Titre: Crépuscule
Auteur:
isil-chan Jour/Thème: 14 décembre - Des pas dans la neige
Fandom: Original - Chroniques des Lames
Personnages: Les Lames
Rating: G
Disclaimer: Si le concept de base est à un ami, l'histoire et le caractère des personnages m'appartiennent.
Notes: Je sais, je floode avec cet Univers ^^ Si vous voulez vous familiariser avec, plus d'infos et de fics sur
sept_lames (ooouh, comme je fais honteusement de la pub!)
Participation au vote de fin de mois: Oui.
Le feu qui crépite dans le brasero à l'entrée du Temple diffuse plus de lumière que de chaleur. Le vent s'est calmé sur la plaine, mais le froid n'en est que plus mordant. Matsu, toujours prévenant, a mis sur leurs épaules à tous de lourdes fourrures, fruits de sa chasse sur ces terres inhospitalières. Assis en rond près de la lumière tremblotante de la flamme, les Lames regardent le jour se coucher.
Ils profitent de chaque rayon de soleil, et parce qu'ils seront ensemble jusqu'au bout, ils aiment chaque instant avec la passion qui a caractérisé leurs vies. Jamais une fin de monde n'aura paru aussi paisible. Avec délicatesse, l'astre solaire caresse leurs visages en un adieu si doux que leurs yeux pourraient presque se fermer d'eux-mêmes. C'est l'absence de regrets, la confiance en eux-mêmes qui les rend si sereins. Ce qu'ils font est juste, ce qu'ils font est honorable, et les doutes en eux s'amenuisent face à la chaleur du jour qui s'éloigne lentement.
Parce qu'ils savent que l'issue est toute proche, ils profitent, chacun à sa façon, de la présence des autres et du parfum de la vie. En silence pendant un temps, puis vient le besoin de parler, guidé par cette soif de rendre la chose la plus normale possible.
"Comment pensez-vous que nous serons?" demande Akisawa de sa voix claire et enfantine.
Elle souffle sur ses doigts et regarde les autres Lames. D'un geste bourru, Kayu remonte les fourrures sur les frêles épaules de la jeune femme et elle lui offre un sourire.
"Voilà une énigme des plus intéressantes," murmure Baïsetsu autour de sa pipe éteinte. "Comment savoir à quel point nos actions de ce jour influeront sur nos vies futures?"
Il a ce sourire un peu torve qui fait invariablement se tendre ses compagnons, car ils connaissent son esprit retors et son humour particulier.
"Personnellement, je trouve l'idée amusante. Nous pourrions être différents de ce que nous sommes aujourd'hui…"
Il laisse la fin de sa phrase en suspens, et les autres Lames se laissent aller à imaginer. Guerriers ou courtisans, artistes ou stratèges, seront-ils forts, seront-ils sages, seront-ils des puissants ou des suivants?
Brisant le silence rêveur qui s'est installé, Daïgotsu a un rire étouffé et lève ses yeux clairs vers le ciel rougissant.
"Dans une autre vie, peut-être serai-je une fermière? Dieux, que je m'ennuierais!"
Des sourires naissent à cette idée. La fière Daïgotsu en rude fermière, voilà une image qui aurait fait hurler la petite cour que la Championne avait autour d'elle à la Capitale… Kayu hoche la tête.
"Et moi une courtisane, toute fine et délicate," lance t'il, et il y a quelque chose de rêveur dans sa voix. Baïsetsu lève un sourcil mais le grand guerrier baisse piteusement la tête pour masquer son embarras. Ce cher Kayu aux joues rouges et aux bras puissants… De petits rires gentiment moqueurs fusent, mais leur camaraderie rend la chose peu vexante. Ils s'apprécient malgré leurs défauts et leurs bizarreries, ils sont des compagnons de cœur et d'infortune, envers et contre tout.
Shono joue gracieusement avec une longue mèche d'ébène que le vent a libérée de sa coiffure, le contraste entre ses doigts clairs et le noir sombre de sa chevelure presque saisissant.
"Moi, je veux juste être libre…" murmure t'elle les yeux fermés, mais son cœur semble pourtant plus ouvert que jamais.
En face d'elle, Baïsetsu se surprend à fermer les siens pour sceller cette prière. Il croise les mains devant lui, serrant les doigts autour de sa tasse de thé encore fumante. Il voudrait invoquer son art pour se dissimuler dans ces volutes éphémères et cacher l'émotion née de cette phrase, mais il n'en fait rien, car il n'a rien à cacher. Pas aux Lames.
En silence, tous saluent l'esprit de la Princesse, qui a su illustrer en des mots si simples leur espoir le plus secret. Car eux qui ont connu la gloire, eux qui ont goûté à la saveur sucrée de la victoire, eux qui ont inspiré la peur ou le respect à leurs pairs, ils ont vécu tout ceci par devoir. Mettant leur honneur avant leur cœur, ils ont vécu pour une cause et non pas pour eux-mêmes. Même sans regret, il y a au fond d'eux-mêmes, tout au fond, comme un parfum de manque.
