Titre: Tarte à l’abricot.
Auteur:
Plume_de_plomb
Raiting: G
Thème: 14 août, fantastique
Disclaimer: à moi
NdA: Ca fait pas mal de temps que je l'ai écrit ce court texte... j'avais envie d'essayer ce genre...
participation en fin de mois: non
L’après midi touche à sa fin. Je me trouve dans une pâtisserie, attendant mon tour. Cela fait longtemps que je ne suis plus rentré dans un tel magasin. J’ai beaucoup trop peur de mes souvenirs. Pourtant, je suis bien là, à la demande de la concierge de mon immeuble. La pauvre vieille femme n’avait pas la force de sortir par ce temps. Tandis que les autres clients passent commande, je regarde par la fenêtre de la vitrine. Dehors, le temps est sombre et il fait froid. Je remonte un peu plus le col de mon gros manteau et frissonne. La pluie a pris possession du ciel depuis une semaine. Le soleil n’est pas prêt de reprendre le contrôle de son empire. C’est ça, l’automne, en Belgique, humide et désagréable. Pourtant, alors que nous n’avions que cinq ans, dans notre petite maison au fin fond des Ardennes, nous aimions nous vautrer dans les feuilles colorées que les arbres abandonnaient. Nous ne comprenions pas pourquoi ils laissaient tomber de si jolies couleurs alors qu’elles embellissaient leurs branchages. Grand-mère nous expliquait que les platanes nous les offraient, comme cadeau, pour récompenser nos beaux sourires, que les saules pleureurs pleuraient la fin de l’été et laissaient leur feuillage s’envoler, pour un dernier ballet accompagné par la musique du vent ou encore que les arbres fruitiers souhaitaient former un tapis recouvrant leurs racines, afin qu’elles les réchauffent lors des grands froids de l’hiver.
Voilà que je me remets à penser à grand-mère. Je m’en doutais, je n’aurai pas du entrer dans cette pâtisserie. L’odeur de la pâte feuilletée, la vue de ces douceurs qu’elle nous préparait avec amour et habileté, ces fleurs que nous lui cueillions, pour la remercier de ses attentions. Grand-mère, notre grand-mère ! Je n’ai jamais voulu m’en souvenir, sa perte m’ayant beaucoup trop affecté. Pourtant, cette bonne odeur de tarte à l’abricot qui chatouille mes narines est un véritable enchantement, l’image de grand-mère me revient à l’esprit. Pas bien grande et légèrement ramassée, le poids des années pesant sur son dos, elle se déplaçait encore toute seule, sur ses deux jambes et ses mains ne tremblaient presque pas. Elle ne cessait de nous dire que l’air pur de la forêt près de laquelle elle avait toujours vécu lui rappelait sa jeunesse et l’empêchait de vieillir. Les rides qui parcouraient son visage la rendaient très belle, démontrant avec simplicité sa sagesse et son grand cœur. Elle avait de très longs cheveux gris qu’elle attachait toujours en chignon, lui offrant un air strict qui ne lui allait pas ! Ses yeux verts étaient toujours brillants et nous aimions les observer alors qu’elle nous racontait des histoires. Ses lèvres toutes gercées étaient toujours étalées en un sourire chaleureux. Ses mains rugueuse maniaient encore avec dextérité les aiguilles à tricot et chaque année, nous avions droit à une écharpe et un bonnet de couleur différente, exposant divers dessins tous plus impressionnants les uns que les autres. Malgré la magie de cette image qui me traverse l’esprit à cet instant, je la chasse.
Sylvie, ma grande sœur, me réprimande souvent. Elle m’affirme que me souvenir de grand-mère ne peut faire de mal à quiconque et que cela ne pourrait lui faire que du plaisir, là haut. Moi, je crois plutôt que plus je penserai à elle et moins elle restera avec moi, que plus je penserai à elle, plus son image s’usera et un jour où l’autre, s’effacera.
Je lance un regard à la file de clients devant moi, j’en ai encore pour un bon bout de temps. J’ai hâte de quitter cet endroit. J’ai peur de ne plus pouvoir maîtriser les souvenirs de grand-mère qui sont en moi ! Je ne veux pas y penser pour pouvoir les préserver. Maggy, la vieille concierge, m’a demandé de ramener une tarte à l’abricot, pour ses petits enfants qui lui rendront visite demain matin. Elle me parle souvent de ces petits garnements. Malgré qu’elle ne sache pas cuisiner à cause de ses mains qui tremblent beaucoup de trop, elle les aime, ses petits bouts de chou et elle les gâte avec plaisir !
