Titre : Rien qu'un baiser, chapitre 22
Auteur : Mokoshna
Couple : ZoroXSanji
Fandom : One Piece
Rating : M
Thème : 22. Bercer
Disclaimer : One Piece appartient à Eiichiro Oda. Je ne fais que reprendre ses personnages pour leur faire faire n'importe quoi.
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Chapitre 22 : Bercer
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Le bruit des vagues s'écrasant sur la coque du navire était apaisant, comme une longue litanie marine accompagnée en fond par le cri des rares mouettes qui planaient au-dessus de leurs têtes. Sanji contempla longuement l'horizon, accoudé au bastingage qui était devenu son lieu de repos favori depuis les tristes événements d'Esperanza. Dans son dos, les marins s'affairaient : il fallait entretenir le bateau, veiller à maintenir le cap, faire en sorte que tous aient de quoi s'occuper pour éviter des chamailleries ridicules entre les hommes qui auraient scindé l'équipage. Rien de tout cela avec l'élite que formait le jeu de cartes : en tant que Cinq, Sanji pouvait à son gré flâner en solitaire ou se joindre aux autres, sans avoir à faire une seule des corvées imposées. Cela faisait des jours qu'il n'avait pas vu une casserole ; pour l'instant, cela ne lui manquait pas spécialement. Il avait d'autres soucis en tête.
Nulle trace de Zoro depuis Esperanza. Sanji savait qu'on l'avait ramené à bord, à en juger par les absences répétées de Neuf et de Dix ; ils devaient continuer leurs sinistres expérimentations sur lui. Trevor lui avait dit que Sally Neuf de Carreau possédait une espèce de laboratoire secret à fond de cale, inviolable de l'extérieur pour qui aurait voulu la surprendre dans son travail. Sanji n'avait même pas osé y penser : à supposer qu'il puisse sortir Zoro de là, et après ? Il y avait le navire à traverser, les hommes à distraire... ce qui était considérable. Il savait qu'il y avait toujours plusieurs matelots sur le pont ou ailleurs, et ce quelle que soit l'heure du jour. L'équipage était si nombreux, ce navire tellement vaste ! Sans parler du fait qu'il se trouvait au milieu de l'océan, à une époque où son double adolescent était encore en train de se faire disputer par Zef parce qu'il avait brûlé la soupe... Et après ? Emmener le corps de Zoro à travers le vaste monde, tâcher de lui rendre une vie normale après ce qui lui était arrivé ? Et Sanji, dans tout ça ? Quel était son avenir, quelle était la voie qu'il devait suivre ?
Il en avait marre de ces voyages dans le temps. Il en avait marre d'être trimballé à droite et à gauche, d'être mêlé à des situations qui le dépassaient sans cesse. Comme s'il n'était que le pion d'un conteur pervers, un héros lâché au sein d'une aventure qui évoluait au gré des caprices de l'auteur. Il fallait que ça cesse, ou il en deviendrait fou.
Ou peut-être était-ce là la meilleure solution... Peut-être était-ce le chemin qu'il devait emprunter ? Une ligne droite, dénuée d'attaches, avec un but à atteindre dont rien ne pourrait le détourner. Il avait encore cinq ans avant que son équipage se fasse attaquer et démanteler par Zero ; assez pour faire des miracles...
Il y réfléchit longtemps, accoudé à ce bastingage, bercé par le son des vagues, le cri des mouettes et le tohu-bohu créé par les pirates dans son dos. Le temps était au beau, il dormait, mangeait et passait son temps à l'extérieur ; rien de bien passionnant mais il eut le loisir de réfléchir à sa situation, d'envisager la moindre porte de sortie. Ses chances étaient minces, mais il devait essayer.
Puis, le matin de son septième jour de réflexion, il reçut un signe : Dix de Carreau le demandait et voulait discuter avec lui. Sanji accepta l'offre et quitta son poste, la tête remplie de questions, la main tremblante d'appréhension et d'impatience mêlées.
