14 octobre - le toit du monde - original

Oct 14, 2013 16:52

Titre : Tirer la bonne leçon
Auteur : Solhaken
Jour/Thème : 14 octobre - le toit du monde
Fandom : Original
Personnage/Couple : Narkos et Lhakpa
Rating : PG-13
Disclaimer : à moi

Note :

Il ferma les yeux, tentant avec difficulté de retrouver son souffle. L'air glacial s'engouffra trop vite dans sa gorge, puis dans ses poumons, lui coupant la respiration. Il jura entre ses dents, il devait se calmer, retrouver son calme, et se remettre en route. Il rouvrit les yeux et examina le passage accidenté qui l'attendait. Avec un sursaut de rage il se redressa. Le paris avait été idiot, et il l'avait été plus encore de l'accepter, mais il était trop tard pour renoncer.

- Tu ne devrais pas t'entêter, déclara soudain Lhakpa.

Narkos tourna la tête vers le sherpa qui venait de s'exprimer et sourit.

- Redescend, il est trop tard pour poursuivre cette ascension, répliqua-t-il sans hésiter.

L'homme eut un rire dédaigneux.

- Dis celui qui ne parvient même plus à respirer... Le mal de la Montagne te frappe, Elle ne te laissera pas poursuivre.

Le guerrier se releva souplement, il hésitait, seul, il aurait poursuivi sa route sans hésitation, mais il ne voulait pas pousser son guide à prendre des risques inutiles. Et ce dernier disait vrai, l'altitude était en train de réduire ses forces à néant. Il avait dépassé le stade de la simple migraine depuis plusieurs heures maintenant, et il luttait continuellement contre les nausées qui le pliaient parfois en deux. La frustration qui alimentait sa rage lui avait jusque là donné la force de continuer, mais même cette force finissait par s'épuiser.

- Laisse moi m'arranger avec la montagne Lhakpa, c'est une affaire entre elle et moi, gronda-t-il entre ses lèvres éclatées par les gerçures.

Il retira son gant et tendit la main pour saisir une poignée de neige propre qu'il porta à sa bouche. Son guide grimaça, rien d'étonnant quand on comptait le nombre de fois où il avait du le mettre en garde contre cette détestable habitude depuis leur départ. Le goût familier de la neige lui tira un sourire malgré l'expression réprobatrice du sherpa.

- Tu ne serais pas le premier étranger qui devrait renoncer, il n'y a nulle honte, il faut être né dans l'ombre de la Montagne pour en être accepté. Tu es déjà allé plus loin que tu n'aurais du.

Le guerrier retira son deuxième gant et coinça ces derniers dans sa ceinture. Son guide l'observa pensivement.

- Renonce Homme-Loup, murmura l'homme avec une sorte de crainte. Tes semblables ne viennent pas jusqu'ici, ta place n'est pas sur ces sommets.

Narkos tourna vivement la tête vers lui sentant les battements de son cœur s'accélérer brusquement, plongeant son regard dans le sien pour y trouver une réponse. L'homme soutint son regard avec calme, mais il discernait dans ses traits burinés un mélange de crainte et de respect.

- Comment ? demanda simplement l'arkante.
- On raconte l'histoire l'hiver, au coin du feu... Le père du père du grand-père de mon père a vu un jour venir un étranger, il avait comme toi des yeux de loup, et la même tenacité. Il a demandé un guide, il a payé en or pour monter seul, sans aide, il voulait seulement, comme toi, que quelqu'un lui montre la route. Je n'ai pas toujours été guide, j'étais chasseur, je connais les loups...

L'arkante fronça les sourcils.

- Les as-tu tué ? demanda-t-il sans quitter la montagne des yeux.
- Non ! répliqua Lhakpa avec indignation.

Narkos sourit doucement.

- Le père du père du grand père de ton père... murmura-t-il rêveusement. Raconte-t-on d'autre chose sur cet homme ?
- Il souffrait du Mal.
- Comment son guide a-t-il su ce qu'il était vraiment ?