Grand-mère, elle, nous chérissait énormément aussi et nous offrait toujours des cadeaux bien que mes parents ne cessent de le lui interdire, lui affirmant que cela allait nous rendre capricieux. Pourtant, avec un sourire et un clin d’œil complices, elle nous désignait la grange. Nous nous y rendions en courant et riant, pressés de découvrir la cachette de cette nouvelle surprise. Souvent, il s’agissait de sucreries qu’elle enveloppait dans un tissu ou qu’elle cachait dans une petite boîte en bois, comme nous les aimions, recouvertes de gravures étranges, représentant de drôles de personnages et des créatures loufoques.
A nouveau, je chasse ces souvenirs qui m’assaillent. Entrer dans cet endroit les a réveillé mais je ne veux pas que cela se passe ainsi, j’ai trop peur de perdre tous ces souvenirs. J’ai l’impression que si j’y pense, je les chasse… Pourtant, je sais que ce n’est pas le cas… Et je me torture souvent l’esprit afin de me souvenir de grand-mère sans redouter qu’ils ne s’enfuient. Mais à chaque fois, j’hésite. Depuis mes huit ans, grand-mère n’est plus là et depuis mes huit ans, on me raconte que les souvenirs sont les choses les plus précieuses qui soient et qui devront pourtant disparaître un jour où l’autre ! Donc, je les préserve en moi, sans y penser, pour les empêcher de s’échapper.
La file de clients devant moi s’efface peu à peu. Dehors, la pluie s’est arrêtée mais le ciel reste toujours aussi sombre. Sur le carreau de la vitrine de la pâtisserie, les gouttes d’eau glissent au gré de l’attraction terrestre, dessinant des arabesques éphémères.
- Monsieur, je vous écoute !
Je me retourne vers le comptoir. Une jeune femme me sourit aimablement, attendant ma commande.
Quelques instants plus tard, je me retrouve dehors, une tarte à l’abricot sous mon bras. La pluie a cessé depuis longtemps mais elle ne va pas tarder à repartir à la charge, je me hâte donc de rentrer. Sur le trottoir, je croise quelques connaissances que je me contente de saluer d’un simple hochement de tête. Encore quelques bifurcations et me voilà devant l’immeuble où je loge. Mon appartement se trouve au troisième étage mais je dois d’abord porter la tarte à la concierge. Celle-ci m’ouvre la porte de son petit quatre pièces en souriant, les bras ouverts. Elle ne ressemble pas à grand-mère mais les rides qu’elle porte elle aussi sur son visage la rendent belle. Je trouve stupide que les femmes noient leur visage sous des lotions anti-rides alors que ces relâchements de peau peuvent être considérés comme une beauté privilégiée, que seules les personnes âgées ont le droit de porter. Maggy veut me payer la pâtisserie mais je lui assure que c’était un service et qu’elle doit prendre cette tarte comme un cadeau de ma part. Elle me sourit encore, heureuse de voir qu’il existe tout de même quelques personnes qui demeurent respectueuses avec leurs aînés. Comme remerciement, elle m’invite à déguster cette tarte demain à l’heure de la collation, avec ses petits enfants, ce que j’accepte avec plaisir.
Après quelques échanges de paroles et de longues salutations, je prends congé et emprunte les escaliers, direction troisième étage, mon appartement. Cette vieille dame est tout aussi sage que grand-mère et ces précédentes paroles me trottent dans la tête. Elle m’a parlé de souvenirs, je ne sais plus pourquoi d’ailleurs, tellement cela m’a perturbé. Cela semblait pourtant si… vrai ! Je n’avais pas interprété ce que l’on m’avait dit des souvenirs de la meilleure manière, apparemment ! Il n’est pas trop tard pour modifier cela… mais j’ai perdu beaucoup de temps à refuser d’y penser. Ressasser les souvenirs n’est pas si mal que ça après tout. Oui, ils disparaissent, mais aussi jeune que j’étais, à l’âge de huit ans, je n’avais pas traduit ces paroles comme il se le devait ! Et voilà que cette vieille dame, aussi aimable soit-elle, m’avait ouvert les yeux. Moi qui m’étais obstiné à refuser de me rappeler des séquences de mon existence, de peur qu’elles ne m’abandonnent pour toujours, j’ai enfin compris. Les souvenirs ne sont pas éternels pour une personne, ils finissent par partir. Oui, cette phrase est tout à fait logique, c’est normal, les souvenirs, on les porte avec soit toute sa vie et ils disparaissent avec nous, dans la mort…