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Son corps entier n'était que plaies vives et courbatures violacées. Zoro, le Démon aux épées, la Terreur d'Esperanza, n'était plus qu'un tas de chair douloureux à cette heure : tortures, expériences douteuses, rien ne lui avait été épargné. Sally avait trouvé là un cobaye de choix : aussi résistant qu'une baleine et assez obstiné pour se garder en vie malgré les conditions déplorables dans lesquelles il vivait depuis des jours. Pas une seule fois, il n'avait supplié son bourreau de l'achever. Il se raccrochait à la vie envers et contre tout.
N'eût été sa rigueur scientifique devenue légendaire parmi les Carreaux, Sally eût été tentée de l'admirer. Un adolescent, presque encore un enfant, qui survivait aux traitements spéciaux de Sally Coeur-de-Glace, ça ne se voyait pas souvent. Bien des hommes avaient craqué après les expériences horribles qu'elle leur avait fait subir ; le navire résonnait encore des cris des centaines de pauvres hères qui étaient passés sous son scalpel. Car s'il y avait quelque chose que Sally aimait dans a vie, c'était d'analyser le corps humain dans toute sa splendeur.
Ou plus exactement, l'intérieur du corps humain : comment il était agencé, les rouages qui le faisaient avancer, toute cette structure complexe la fascinait depuis l'enfance. Elle avait fait sa première dissection à l'âge de neuf ans ; elle se souviendrait toujours du sentiment de bien-être qui l'avait envahie lorsque la chairs du chiot de sa soeur avait cédé sous l'assaut de son petit couteau de cuisine... Les cris que la bête avait poussés, le regard effrayé qu'il lui avait lancé, regard qui s'était peu à peu éteint... Tous ces souvenirs, toutes ces expériences, elle les consignait dans un carnet qui ne la quittait jamais. Elle avait eu largement le temps d'en remplir des milliers à ce jour ; sa cabine était d'ailleurs essentiellement composée de ces cahiers débordant de notes à l'écriture fine et nette.
- Comment il va ? demanda pour la énième fois Argo en entrant sans frapper.
Il était le seul à pouvoir se le permettre ; quiconque aurait osé profaner ces lieux sans la permission de la propriétaire aurait eu à subir ses foudres. Le Roi et la Reine étaient aussi acceptés avec plus ou moins de réticence, mais ils ne venaient jamais troubler le travail de Sally...
- Son état est stable, répondit-elle avec un haussement d'épaules. Je lui ai fait subir d'autres tests ce matin mais ça a l'air d'aller. Je crois que je dispose d'un sujet durable.
- Tant mieux tant mieux.
Argo toussota un coup, regarda à droite et à gauche, fit quelques pas en sa direction avant de partir ailleurs. Il tripota quelques fioles, siffla un peu, fredonna un air connu. Sally gribouilla dans son carnet tout en vérifiant les appareils branchés sur Zoro.
- Tu avais quelque chose à me dire ? finit-elle par lâcher, les yeux rivés sur le visage livide de son patient.
Argo soupira de manière exagérée. Pendant un instant, Sally eut envie de le frapper.
- Ben c'est la Reine... Elle voulait savoir combien de temps tu comptais le garder, celui-là... je lui ai dit que j'en avais aucune idée, mais bon, elle avait pas l'air contente...
- Je croyais que tu ne l'aimais pas, cette gamine ?
- Ouais, mais c'est quand même la Reine... et le Roi l'aime bien, il l'a choisie après tout...
Sally ricana ; qu'il était donc balourd avec sa manière d'esquiver les conflits avec l'autorité ! Argo avait toujours été un lâche sous ses airs de sadique et sa grande gueule ; il n'y avait aucune surprise de ce côté-là. Pourtant, elle fut un peu déçue : elle avait au moins espéré qu'il la défendrait un peu mieux au vu de leur relation...
- Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse, les pleurs de cette mioche ? siffla-t-elle dangereusement. Ce gamin est parfait pour mes expériences, je ne vais pas le laisser juste parce qu'elle n'aime pas sa tête !