Lhakpa l'observa pensivement, comme s'il le jaugeait, se demandant sans doute s'il pouvait confier à cet étranger qu'il était le secret de sa famille.

- Il est monté comme un homme, mais il était trop malade pour redescendre, alors mon ancêtre a dit qu'il allait le porter, et l'homme a dit qu'il ne le pourrait pas, qu'il était trop tard. Alors il est devenu un loup, pour qu'ils puissent quitter le sommet à temps.
- Et la fourrure de ce loup était blanche comme la neige des sommets, dit doucement Narkos.

Le sherpa le regarda en plissant les yeux.

- Tu connaissais déjà cette histoire.
- Oui... admit Narkos avec un demi sourire.
- Et tu ne renonceras pas...
- Non.
- Tu es malade.
- Plus encore que la dernière fois, c'est vrai.

Il vit le tressaillement, la crispation du visage de son guide, puis l'acceptation qui se dessina sur les traits de Lhakpa. Il ploya ses doigts pour lutter contre le froid qui engourdissait ses membres.

- Redescend Lhakpa, la Montagne me rend malade, mais elle ne me tuera pas.
- Même un loup ne peut pas passer la nuit la-haut.

Narkos sourit doucement, et, sans répondre, il se dirigea vers la paroi, il laissa la métamorphose atteindre ses doigts. Il planta ses griffes sans la glace, refusant de renoncer, il laissa son corps changer, s'adapter à ses besoin pour lui permettre de terminer cette ascension vers ce sommet dont le souvenir le hantait.

Le sherpa reprit l'ascension derrière lui, surveillant ses gestes, lui indiquant la voie à suivre et le mettant en garde contre les difficultés qu'ils rencontraient. Quand il reprit pieds sur la corniche Narkos du se plier en deux pour vomir, incapable cette fois de se maitriser. Les spasme le laissèrent tremblant et haletant, la douleur lui vrillant le crâne et troublant sa vue.

- Bientôt, murmura Lhakpa d'une voix apaisante. Mais pourquoi cet entêtement ?

Narkos ne répondit pas, luttant pour faire parvenir assez d'oxygène à son organisme affaiblit. Ses pas se firent titubant, mais il refusa de s'appuyer sur Lhakpa pour avancer. Le sommet était proche désormais, il voyait le but qu'il désirait tant atteindre, il le touchait presque, et pourtant son corps semblait sur le point de le lâcher, alors qu'il était si près de réussir.

- Chez moi il y a des sommets plus haut, murmura-t-il d'une voix hachée. Et pourtant il n'y a qu'ici que le Mal me prend...
- Pourquoi cet entêtement ? demanda de nouveau le sherpa. Tu savais ce qu'il en serait.

Il le savait, c'était vrai. Un haut le cœur le plia en deux, et cette fois la bile qu'il expulsa était teintée de sang. Il atteignait la limite de son endurance, là ou de simples humains parvenaient, il échouait, la rage et la honte se mêlèrent dans son esprit.

- Pour ne pas oublier... dit-il entre deux quintes de toux.
- C'est la mort qui t'attend Homme-Loup la-bas Homme-Loup.
- Viv...

Narkos se redressa et fit un pas en avant, puis un autre, incapable de comprendre pourquoi le froid lui déchirait les poumons. Pour l'heure il échappait aux hallucinations, mais ils savaient ces dernières non loin, et préférables sans doute à un œdème.

Pourquoi l'Everest le rendait-elle si malade ? Pourquoi cet unique sommet quand le K2 et l'Annapurna pourtant plus dangereux ne lui opposaient qu'une résistance de principe ? Un éclaire de douleur, puis l'odeur du sang lui apprirent que quelque chose n'allait pas avec ses poumons. Il s'arrêta en tremblant.

- Le Mal est trop grand...