Et même maintenant, tout à la fin, alors qu'ils n'attendent plus que la fin du jour pour mettre fin à tout, Daïgotsu se désole en silence de voir sa chère cousine et son ami le plus proche si infiniment distants. Ils sont là, face à face, mais leurs cœurs si longtemps réprimés ignorent maintenant comment se réveiller vraiment. Elle souffre pour eux comme elle souffre pour elle-même, mais son amour à elle est mort, tandis qu'eux vivront leurs derniers instants sans même connaître la simple chaleur d'un baiser. Par honneur. Parce que ce serait gâcher ce qui aurait dû être un moment sans égal.
La Perfection se lève, le cœur serré. Verront-ils vraiment un jour la liberté d'être eux-mêmes ou bien seront-ils à jamais prisonniers de ce Miroir et de leur devoir, prisonniers de ce qu'ils ont été? Elle soupire.
"Pensiez-vous ce que vous disiez, Baïsetsu-san? Sur la marque que nous laisserons en ce monde?" interroge t'elle en descendant deux marches de l'escalier du Temple. "Pensez-vous vraiment que ce que nous avons fait, nous l'avons fait en vain?"
Un instant le vent s'apaise, et son dernier souffle soulève les cheveux clairs de Daïgotsu, lui donnant un air éthéré. Le Conseiller la regarde et un sourire affectueux vient ourler ses lèvres. Il pose sa vieille pipe à côté de lui et se lève souplement sous le regard perplexe de ses compagnons. D'un geste vif, il se débarrasse des fourrures qui le protègent du vent, s'attirant un grognement désapprobateur de Matsu, mais il se contente de sourire à la ronde avant de descendre à son tour les marches du Temple.
Arrivé en bas, il met un pied dans la neige et se retourne à demi pour les regarder.
"Voyez ce que nous sommes," déclare t'il simplement.
Il fait quelques pas, la neige crissant mélodieusement sous ses pas. Le vent se remet à hurler et il trébuche légèrement, mais rassure d'un signe de la main Matsu et Kayu qui se dressent. Il s'immobilise à quelques mètres d'eux et écarte grand les bras.
"Voyez!" clame t'il de nouveau de sa voix d'orateur, son kimono claquant contre lui. "Voyez!"
Il pointe un doigt fin vers les traces de pas qu'il a laissé dans la neige vierge. En quelques secondes, le vent fait son œuvre et il n'en reste rien. S'ils regardent le sol, nulle marque du passage du Haut Conseiller Impérial. Rien. Les éléments ont tout effacé. En un instant, en quelques bourrasques de vent…
"Nous sommes des Grands. Nous avons marqué notre temps, mais en réalité, nous ne sommes rien! L'important, ce n'est pas les traces que nous laissons dans la neige. Ce qui compte, c'est les traces que nos actions ont laissées dans nos propres cœurs. Si nous sommes en paix avec nous-mêmes, alors… Alors qu'importe comment nous serons jugés?" tonne t'il contre le vent, et les Lames ont devant eux l'homme qui pouvait s'attirer l'attention de la Cour toute entière, l'homme qui pouvait séduire ou menacer d'un simple regard, d'un simple sourire, l'homme dont la plus redoutable arme était ses mots… Il est toujours là. Il ne les a jamais vraiment quittés, même si la défaite et les pertes ont parfois voûté ses épaules. Ils s'aperçoivent qu'il leur a manqué, et ils s'aperçoivent également qu'ils se sont tous un peu perdus sur le chemin qui a mené à cet endroit, et à cet instant. Ils se redressent, se sourient, et pour la première fois depuis la perte de leur Empereur, ils ont l'impression d'être à nouveau eux-mêmes.
Baïsetsu les observe de son regard si fin, et le soulagement vient. Il n'aurait pas supporté de les voir partir, ombres d'eux-mêmes, non plus les fières Lames mais des Lames brisées. Comment aurait-il pu faire face à son Seigneur après un tel échec? Il s'avance vers eux à pas lents, sa mince silhouette caressée par les derniers rayons du soleil, et ils lisent dans ses yeux tout ce qu'il ne dit pas. Ensemble, ils se tournent dans le Temple, et doucement, sans mot dire, Shono prend dans sa main les doigts de Baïsetsu. Il y a un sourire sur leurs visages, mais ils ne se regardent pas. Une toute dernière fois, éclairés par le crépuscule fuyant, ils rentrent à l'intérieur. Au loin, dans la plaine, un loup hurle comme pour marquer l'instant à jamais.
Un jour viendra où ils fouleront à nouveau ces terres enneigées. Et ce jour là encore, peut-être, ils marqueront leur temps pour ne laisser tout à la fin que des traces dans la neige trop vite effacées par le vent.
FIN.