- Ben elle a avancé des arguments, ajouta Argo, le sourire crispé. Comme quoi c'est une bouche inutile à nourrir en mer...
- Il ne mange pas beaucoup, et de toute façon je lui sers de mes rations, le coupa Sally.
- Y'a aussi le fait qu'il soit recherché...
Sally lui jeta un regard noir.
- Tu plaisantes, j'espère ? Parce que un, on a fait en sorte que personne ne puisse le reconnaître, et deux, c'est à peu près le cas de chacun d'entre nous dans cet équipage. Depuis quand le fait d'être recherché par la Marine est-elle une honte dans All Game ?
- C'est pas ce que je voulais dire...
- Tu voulais dire quoi, alors ?
Argo se tut, à court d'arguments. Sally ricana et retourna à ses observations.
- Tu pourras dire à la Reine que notre invité est un sujet d'expériences indispensable grâce auquel je pourrais soumettre des résultats probants au sujet de notre dernier projet en date aux Trèfles, si ça peut te rassurer, dit-elle posément. Et maintenant, laisse-moi. J'ai encore beaucoup de travail.
Argo n'eut plus qu'à s'incliner.
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- Qu'a-t-elle dit ? fit Sanji à la sortie de la cale.
Argo s'essuya le front avec un mouchoir, les yeux fatigués et le souffle court.
- Elle ne changera pas d'avis.
Sanji hocha la tête ; c'était à prévoir. Déjà qu'il avait eu beaucoup de mal à convaincre Argo de se rallier à sa cause, Sally était quasiment hors d'atteinte... Il se mordit la lèvre, excédé par l'attitude du Neuf de Carreau. Et Zoro qui devait être dans un sale état !
- Comment va-t-il ?
- Pas plus mal qu'hier, fit Argo en hochant la tête. Pas brillant mais il est en vie, c'est déjà ça.
- Ok.
C'était là la seule consolation : Zoro était en vie. Le connaissant, il devait lutter sang et eau pour ne pas céder à la tentation de tout laisser tomber. Il fit signe à Argo de le suivre et ensemble, ils remontèrent sur le pont. En chemin, ils croisèrent quelques marins qui les saluèrent avec respect. Sanji répondait à chaque appel avec le sourire, le nom de son interlocuteur sur les lèvres.
- T'es devenu vachement populaire, dis donc, siffla Argo.
- Que veux-tu, ça sert de pas être un parfait salaud.
Argo ricana.
- C'est ça, ouais. Ils ramperont d'autant plus à tes pieds quand le Roi sera rentré.
- Tu crois ? fit sèchement Sanji. On verra bien. De toute manière, je doute qu'il s'attende à ma présence ici.
- Tu m'étonnes. Son cher fiston qu'il pensait avoir perdu il y a dix ans, avec sa chère femme... Il sera extatique, oui. Le connaissant.
Sanji jugea préférable de l'ignorer. Depuis le début, il surveillait le moindre geste de l'autre homme ; un acte de traîtrise était si vite arrivé ! Leurs pas les menèrent bientôt à l'extérieur ; Sanji fut grandement soulagé de retrouver l'air libre. Les combats dans un espace confiné n'avaient jamais été son fort.
Le pont était toujours aussi animé. Les marins étaient en train de jouer aux cartes et certains pariaient gros, au vu des mouvements nerveux qu'on discernait çà et là, du silence cérémonieux accompagné d'explosions de cris et de pleurs quand le jeu était dévoilé. Trevor les dominait tous, riant à chaque fois qu'un marin s'arrachait les cheveux parce qu'il venait de perdre sa part du prochain butin. Il aperçut Sanji et lui fit signe de le rejoindre.
- Pas un mot à personne, souffla Sanji. Je veux lui faire la surprise.
Argo cracha à terre.
- Comme tu voudras, gamin.
