Thème : 08 - L'aveugle qui mène l'aveugle
Série : Harry Potter
Personnage : Vincent Crabbe, Gregory Goyle et Drago Malefoy.
Rating : PG-13
Drago n’a pas dit grand-chose, ce jour-là. Il les a fait s’asseoir d’abord. Dans le jardin, et quand Vincent a parlé des oiseaux qui lui donnent mal à la tête et de l’odeur nauséeuse des fleurs, il a reçu un regard si froid qu’il a fini par murmurer que c’était une bonne idée, là-bas. Alors très lentement, Drago a relevé sa manche.
« Voilà. »
Et c’est bien le mot, pense-t-il. C’est du noir qu’il leur offre. Tellement brut qu’ils restent là, les deux, un peu mal à l’aise sur leur chaise et au même temps, ils n’ont jamais rien vu de plus fascinant.
L’été dehors, on dirait qu’il n’en finit pas. La mère de Gregory leur a servi trois limonades avec tellement de glaçons qu’ils ont tous l’impression d’avaler des lames.
Au final, cette fois, la métaphore ne ment pas.
« Le Seigneur est prêt à vous prendre. »
Mais quand Drago l’a déclaré, on aurait dit que quelqu’un lui plantait un pistolet. Il fait tourner les glaçons entre ses doigts, longtemps, longtemps ; ils en sont ressortis rougeoyants.
« Vous m’aiderez. Dans Poudlard et… dans le reste. »
Il ne les regarde pas tellement.
Vincent tente une gorgée mais elle reste bloquée. Il remue le liquide dans sa bouche, devant, derrière, entre ses dents, jusqu’à la sentir tiède sur sa langue. Alors lentement, il se penche en avant et recrache tout dans l’herbe.
« C’est quoi, le reste ? » demande Gregory.
Il se reçoit un ricanement affreux en plein visage.
« A ton avis ? La pêche pendant les vacances ? Un peu de vin gratuit qu’on partagera autours d’un bon feu de bois ? Oh, et puis quelques cartes de vœux pour la nouvelle année, aussi. »
Mais comme on ne répond rien, Drago rajoute :
« Le Seigneur veut se débarrasser des moldus, des Sang-de-Bourge et de tout ce qui y ressemble. C’est ça le reste. »
Et puis :
« Merde, tu as raison, ces putains d’oiseaux vont me rendre fou.
- Il les tuera peut-être si on lui demande gentiment, grince Vincent.
- Ce que tu peux être con. »
Il a envie de répondre : Non, Malefoy, c’est toi qui joue au con aujourd’hui. Que tu sauves tes parents, on l’a bien compris, mais le reste ? Eh, le reste, tu l’as choisi comme un grand.
Sa grosse main tremble. Il la cache sous la table et il fronce les sourcils.
Sans le vouloir, Vincent fait tomber un glaçon.
Entre ces trois-là, il y a une drôle d’attente qui s’installe alors. Si lourde qu’ils la tournent dans leur tête en tentant une formule discrète. En vérité, c’est un petit nom qui leur traverse les côtes, et ils se regardent, et ils relèvent la tête, mais quelque part dans ce jardin, c’est comme si quelqu’un criait Tracey Davis à s’en arracher la voix.
Bien sûr, ce n’est pas qu’ils tiennent à elle. C’est juste que quand on a passé six ans avec quelqu’un, on se sent un peu étrange avec l’idée de le faire disparaître. Bien sûr, ce n’est pas qu’ils s’attachent à la saleté. C’est juste qu’à force de la côtoyer, on finit par oublier qu’il faut la nettoyer.
Finalement, Drago se lève.
Il est un peu plus pâle, sa manche retombe.
Quand ils étaient petits, c’était pareil. L’été, on les posait dans ce jardin, on leur servait une boisson glacée, parfois de la limonade parfois du thé, et puis plus rien. Ils restaient les trois. Ils se connaissent depuis toujours, mais à cette époque encore, Drago grandissait en les voyant. Il devenait si puissant, un parfait petit prince, et eux, ils attendaient qu’il parle. Ses ordres secs, son assurance, c’était rassurant. Ils savaient toujours exactement ce qu’il fallait faire, pourquoi, comment, quand ; et on ne posait pas de question. Parfois, il leur bandait les yeux et il courait en hurlant que jamais ils ne l’attraperaient. Ils glissaient dans l’herbe, ils se cognaient aux pierres. D’autres fois, quand on ne les observait pas, ils allaient jusqu’à la rivière en bas.
Drago était toujours devant. Il cassait des branches qu’il leur tendait et déclarait : maintenant, battez-vous en duel ; puis il les observait, avec cet air si fier.
Mais quand il tombait le nez dans l’eau, quand sa robe se tachait de boue, que ses cheveux se mouillaient, que sa main saignait - oui, toutes ces fois où il se perdait, où sa faiblesse explosait - son visage devenait si pâle que c’était de justesse qu’il ne s’évanouissait.
Alors Vincent demande :
« Et si on n’y arrive pas, le Seigneur nous tuera ? »
Mais Drago fait comme si de rien.
« Je reviendrai demain. Pour votre réponse. », lance-t-il.
A la porte, Mrs Goyle est tout en sourires.
Les deux retournent au jardin. Vincent ramène du tabac, du papier et un filtre qu’il dispose sur la table, et il assemble le tout comme si c’était soudain la seule chose qui comptait au monde.
La fumée console la terre. Elle la parfume un peu, colore le ciel et puis surtout elle éloigne les bestioles. C’est important, par ces temps. Les insectes. Les papillons. Toutes ces jolies choses affreuses qui trainent leurs belles couleurs dans l’herbe et qui crèvent sans rien demander, sans même avoir eu le temps de s’affoler.
« On va le suivre, hein ? »
Vincent hausse les épaules. Il roule sa cigarette entre ses doigts et puis il s’arrête. Pendant quelques secondes, il ne dit plus rien, on dirait qu’il cherche dans le tabac une vraie réponse, une de celle qu’on ne contredit pas.
« Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse d’autre ? »
Gregory aussi se tait. Il croise les bras.
« Je ne sais pas. »