Force était de reconnaitre que le sherpa avait raison. Sa précédente ascension avait été pénible, mais cette fois il n'était pas certain de pouvoir aller jusqu'au bout. Ses poumons abimés ne lui donnaient plus assez d'oxygène et sa vision devenait de plus en plus trouble. Son orgueil était en train de le tuer, il plongea une main dans sa poche. Ses doigts gelés tâtonnèrent en vain sur la fermeture éclaire, avec un sursaut de rage Narkos tira son poignard et trancha le tissus imperméable de sa veste. Le vent s'engouffra immédiatement pour larder son corps exposé de ses coups de lames immatériels.

Lhakpa poussa un cri, se précipitant vers lui, sans doute pensait-il que le Mal venait de lui faire perdre la tête. Mais son guide se figea en le voyant tirer une ration de survie de sa poche. L'arkante mordit à pleines dents dans la substance collante, mâcha avec difficulté le mélange qui lui poissait les dents. Il réprima un haut-le-coeur avant d'avaler et de recommencer. A la troisième bouchée les drogues commencèrent à faire effet et sa vision ce fit plus nette, à la quatrième bouchée le sang, principale composant de cette pate immonde fit son effet. Le sang dans ses veines sembla circuler plus vite, la rage de vaincre remplaça la peur lancinante qu'il n'avait pas voulu s'avouer. La douleur reflua, il pu respirer librement. Il pouvait presque sentir ses poumons cicatriser, et même ses lèvres allaient mieux. Le vent qui sifflait à leurs oreilles en donnant le sentiment de vouloir les arracher à la montagne lui semblait presque amical désormais.

Il jeta un dernier regard au sommet, si proche, et pourtant inaccessible. Il avait échoué, et cela lui laisser dans la bouche comme un gout de cendre alors qu'il terminait sa ration. Il n'avait plus que quelques mètres à franchir, pourtant il s'en détourna, acceptant sa défaite.

- Abandonneras-tu si près du but Homme-Loup ? demanda calmement Lhakpa.
- J'ai abandonné quand j'ai mordu dans cette ration.
- Mais désormais le sommet t'est accessible.

Narkos se mordit la lèvre.

- J'ai été incapable de l'atteindre de moi-même, dit calmement l'arkante.

Le sherpa le regarda un moment en silence.

- Pourquoi es-tu venu ? demanda-t-il de nouveau.
- Pour me souvenir de la leçon de la Montagne. Parce qu'Elle me rappelle que je ne suis pas infaillible.

Lhakpa hocha la tête.

- C'est une bonne leçon... Qu'est ce que tu as mangé ?
- Quelque chose qu'un ami m'a offert...

Narkos vit son guide sourire doucement.

- Viens Homme-Loup. Aujourd'hui la leçon de la Montagne n'est pas celle que tu crois.

Il l'attrapa par le bras et l'entraina vers le sommet.

Ils y parvinrent en silence, et Lhakpa s'assit sur les rocher exposé par le vent, Narkos s'installa prés de lui, conscient que quelque chose lui échappait. Les derniers rayons du soleil teintaient les neiges de rose et de carmins qui s'opposaient aux bleus des ombres qui déjà gagnaient les flancs des montagnes et les recoins des glaciers. Il était trop tard pour redescendre, Narkos avait été trop malade, il avait perdu conscience du passage du temps, le Sherpa ne survivrait pas et l'arkante en prit conscience avec un profond désespoir.

- Y-a-t-il jamais eut plus belle chose à contempler ? demanda doucement Lhakpa.
- Je ne sais, murmura Narkos avec des larmes dans la voix.
- La leçon de la Montagne... Tu ne dois la comprendre, et ne plus jamais l'oublier, promet-le.
- Je ne la comprends pas, murmura-t-il avec désespoir.

Le sherpa sourit, profondément serein.

- Parfois il n'est pas possible d'atteindre seul son but, la vraie victoire, c'est d'accepter de l'aide. Homme-Loup, parfois, pour voir les évidences, il faut d'abord aller au bout de soit-même.

Une profonde sérénité envahit l'arkante, il lui avait fallut venir jusque là, sur le toit du monde, pour qu'un homme qu'il ne connaissait pas lui fasse comprendre la plus élémentaires des évidences, mais également la plus importantes des leçons possibles.

original, octobre 13

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