Et ce fut tout. Ils se séparèrent ainsi, Sanji se dirigeant vers Trevor et Argo disparaissant dans un coin d'ombre. Personne ne savait exactement ce qu'il faisait de ses journées ; le fait est qu'il s'arrangeait toujours pour rester invisible jusqu'à ce qu'on ait besoin de lui. C'était là l'une des raisons pour lesquelles il était aussi bon : furtif et silencieux, Argo était un guerrier qui agissait dans l'ombre et avait ses propres opinions sur l'idée de « fair-play »... qui prenaient souvent la forme d'un couteau planté dans le dos. De ce fait, le reste de l'équipage avait tendance à l'éviter autant que possible.
Sanji contourna les joueurs et les spectateurs et se planta devant Trevor, l'air innocent. Le géant agita sous son nez un parchemin épais à l'odeur tenace de poisson pas frais. Un oiseau aux ailes gigantesques, mélange improbable entre un pélican et un toucan, se tenait derrière lui, les serres fermement plantées dans le bois de la rambarde. Sanji l'observa avec des yeux ronds. Quel étrange animal...
- On a reçu un message du Roi, dit Trevor de sa grosse voix bourrue. Il revient demain soir avec l'As !
- Vraiment ?
Sanji lui fit un sourire crispé.
- J'ai hâte de le rencontrer, à vrai dire. J'ai... tellement entendu parler de lui...
- Pour sûr ! Tu verras, il est super ! C'est pas pour rien que c'est notre chef !
Le rire tonitruant qu'il poussa fut suivi par les autres marins. Sanji s'en étonna un peu.
- Vous avez l'air de l'aimer, le capitaine.
- Bah, c'est le meilleur, c'est tout ! s'écria l'un des hommes.
- Ça c'est clair, y'a personne qui lui arrive à la botte !
- Le cap'tain, c'est un fauve !
C'en était presque... attendrissant, la façon dont ils soutenaient leur chef. Sanji sentit la bile lui monter à la gorge. Quelle bande d'hypocrites !
- On va faire une grande fête pour célébrer son arrivée, continua Trevor sans faire attention à l'éclat méprisant qu'avait pris le regard de Sanji. Et comme ça, on pourra te présenter ! Tu verras, il est plutôt beau gosse, comme toi. En fait, maintenant que j'y pense, tu lui ressembles un peu... Je pensais pas que ces sourcils-là se retrouvaient si souvent !
Sanji eut un sourire en coin.
- Ça doit être un trait de séducteur, fit-il d'une voix détachée.
- Ah ouais ? grogna Trevor avec une admiration palpable. Ma foi, vu comme il a du succès, je serais pas contre me friser les sourcils pour faire tomber ces dames, hein !
Un flot de ricanements lubriques fusa dans les airs. Sanji fit mine de les accompagner dans leur hilarité. À l'insu de tous, ses doigts raclaient le bois du mur contre lequel il était adossé.
- Trêve de plaisanteries, dit brusquement Trevor en cessant de rire. T'étais avec Dix, tout de suite, non ? Vous parliez de quoi ?
Sanji n'avait rien vu venir ; il plaqua sur son visage le sourire le plus faux dont il disposait.
- Bah, rien de spécial, on discutait juste...
- Un des hommes m'a rapporté qu'il t'avait attaqué plus tôt, c'est bien vrai ?
Décidément, ce bougre de géant était plein de surprises. Que faire ? Inventer une excuse et prier pour qu'il la gobe ? Sanji avait eu maintes fois l'occasion de voir depuis son arrivée dans l'équipage à quel point les apparences pouvaient se montrer trompeuses avec les cartes qui le composaient. Sora n'avait l'air que d'une fillette inoffensive et se révélait être l'un des combattants les plus redoutables d'All Game ; Trevor avait bien plus de cervelle que le laissait supposer son allure rude et négligée. Il opta pour une demi-vérité.
- Oui, mais je vais bien. Ce n'est pas ce type qui pourra m'avoir.
