Titre : Désapprendre
Auteur : ishime
Jour/Thème : 2 juin, "rentre tes griffes"
Fandom : cross-over, Naruto / Pokémon.
Personnages : Shikamaru, son pokémon, mention de ses parents.
Rating : PG (mention de combats à morts)
Warnings éventuels : Mélange d'univers bizarre et pas vraiment expliqué. Se situe entre "promesses de succès" et "à vol d'oiseau" chronologiquement.
Disclaimer : Naruto appartient à Masashi Kishimoto, Pokémon à Nintendo et je ne me souviens plus des noms du créateur originel et du dessinateur du manga. Bref, pas à moi en tout cas. Je ne fais que les mélanger pour arriver à écrire mon OT3.
Participation au vote de fin de mois : Non
Note : en japonais,
Kage = ombre
Miryou = fascination, séduction, envoûtement
Akumu = cauchemar
Kyomu = mauvais rêve, cauchemar
L'inconvénient des pokémon dressés pour le combat, c'était qu'ils n'étaient rapidement plus bons à rien d'autre.
Shikamaru se pencha pour ramasser un petit morceau de bois couvert de traces de griffures et perforé en son centre. Il contempla en silence les restes d'un pion du jeu de shogi que lui avait offert son père pour son dixième anniversaire. Plus une seule pièce n'était indemne. Certaines avaient été mordues et fendues en deux - il avait renoncé à les recoller, et déplaçait les deux ou trois plus gros morceaux sur le plateau - d'autres tailladées ou trouées à coups de griffes, picorées ou éraflées par des serres, d'autres encore portaient les traces d'un séjour dans l'eau ou la boue à cause d'accidents de télékinésie. Il soupira et se remit debout, le pion tressautant dans sa paume.
Quelques mètres plus loin, une masse violacée indistincte apparut dans l'ombre d'un arbre. Ses contours se précisèrent pour former une patte, dont les trois doigts griffus se posèrent sur le tronc. Lentement, le corps de Kage s'écarta de sa cachette et le spectrum jeta un coup d'oeil méfiant à son partenaire humain.
Shikamaru soupira encore. Ecarter les difficultés d'un "et galère" bien senti et retourner faire la sieste ne lui semblait jamais aussi tentant que dans ces moments là. Kage comptait d'ailleurs là dessus, le bougre ; il savait que le punir consommait plus d'énergie que Shikamaru n'était disposé à en dépenser, et se plaçait juste hors de portée jusqu'à ce que son humain bâille et passe à autre chose. Tu parles d'une éducation, se dit Shikamaru. Encore quelques années et Kage serait exactement comme les ectoplasma de son père. Cette idée l'arracha à sa torpeur. Il fourra le pion dans sa poche et tendit le bras en direction de son pokémon.
Puis il attendit.
Les pokémon spectres, même dressés, avaient une tendance assez détestable à mettre la pagaille partout où ils allaient, lui avaient enseigné ses parents quand il avait commencé à prêter attention à leurs compagnons domestiques. Sur le moment, il avait froncé les sourcils et décidé que tout ça était trop pénible, et qu'un partenaire de jeu capricieux ne valait pas les efforts nécessaires pour l'apprivoiser. Il n'y avait réfléchi pour de bon qu'une fois en charge de son propre pokémon.
Cette description n'était pas fausse - tous les spectres qu'il avait rencontrés aimaient déplacer des objets, créer des zones d'ombre et pousser des cris lugubres - mais incomplète. Il comprenait à présent la différence entre Miryou, la feuforêve de sa mère, et Akumu et Kyomu, les deux ectoplasma de son père.
Miryou agitait les bijoux de sa mère sur leurs supports, les draps et les serviettes en train de sécher, déposait des livres ou des éventails sur les couvertures des dormeurs le matin ; elle ne les réveillait pas, ne déchirait ni ne cassait jamais rien, et ne produisait que de petits sons harmonieux. Même son ombre était agréable à regarder quand elle dansait et prenait toutes sortes de formes sur les murs. Akumu et Kyomu étaient deux véritables plaies. Ils faisaient tomber les piles de vaisselle, arrachaient les cordes à linge, renversaient de l'eau ou du sake sur les tapis, terrorisaient les voisins et les autres pokémon dans les étables, ramassaient tous les objets qui traînaient pour les jeter contre les murs (plusieurs de ses jouets avaient fini en miettes par leur faute) et cassaient parfois même les vitres. Leurs ombres n'étaient pas seulement effrayantes ou envahissantes, elles étaient dangereuses. La seule et unique fois où il s'était risqué à les traverser, il avait été assommé par les effets de l'attaque ténèbres. Ils n'obéissaient qu'à son père, et les résultats n'étaient guère probants aux yeux d'un petit garçon terrifié.
Son père avait fait la guerre avec Akumu et Kyomu. Il avait appris à ses pokémon à combattre les autres pokémon et les dresseurs qui les accompagnaient, de plus en plus sérieusement, jusqu'au jour où chaque combat s'était conclu par la mise à mort d'au moins un des participants. Leurs formes avaient changé en conséquence : leurs griffes et leurs crocs avaient poussé et s'étaient aiguisés, leurs attaques avaient sans cesse gagné en puissance et en violence pour défendre leur vie et celle de leur partenaire humain. Quand ils avaient été ramenés à une vie normale, ils tuaient déjà depuis des années. Ils n'avaient pas réappris à faire confiance aux étrangers ; ils avaient dû l'apprendre tout court, et ils avaient eu du mal.
Sa mère et Miryou avaient autrefois participé à des concours et des matchs amicaux ; elles n'avaient jamais combattu pour tuer. Miryou avait grandi en apprenant à vivre avec d'autres humains et pokémon - à retenir ses gestes pour ne blesser personne, à ne pas abîmer les objets avec lesquels elle jouait pour ne pas attrister leurs propriétaires, à ne pas pousser de hurlements lugubres pour ne pas effrayer les enfants. Elle déposait des sourires sur les visages et partageait sa bonne humeur avec tout le monde. Sa mère avait payé son refus de partir au front : elle n'avait pas de licence d'élevage, et n'en obtiendrait jamais. Pourtant tout le monde, y compris son père, s'accordait à dire qu'elle faisait preuve de bien plus de talent que lui.
Shikamaru grimaça au souvenir des deux pokémon qui l'avaient tant effrayé, enfant. Il n'avait pas la moindre envie de finir ses jours avec un danger public du même genre ; pourtant il savait très bien que Kage aurait un comportement de plus en plus similaire au leur. C'était rationnel, logique, inévitable - une simple question de contexte et d'environnement. L'empêcher était inenvisageable ; limiter les dégâts demanderait des efforts constants et pénibles.
Il détestait perdre son temps et son énergie dans des batailles perdues d'avance.
Au bout de plusieurs minutes, Kage sortit de l'ombre pour léviter jusqu'au bras de son dresseur. Ses pattes se refermèrent sur la main tendue, dangereusement tangibles, et éraflèrent le pouce et le poignet.
"Rentre tes griffes," murmura Shikamaru, en se laissant tomber au sol. Il replia ses jambes et attira son spectrum contre lui pour caresser les étranges épines sur les côtés de sa tête. "Y'a que moi ici, pas besoin de les rendre aussi pointues."
Kage cligna des yeux et se retourna entre ses genoux, perturbé par ces nouvelles consignes, en contradiction avec celles auxquelles il était habitué. Shikamaru releva sa manche avec précaution et suivit de l'index une écorchure le long de son poignet.
"Tu fais mal, Kage. Apprends à rentrer tes griffes quand tu n'en as pas besoin."