en plexiglas. Elle était mystique en cet instant, de la même envergure que les vestales des temps anciens, ou autres pythies.

-c’est ça le temps qui passe, Théodore. Le temps est là, il te file entre les doigts. On a peur du temps qui passe parce qu’on est mortels. On a tous peur de ne pas avoir le temps. Mais le temps, c’est comme une poignée de sable. Il te filera automatiquement entre les doigts, mais tu peux toujours en retenir le plus possible. Reste à savoir ce que toi, tu veux faire. Tu n’as pas le droit de t’arrêter de vivre, comme ça, après t’être pris un mauvais coup. Un jour, quelqu’un a dit que l’échec, ce n’est pas de tomber, mais de rester là où on est tombés.

-Je suis désolé de te décevoir, Granger, tranchai-je, froid et cruel, mais la vie n’est qu’une succession d’échecs en tous genres. Damoclès, la menace, plane au dessus de nos têtes, et elle n’attend que son tour pour pouvoir s’abattre sur nos têtes, d’un seul geste, d’un seul. Elle vient nous occire avec une précision presque obscène, nous ne sommes que des humains que n’importe quoi peut écrabouiller. Ce n’est pas demain que je retrouverai foi dans l’humanité.

-Tu n’as rien compris.

-Toi non plus.

Ce soir, nous en étions restés là. L’épisode du café des narcissiques avait été un véritable fiasco. J’avais réussi à oublier mon malaise, pour un temps, mais il m’était revenu en pleine tête, comme un boomerang. Nous étions deux imbéciles qui se prenaient pour des philosophes. Deux jeunes cons narcissiques qui prétendaient tout connaître de la vie, et qui n’y connaissaient tout simplement rien. Je n’ai pas revu Granger par la suite, elle s’était envolée dans le smog londonien, aussi vite qu’elle m’était apparue alors que tout tanguait autour de moi, tant et si bien qu’à force, j’avais fini par croire que j’en avais tout simplement rêvé.

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