Le regard du géant se fit plus dur. Par précaution, les marins présents décidèrent de se disperser, oubliant momentanément jeux et mises. Il n'était pas très conseillé de se trouver dans l'entourage immédiat de Trevor quand il commençait à s'énerver.
- C'est pas un type réglo, grogna le géant, mais il est pas du genre à attaquer un allié sans raison quand il a autant de gens pour lui foutre la pâtée au besoin. Et il est très fort.
- Ça, j'ai remarqué, fit Sanji en relevant la manche droite de sa chemise.
Trevor put y voir un bandage que Sanji avait placé à la hâte et qui était déjà presque entièrement souillé de rouge.
- Et t'es encore en vie ? dit Trevor avec une pointe d'admiration dans la voix. C'est pas en Cinq qu'on aurait dû te mettre, mais en Dix, ouais !
Sanji éclata de rire.
- J'ai eu de la chance, à vrai dire. Il m'avait pris par surprise sur un terrain qui ne m'arrangeait pas. Il n'y aurait pas eu cette attaque-surprise de la Marine, j'étais fait.
- Celui où on a perdu Olanji, notre Deux ?
- Oui.
- Me disait bien que vous aviez mis un peu de temps à venir...
Trevor se caressa la barbe.
- Et il te voulait quoi au juste ?
La minute de vérité. Trevor était un géant, un criminel et un assassin dans toute la force de son caractère, il n'y avait pas à en douter : pour preuve, il aimait un peu trop les combats, le sang et le meurtre. Pourtant, si l'on en croyait les histoires que s'échangeaient les membres de l'équipage, il pouvait aussi se montrer d'une loyauté à toute épreuve, en particulier envers son capitaine. En s'y prenant bien, Sanji pouvait utiliser cela à son avantage.
- C'est... délicat. En fait, je ne sais pas si je dois le dire...
- Crache le morceau, petit, on verra après.
Sanji prit un air vaguement gêné et candide.
- Eh bien... Comment dire... C'est en rapport avec le capitaine, tu vois.
Trevor ouvrit des yeux ronds.
- Quoi ? Comment ça ?
- En fait, Dix a découvert un truc sur moi que j'avais un peu oublié... Un truc en rapport avec le Roi. Sandoval, c'est ça ?
Le géant acquiesça.
- Ouais, c'est son nom.
- Tu sais qu'ils ont été ensemble avant All Game, continua Sanji. Argo faisait partie de son ancien équipage.
- Je sais, ouais, il arrête pas de s'en vanter. Et alors ?
- Sandoval... avait une femme et un fils.
Trevor sursauta et menaça Sanji de sa massue, une grimace sur le visage. Le pont résonna de son cri. Plus d'un pirate prit peur et alla se cacher.
- Comment tu sais ça ? On est qu'une poignée à connaître cette histoire !
- Non... C'est compliqué. Il y a une longue histoire derrière, mais en gros ce fils, c'est moi.
Le regard de Trevor prit une teinte dure.
- À d'autres ! Je la connais, moi, l'histoire ! Le gamin en question est mort, et s'il était en vie il aurait des années de moins que toi !
Sanji soupira avec affectation.
- Justement, tu ne t'es jamais demandé d'où je sortais ? Quelle était ce drôle de chemin de lumière par lequel je suis arrivé...
- Je sais pas, mais dis-le moi qu'on rigole.
- Eh bien, je ne suis pas sûr moi-même... Tout ce que je sais, c'est que c'est en rapport avec le Monde de L'autre Côté. Plus exactement, c'est l'une des routes qui le traversent.
À ces mots, le bras de Trevor trembla, il lâcha sa massue qui alla s'abattre au sol avec un bruit sourd. Sanji sourit. Il avait déjà cité cet endroit à quelques membres de l'équipage pour voir ce qu'ils savaient à ce sujet ; les réactions avaient toujours été violentes. Apparemment, les Carreaux n'aimaient pas en entendre parler, c'était un signe de malheur pour eux. Simple superstition ou confrontation réelle avec le monde en question ? Sanji n'en savait rien et s'en fichait. L'important, c'était l'impact que ce nom avait sur eux.
- Le... le Monde de l'Autre Côté ? dit Trevor. C'est une blague ?
- Je voudrais bien.
- Mais qu'est-ce que tu foutais là-bas ?
- J'ai été... entraîné malgré moi. Et je me suis perdu... comment dire... dans le temps.
Le visage du géant prit une teinte cireuse.
- Tu te fous de ma gueule, c'est ça ?
- J'aimerais bien. Mais je t'assure qu'il s'agit de la stricte vérité. Je viens de neuf ans plus tard par rapport à maintenant.
Trevor secoua la tête, incrédule. Le pont était désert : les rares marins qui étaient restés un peu à l'écart avaient fui en entendant le nom du Monde de l'Autre Côté.
- Résumons-nous, fit-il. Tu me dis que tu es le fils mort de Sandoval, et par-dessus le marché, tu viens du futur ? C'est n'importe quoi !
- Je ne suis pas mort, protesta Sanji, on a juste cru que je l'étais.
- Ah ouais ? Et tu peux m'expliquer comment, petit malin ?
- J'y arrive. Sandoval t'a raconté ce qui s'était passé ? Comment il avait épousé de force une princesse de North Blue et m'avait conçu avec elle ?
- Ouais. Et je sais aussi ce qui s'est passé le jour de leur mort. Son équipage a pillé un village, sa princesse et son fils ont été tués dans la mêlée.
Sanji ricana.
- Ça, ça m'étonnerait, vu que personne n'est venu nous chercher. Je crois plutôt qu'il a abandonné les recherches et nous a décrété morts.
- Explique-toi.
- Ma... mère avait profité de la confusion pour s'enfuir avec moi et essayer de rejoindre son pays. Seulement, elle n'y est jamais arrivée. L'un des marins l'a prise pour une habitante du village et l'a tuée. Il m'a aussi laissé pour mort.
- Quel était le nom de la princesse ?
- Beni Soi Lan, dit Sanji avec affection, « fille des eaux profondes » dans sa langue. Elle avait de magnifiques cheveux blonds et des yeux couleur d'océan. Sa couleur préférée était le jaune safran. Elle avait appelé son fils Bene San Di, « fils du soleil et de la mer ».
Trevor siffla.
- Bon dieu, personne connaissait ces détails-là à part Sandoval, Sora et moi... C'est vrai, qu'on a jamais su ce qu'elle était devenue. Sandoval a fait courir le bruit qu'ils étaient morts dans un accident d'abordage pour éloigner ses ennemis d'eux. Il a pas arrêté de les chercher depuis.
Sanji sourit.
- Les villageois rescapés m'ont retrouvé et ont eu la gentillesse d'enterrer ma mère et de s'occuper de moi, sans savoir qui j'étais. Je... je crois que j'ai oublié qui j'étais à cause du choc de la perte de ma mère.
- Et t'es resté là-bas tout ce temps ?
- Non. Un an plus tard, j'ai embarqué sur un navire qui cherchait un mousse pour aider en cuisine. J'ai pas mal bourlingué jusqu'à ce que j'arrive ici.
- Tu m'étonnes. Mais ça n'explique pas pourquoi Argo t'a attaqué. Attends une seconde... Tu m'avais bien dit que ta mère a été tuée par un marin qui s'était trompé de cible ?
Sanji hocha la tête.
- Et ce marin, c'était Argo, pas vrai ? Tout s'explique.
Trevor ricana.
- Pas étonnant qu'il ait voulu te faire disparaître dans ces conditions ! Je donne pas cher de sa peau quand Sandoval va l'apprendre...
- Je préfèrerais que tu n'en dises rien, à vrai dire, intervint Sanji.
- Et pourquoi ? renifla le géant. Tu ne veux pas le voir payer ?
- Si, bien sûr... Mais je pourrais encore avoir besoin de lui. Il a promis de m'obéir en échange de mon silence.
Trevor le regarda longuement. Sanji se sentit comme un insecte subissant l'inspection d'un gamin ; le moindre faux mouvement aurait pu décider de son sort. Trevor allait-il l'écraser ou se ranger à ses côtés ?
- Je me demande pourquoi je ne l'ai pas vu plus tôt, que t'étais lié à lui. Pas que la ressemblance physique. T'as l'esprit aussi retors.
- Vraiment ?
- Ouais. Un vrai pirate. Non, un vrai Carreau !
Sanji éclata de rire. C'était gagné ; il avait l'entière sympathie de Trevor. Les choses seraient plus faciles pour lui à partir de là.
- Je n'ai pas toujours été comme ça, tu sais. Il fut un temps où j'étais à peu près honnête. J'ai même bien failli finir en gentil cuistot pour le restant de mes jours, bien planqué derrière mes fourneaux.
- Sérieux ?
- Tu parles, oui. Il a fallu qu'un type complètement con vienne me chercher par la peau du cul pour me traîner hors de ma cuisine. Quand j'y pense, c'était un sacré capitaine.
Trevor parut intéressé.
- Ah ouais ? C'était qui ? Un pirate ?
- Et comment, dit Sanji avec tendresse. Le meilleur. Le roi des pirates !
Ce qui ne manqua pas de jeter le trouble dans son interlocuteur.
- Tu me fais encore marcher, hein ?
Sanji se mit à rire, à rire... Trevor le regarda sans comprendre, l'air sceptique.
- Pas tant que je serais en vie, dit-il enfin d'une voix ferme. Je ferai tout ce que je peux pour que le rêve de Luffy ne coule pas et lui avec. Tu verras.
L'éclat de son regard sembla déstabiliser Trevor qui fit trois pas en arrière. Sanji eut un sourire resplendissant.
- Ce n'est qu'une question de temps, après tout...
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Zoro Roronoa. Il se raccrochait à son nom. Le supplice avait duré longtemps, longtemps... C'était à présent la seule chose qui lui restait, et il sentait à chaque minute que même ce nom lui échappait. Le temps passait, chaque seconde semblable à la précédente ; ou étaient-ce des heures ? Des jours, des semaines ? Abruti par la douleur et les sédatifs, son corps rendu presque insensible par les traitements extrêmes qu'on lui faisait subir, Zoro psalmodiait son propre nom dans sa tête pour ne pas sombrer. De temps à autre, le nom de Kuina accompagnait le sien : un visage familier, le choc puissant des épées d'entraînement qui s'affrontent, le bruit du tatami et des élèves qui l'encouragent. L'odeur boisée de l'endroit où il s'entraîne ; la fraîcheur de l'herbe sous ses pieds nus et ensanglantés. Passé et présent s'entremêlent.
Un crissement ; son d'une porte que l'on ouvre. Cri de la femme qui le retient ; d'autres cris viennent le couvrir. Une voix, aimable et chaude, qui l'encourage comme celles de ses camarades du dojo. Le toucher d'une main, infiniment plus douce que celle qui lui administre les traitements. Agitation ; chocs d'objets qui tombent et qui se cassent.
- Zoro ? fait la voix, toute mielleuse. Zoro...
Son nom. Zoro Roronoa. L'espace d'un instant, il est heureux, la voix connaît son nom. La voix le berce, la voix lui dit que tout va bien. Il est en sécurité ; il n'a plus mal. Ses lèvres sont sèches ; on lui passe un linge humide, frais comme l'herbe. Zoro ouvre les yeux, le soleil est devant lui, il l'aveugle. La voix s'approche et l'embrasse.
Enfin, il peut s'endormir.
À suivre dans le prochain thème...
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Enfin, j'ai fini ! Un chapitre plus court que les précédents mais je n'avais pas spécialement envie de m'attarder dessus. On s'approche de la fin, allez, plus que huit chapitres !
Merci de votre fidélité et à bientôt.